Tous shootés !
Très régulièrement, souvent même, les addictions sont montrées du doigt, dénoncées et condamnées. Des articles ou reportages différents traitent du tabagisme, de l’alcoolisme, de l’usage de cannabis voire d’autres drogues dites « dures ». De plus en plus, la délicate question des médicaments revient sur le tapis, la France étant le pays champion de l’usage des psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères…).
J’aborderai à peine la longue liste des addictions moins voyantes : le jeu, le sexe, la nourriture, la consommation compulsive, internet… Il y en pour tout les goûts et il semble qu’on n’aie que l’embarras du choix. L’un n’excluant pas l’autre, on peut même en prendre plusieurs. Et qui peut se vanter d’être hermétique à toute suggestion lui ôtant son douloureux fardeau ?
Alors sommes-nous tous shootés ?
La France, pays des Lumières, un pays de shootés ? Enfin, les autres ne sont pas en reste, heureusement ou malheureusement.
Certains clament que nous avons la chance de vivre dans un pays riche, de jouir de privilèges qu’on nous envie et pour lesquels d’autres sont prêts à courir tous les risques. Quels privilèges ? Les 35 heures, les congés payés, la retraite ? La malbouffe, l’overdose de biens de consommation ? L’accès facile à toutes sortes de drogues, légales ou illégales ?
Nos pseudo-privilèges, qui en étaient certainement lors de leur création, se désagrègent et révèlent leur face obscure : l’asservissement à un système qui lamine tout et réduit la vie humaine à un moyen de production. Il est intéressant de constater que plus les libertés régressent (et nous les laissons bien régresser) et plus les individus s’échappent dans des comportement de fuite.
Par ailleurs, l’incapacité majeure à gérer sainement la vie émotionnelle, les relations, la mort, notre propre finitude, nous mène tout droit dans une impasse : on se cogne au mur, on tombe dans les pommes et on oublie tout. Nous voilà des proies tremblotantes, prêtes à céder à toutes les tentations.
Ainsi donc le sport à la mode, c’est la stratégie d’évitement. Eviter les conflits, les frustrations, les déceptions, les maladies, les deuils, enfin toutes les réjouissances que nous propose la vie…et rechercher compulsivement le bien-être, la satisfaction, le plaisir, à tout prix. Mais ça ne marche pas, et ça ne peut pas marcher.
Et il y a un prix à payer. Et la facture est salée.
Parce que nous sommes attendus au tournant. Tout est prévu dans notre chère société. Le déploiement indécent des illusions nous recouvre comme de la gelée sur un aspic. Nous sommes impitoyablement aspirés à chaque instant d’inconscience dans les pièges qui nous guettent à la moindre petite contrariété non assumée. Votre chéri vous a quittée ? Vite un Xanax, un gâteau au chocolat, une sortie en boîte… Vous vous êtes embrouillé avec votre patron ? Vite, un whisky, une série débile, un poker en ligne…Chaque refus de la réalité contribue à nous jeter en enfer, et à aggraver la fracture entre nous et notre âme, qui souffre et finit par s’éteindre, faute d’être entendue. Et lorsqu’on est coupé de soi-même, on se coupe d’autrui aussi, de la nature, du souffle de la vie.
C’est ainsi que l’individu devient un robot, au comportement automatisé, qui survit dans la répétition passive du dodo-métro-boulot-télé. Quelques distractions sont prévues, quand même, pour évacuer les trop-pleins d’amertume : les manifs, les grands rassemblements autour d’une vedette ou d’une équipe sportive, les cérémonies pathétiques des élections avec shows politiques…et le cortège interminable des addictions. L’abus de distractions amène tout droit aux addictions.
Oui nous sommes une société de shootés, amorphe, peureuse, tarée, totalement endormie.
Totalement ? Non peut-être pas quand même. Comme le petit village gaulois, il reste quelques irréductibles, qui s’activent et tentent de frayer un autre chemin. Quelques éveillés, qui chaque jour nous donnent de belles preuves que finalement tout est encore possible, et que nous pouvons choisir de nous réveiller aussi et de participer à un autre monde. Je pense à tous ceux qui sont engagés dans des pratiques et des projets éthiques et solidaires, respectueux de l’environnement et de l’humain, notamment. Je les salue au passage, mes frères les Colibris entre autres.
Les anciennes valeurs spirituelles que représentent le détachement, la lâcher-prise, la connaissance de soi doivent être appelées à la rescousse. Elles nous deviennent plus que jamais nécessaires en ces temps où notre ancien monde se tord dans de douloureuses convulsions. Ces valeurs nous permettent de reprendre la maîtrise de nos comportements et de notre existence. Elles nous conduisent à créer l’espace où nous voulons vivre et évoluer.
Seule la lumière de la conscience peut nous guérir et guérir le monde. Alors faisons-lui une place en nous, et laissons-la grandir.
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