Trente glorieuses versus trente calamiteuses : ressenti et réalité (1950-1980 contre 1980-2010)
Retour sur l'indéfinissable (?) classe moyenne et son pouvoir d'achat. Essai de synthèse
Aujourd'hui, la classe moyenne se retrouve prise en tenaille entre des salaires bloqués et des prix à la consommation qui ne diminuent plus.
La classe moyenne a-t-elle perdu en pouvoir d’achat ?
Sera traitée une autre fois la panne de l’ascenseur social, contestée par certains, qui constitue le sujet complémentaire avec la perte de la croissance.
Les avis divergent selon les spécialistes, qu'ils soient sociologues, économistes ou historiens-géographes. Les populations quant à elles ont leur avis, bien peu scientifique il est vrai, mais qui est lui davantage amplifié par les media ou les politiques. Or ce ressenti de menace sur leur bien être – surtout celui de leurs enfants d'ailleurs — par les classes moyennes est fondamental non seulement en période électorale propice à toutes sortes de promesses, larmes ou printemps qui chantent, mais encore sur le temps long comme moteur de révolution.
J’ai moi-même tenté d’y répondre, reprenant les archives familiales, en comparant les années 60 à celles des années 2010. J'aboutis à des données que je crois crédibles (cf infographie n° 1 : comparatif 1963/2011 sachant que l'inflation sur ces presque 50 ans a été de 851,5 %) mais bien vite apparaît la nécessité d'avoir recours à des comparateurs/outils plus académiques.
Rentrées/Sorties mensuelles (monnaie cstte) |
Années 60 |
années 2010 |
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salaire technicien débutant |
850 € |
1 500 € |
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loyer studio |
38 € |
500 € |
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auto prix de revient (4L, Sandero) |
63 € |
533 € |
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alimentation |
212 € |
270 € |
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Abonnements media |
0 |
60 € |
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loisirs |
3,30 € |
225 € |
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péages/parkings |
0 |
45 € |
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Reste |
533,70 € |
-133 € |
Infographie n° 1
Lorsque François Hollande, poussé par ses experts en recherche de ressources, déclara qu'il envisageait d'aménager – c’est à dire d'amputer – le quotient familial pour ceux qui se situent au début de la richesse au sens des statisticiens – aux alentours de 4200 € par mois de revenus – ce fut un tollé général sans même qu'il fût besoin d'invoquer l'assassinat du principal moteur de la remarquable natalité française. Rappelons qu'il suffit de disposer d'un salaire net mensuel supérieur à 4.000 euros par mois pour se situer dans le décile supérieur des salaires.
Comment définir la classe moyenne ?
Beaucoup d'économistes (par exemple : Etude européenne réalisée avec le cabinet d'études Bipe, l'enquête menée pour le compte de l'Observatoire Cetelem a été conduite par TNS Sofres en novembre et décembre 2011) considèrent que la classe moyenne représente 60 % des français, ce qui du coup concerne non seulement les cadres, artisans/commerçants mais une bonne partie des employés et fonctionnaires et une frange des agriculteurs. Autrement dit tout le monde moins les 20% les moins riches et les 20% les plus pauvres. On perçoit ici le flou dans la définition, l’INSEE y rangeant beaucoup plus de Français que l’observateur moyen.
Exemple de produit standardisé de consommation : la voiture
Pour illustrer par un exemple de produit de consommation devenu standard le ressenti de la classe moyenne sinon du risque de déclassement pour ses enfants, du moins de la baisse du pouvoir d’achat, l’étude « Une toto, des totaux », s'est focalisée sur la voiture et ses coûts (http://geographie.blog.lemonde.fr/2011/04/19/cdlxxxi-une-auto-des-totaux-lautomobile-en-france-banale-et-couteuse/) au fil des décennies. Contrairement à la croyance commune, la petite ou moyenne voiture s'est banalisée, son coût a plutôt baissé pour de meilleures prestations (de 2265 heures de SMIC à environ 1000 h de 1972 à 2011), de même les frais de consommation d'essence (baisse de 33,5% de 1960 à 2007 en monnaie constante), en revanche des coûts annexes sont apparus comme les péages d'autoroute, les parkings souterrains.
L'impact du logement est très souvent avancé comme source de régression par rapport à la période des trente glorieuses. L'INSEE nous apprend que pour la fraction de Français qui accède à la propriété, il n'y a pas d'impact en tant que consommateurs (idée tenace... !) puisqu'à tout moment le produit de la vente éventuelle de l'investissement immobilier compenserait les augmentations du coût de l'immobilier. Seuls sont à considérer les loyers. De fait, contrairement à l'idée répandue, sans doute sous l'effet des politiques gouvernementales et bancaires conjuguées, un nombre croissant de jeunes ménages à revenus modestes sont devenus propriétaires (AFP 12/01/12/Michel Daniau citant l'essai de la sociologue Dominique Goux et de l'économiste Eric Maurin ( « Les Nouvelles Classes moyennes », Seuil), copiant en cela les tendances, elles démentielles, des Etats-Unis et de l'Espagne (risques hypothécaires ou subprimes). On serait donc bien loin, avec eux, du constat du sociologue Louis Chauvel, qui diagnostique une "paupérisation des classes moyennes", ou du cri d'alarme de l'économiste Thomas Piketty.
Différences marquées entre les paniers de consommateurs des deux périodes
Durant les années 60, en caricaturant un peu, la classe moyenne s’habillait et se chaussait plutôt chic et chaud, pas comme aujourd’hui en survets à capuche, baskets ou joggings, elle ne dépensait rien en produits électroniques et abonnements media, un peu en photo ; ne payait pas des loyers scandaleux (250 F par mois le studio en 1963 pour 500 € en 2011 d'après mon intrapolation de http://www.marc-candelier.com/article-indicateur-immobilier-2eme-trimestre-2011-83971957.html) mais elle se nourrissait en y mettant le prix (entre 25 et 33 % des revenus contre 18 % aujourd’hui). Durant les décennies 1990, 2000, 2010, il s’est produit un déplacement complet de mode de vie. Grossièrement résumé les gadgets électroniques ont mordu sur les postes de la nourriture et de l’habillement. C'est ce que le sociologue Jean Viard appelle les dépenses contraintes. Un ancien a toutes chances de ne pas apprécier ces dernières au même titre qu'un adolescent ou un jeune actif qui les jugeront vitales. Il faut vivre avec son temps.
Comme les salaires sont restés stables ou ont diminué en monnaie constante (ainsi que l’analyse Jean Jorion dans « L’argent mode d’emploi », 2009, Fayard, qui soutient que la loi du capitalisme fait que les salaires seront toujours ajustés comme ils l’ont été déjà à la fin du XVIIIème et XIXème siècles sur le niveau qui permet aux familles de travailleurs de tout juste subsister, de façon à ce qu’elles aient recours à l’emprunt pour le surplus ; la modération salariale étant aujourd'hui facilitée par la menace du chômage et de la délocalisation) quoi d’étonnant que la classe moyenne, traditionnellement forte consommatrices de produits de consommation standardisés – classiques et branchés, ait du mal à joindre les deux bouts avec ses loyers élevés ou ses traites sur 30 ans.
En résumé le ressenti des Français est en contradiction avec les données statistiques et économiques d’un consommateur virtuel de la classe moyenne. Cependant les chercheurs en sciences sociales viennent largement tempérer cette approche, certains allant jusqu’à détecter des ferments de sombres temps — pour paraphraser Hanna Arendt, la croissance n’étant plus au rendez-vous en Europe.
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