Un présent incertain pour une fin prochaine
Temps-mort.
Les astreints à résidence, les vieux, les retraités, les sans emploi ou ceux qui viennent de le perdre passent désormais leur temps à essayer de le tuer. Fort de l’expérience du premier confinement, chacun dispose désormais d’une panoplie du parfait tourmenteur des aiguilles de l’horloge. C’est le regard toujours tourné vers un cadran que l’inexorable fuite du temps prend des allures de cortège funéraire qui n’en finit pas.
Tout nous pousse cependant à ne pas perdre une minute quand on cherche à disposer de cette heure d’évasion ou plus sûrement de ce droit à disposer d’un bon de sortie dans la limite restreinte du kilomètre. La marche du temps est donc parfaitement circonscrite à un rayon d’action qui interdit toute action. C’est l’un des innombrables paradoxes de cette période dont plus personne ne voit la fin ni plus encore la raison.
Le reste du temps, les vingt-trois autres heures de la rotation de la terre, les assignés à domicile martyrisent le temps pour tenter vainement de l’abolir. La cause est entendue, ils sont pour la plupart âgés, le compte à rebours est engagé et pourtant un jeune Freluquet les prive de jouir des derniers instants pour leur permettre de survivre dans un ennui sans borne.
Ce temps-mort imposé par la force et la rigueur d’une loi inique, devient justement un face à face avec la mort. L’alternative est simple, mourir d’ennui ou mourir du virus, fort opportunément apparu pour régler le problème des retraites. Que penser de ce choix qui vous glace les sangs. Il divise et crée des distensions parmi la population.
Les effrayés pensent à la vie coûte que coûte, se claquemurent, s’embastillent, se mettent en retrait du monde des vivants. C’est ainsi que leur temps est suspendu à l’angoisse d’une issue qui de toute manière est inéluctable. L’essentiel pour eux étant de durer et pour cela ils renoncent à vivre. Paradoxe étonnant que cette volonté farouche de survivre pour ne rien faire du temps imparti.
Les insouciants se mettent à croire qu’ils sont invulnérables à moins qu’ils acceptent l’idée même du contrat tacite qu’ils ont établi à leur naissance. La vie n’est pas éternelle quoi qu’en disent les marchands du temple. Le temps s’égrène, s’effiloche, se décompte sans que nul ne connaisse au préalable sa dernière heure. Ils se disent qu’autant vivre puisque ce n’est qu’un sursis qui leur est accordé.
Ce temps-mort pose problème dans la mesure où il suspend le temps qui passe. Pour lui donner un peu de consistance, une pratique tend à se généraliser à maintes reprises ; c’est la minute de silence qui ponctue désormais systématiquement les atteintes à notre manière de vivre le temps présent comme nous l’entendons. On voit ici le combat des deux conceptions radicalement opposées du temps. Le temps terrestre des mécréants contre l’éternité pour les fous de Dieu. La minute de silence étant soudainement ce moment qui sépare à jamais ces deux chronologies irréconciliables.
Nous sommes face à une attaque en règle de notre temps restant. Le pouvoir, le virus et les terroristes s’en prennent chacun à leur manière à ce temps dont jusqu’alors, nous jouissions à notre guise. Dans tous les cas, c’est la peur qui met les pendules à l’heure, c’est la menace qui scande les minutes, c’est la mort qui décidera de l’ultime seconde.
Le temps-mort est un présent qui n’en finit plus tout en se refusant d’envisager que l’on puisse avoir un avenir tout en repoussant les enseignements que l’on devrait tirer du passé, si nous étions moins bornés à cette idée que seule la minute suivante est capitale. Notre inscription dans une époque de l’immédiateté nous a conduits à cet extraordinaire carambolage des chronologies en oubliant bien opportunément que même les civilisations sont mortelles. Curieusement la terrible crise sociétale de l’heure concourt à accélérer le processus de désagrégation de la vie humaine.
Intemporellement vôtre
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