Un sénateur veut s’attaquer à la question de la polygamie de fait...
Hasard ou coïncidence avec certains événements, il existe désormais une proposition de loi enregistrée depuis peu au Sénat visant à créer un délit de polygamie, d’incitation à la polygamie, avec circonstances aggravantes pour fraude aux aides sociales, et à inciter les victimes à la décohabitation, à l’insertion sociale et professionnelle et à l’assimilation à la communauté française (rien que ça.)
L’auteur de ce texte développe tout au long de l’exposé des motifs l’argumentation qui l’a conduit à rédiger ce document.
Résumons en commentant un peu ce raisonnement
Si on en croit le texte, la polygamie serait un problème en France notamment en raison des difficultés pour les pouvoirs publics de saisir un phénomène qui la dépasse ainsi que son impuissance en matière de contrôle et de maîtrise ; il s’agirait surtout d’une forme d’abus de vulnérabilité avec d’un côté ceux qui profitent de ce système (si on lit bien l’exposé des motifs, il semble qu’il s’agisse majoritairement de personnes de sexe masculin) et des très gentilles victimes qui sont quasiment exploités et qui ne servent qu’à tirer le maximum de bénéfice de la situation.
Le sénateur distingue d’une part la polygamie de droit et la polygamie de fait.
Si, comme il le rappelle si justement la première forme est interdite en France, la seconde n’est pas reconnue par les textes et c’est là qu’est le problème ; c’est là qu’il faut agir.
La raison de tous nos maux est d’ailleurs clairement désigné : le concubinage ou la situation de non-droit qui permettrait au dangereux polygame de tirer un maximum d’avantages de sa situation.
Actuellement, l’article 147 du code civil dispose qu’ "on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier" et l’article 433-20 du code pénal que "le fait, pour une personne engagée dans les liens du mariage, d’en contracter un autre avant la dissolution du précédent, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende."
Notons qu’il s’agit là de mariage au sens civil ; la précision semble presque inutile mais peut-être pas tant que cela apparemment puisque l’auteur du texte semble regretter cette limitation :
"Toutefois, les mariages religieux ou coutumiers, prononcés en France ou à l’étranger, ne sont pas pris en compte dans cette définition. Ils ne peuvent donc accréditer l’accusation de polygamie. En droit civil français, le mariage religieux n’est pas reconnu, seul compte le mariage civil. Il est donc possible de vivre simultanément avec plusieurs femmes, et autant d’enfants, sans être marié avec elles : cela n’est ni juridiquement condamnable, ni pénalement répréhensible."
Encore heureux que seul compte le mariage civil !
Et c’est dans ces situations que le sénateur ayant rédigé ce texte voit de la polygamie de fait.
Et tout cela c’est de la faute au concubinage : cette horrible situation, qui si on exagère à peine les propos contenus dans l’exposé des motifs, offre tellement de droits pour si peu d’obligations.
L’auteur y voit "un espace de non-droit, derrière lequel peuvent se cacher toutes sortes de combinaisons familiales ou conjugales, qui échappent aux pouvoirs publics, qui se nourrissent d’aides publiques qui ne leur sont pas destinées, et soustraient à la protection légitime que pourrait leur conférer le statut juridique d’un mariage civil ou d’un PACS des personnes fragilisées, femmes et enfants confondus" ; il regrette notamment que le concubinage "n’entraîne ni devoir de fidélité, ni devoir d’assistance, ni devoir de secours entre les concubins, encore moins d’obligation de contribution aux charges du ménage. Aucune protection n’est non plus prévue en cas de séparation"
Le concubinage est défini par l’article 515-8 du code civil.
Si on lit bien ce texte, il s’agit d’une union de fait entre deux personnes de sexe différent ou de même sexe qui se caractérise par quelques éléments :
- la communauté de vie
- la stabilité
- la continuité
Bref, on devient très vite concubin ; parfois, même sans s’en rendre compte.
Il est donc tout à fait normal monsieur le sénateur que cette situation de fait n’entraîne pas les mêmes obligations que celles du mariage ou du pacs. La jurisprudence sur le sujet le montre d’ailleurs très bien.
Passons maintenant au texte qui, comme le précise son auteur, comporte un volet répressif et un volet incitatif.
L’article 1e de la proposition est très clair. Il vise à ajouter dans le code civil l’interdiction de vivre en état de polygamie en redéfinissant la notion comme étant "le fait, pour une personne mariée selon les règles de l’état civil, liée par un pacte civil de solidarité, ou reconnue en concubinage notoire, d’avoir contracté en France ou à l’étranger au moins un deuxième mariage, avec une personne différente."
On aurait pu réécrire l’article 147, on a préféré ajouter un article 147-1.
Ajoutons à cela que l’article 2 de la proposition permet l’annulation du mariage pendant trente ans pour ce motif.
C’est la fin des doubles vies. Pas forcément à cause des dispositions qui précèdent mais plutôt de celles qui suivent.
En effet, avec ce texte, ce sont pas moins de trois nouvelles infractions qui risquent d’être créées.
La première d’entre elles, que l’auteur qualifie de délit d’état de polygamie, vise à sanctionner ceux qui vivent dans la situation prévue par l’article 147-1 du code civil d’une amende de 5000 euros.
La deuxième infraction qui pourrait voir le jour, définie (à tort selon moi) comme une incitation à la polygamie, permettrait de sanctionner ceux qui imposent la situation de polygamie. La peine encourue serait d’un an et 30000 euros d’amende.
Le tout complété par une aggravation de la peine en cas de circonstance aggravante de fraude aux aides sociales (un an d’emprisonnement et 45000 euros d’amende)
Vient alors le moment de jouer à ajouter quelques peines complémentaires spécialement pour toutes ces nouvelles infractions (il est d’ailleurs à noter que celles-ci ne concernent le seul texte répressif en droit positif : l’article 433-20.)
Précisons rapidement que les peines complémentaires viennent (comme le nom l’indique) en plus de la peine principale, elles sont obligatoires ou facultatives et doivent être spécialement prévues pour l’infraction en cause. Le juge peut en prononcer une ou plusieurs en complément de la peine principale ou, en matière de délit et de contravention, il peut les prononcer à titre de peine principale.
On notera notamment dans cet inventaire l’interdiction du territoire français, la déchéance de la nationalité et l’expulsion du territoire pour menace grave à l’ordre public.
Après tout cela, on en aurait presque oublié qu’il y a un volet incitatif dans cette proposition de loi.
Et là, l’auteur veut, selon ses propres mots, "s’appuyer sur les co-épouses elles-mêmes, en favorisant leur sortie de la structure polygamique" (il n’y a donc que les hommes qui peuvent être polygame)
Il propose que ces femmes "déracinées, fragilisées, désocialisées" puissent se voir reconnaître un statut de victime et le juge doit pouvoir leur assurer un certain nombre de garanties.
Pour cela, la proposition de loi tente de protéger ces "victimes" des mesures de non-renouvellement du titre de séjour, de refus de carte de résident, de déchéance de nationalité à condition qu’elles acceptent de participer à la lutte contre la polygamie ou, comme le dit le sénateur, "à condition qu’elles acceptent de reconnaître devant le juge leur statut de victime de la polygamie et manifestent une volonté expresse de s’engager dans un processus d’intégration."
Terminons-en avec la fin de l’exposé des motifs qui en dit sûrement long sur cette proposition de loi :
"La polygamie de fait, en tant que forme moderne d’asservissement de la femme par l’homme, doit être sévèrement combattue, car elle porte atteinte à la dignité humaine et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Si les fraudes perpétrées, et non sanctionnées, à l’encontre des caisses d’allocations familiales doivent être dénoncées, ce n’est pas tant pour résoudre les déficits publics, qu’en ce qu’elles constituent une soustraction aux besoins des plus vulnérables, c’est-à-dire des enfants. La polygamie entraîne un déséquilibre structurel, psychologique et matériel tel pour ces enfants qu’il devrait suffire en lui-même à mobiliser très largement les pouvoirs publics."
le texte est là...
ne manquent plus que les commentaires...
Cet article est initialement publié là : http://0z.fr/G5JAX
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