Un thème plus politique qu’il n’y parait : psychanalystes contre comportementalistes
De plus en plus, la querelle entre psys se développe. La prise en charge des enfants autistes va faire de nouvelles victimes : les psychanalystes qui vont se voir retirer la légitimité technique de fonder toute action éducative sur les apports de Freud, Lacan, Bettelheim et Mannoni, jugés "insuffisamment efficaces". Les tenants des approches dites cognitivo-comportementales (TCC) ; porteurs d'alternatives (ABA, TEACCH) se frottent les mains... Et si cette guerilla avait un fond bien plus politique qu'il n'y paraît ?...
La décision de la haute autorité de santé (HAS) -qui sera publiée le 8 mars prochain selon Libération.fr- de ne plus recommander en tant que bonne pratique l’approche psychanalytique dans la prise en charge des enfants atteints d’autisme, qualifiés de « troubles envahissants du développement » bat encore un peu en brèche le dogme freudien largement dominant dans la psychiatrie française.
Après l’INSERM en 2004, qui avait osé comparer les principales psychothérapies (cognitivo-comportementales, psychanalytiques, systémiques) au travers d’un protocole d’évaluation[1], ce fut l’ouvrage collectif « Le Livre noir de la psychanalyse », paru en 2005 (éd. Les Arènes), sous la direction de Catherine Meyer, qui mettait en évidence la faiblesse curative de la psychanalyse face à des troubles jusque-là qualifiés de psychotiques et que le psychiatre américain d‘origine autrichienne Bruno Bettelheim avait engagé dans une voie controversée : celui d’une relation morbide à la mère.
Michel Onfray dans son ouvrage paru en 2010 « Le Crépuscule d'une idole ; l'affabulation freudienne » (Grasset), avait alerté sur les fondamentaux viciés de la doctrine freudienne en remontant aux schémas de départ établis par le « maître viennois », en particulier quant à son modèle de la sexualité.
Face à ces mises en cause, c’est Elisabeth Roudinesco, grande papesse de la psychosphère germanopratine, qui a organisé la riposte, et pas toujours dans la dentelle (« Pourquoi tant de haine » ?).
Or, concernant la prise en charge de l’autisme, de nombreuses expérimentations alternatives nous sont parvenues récemment, le plus souvent des pays anglo-saxons, ce qui les rend suspectes aux yeux de nombreux psychanalystes et intellectuels hexagonaux, sceptiques à l’endroit de tout ce qui vient d’un monde capitaliste, volontiers utilitariste, pour ne pas dire simpliste au plan intellectuel (tous les pays n’ont pas la chance d’avoir une intelligentsia aussi brillante que sur la rive gauche).
La littérature spécialisée abonde de ces expériences, appelées TEACCH, ABA ou autres démarches fondées sur les apprentissages, mais qualifiées de démarches comportementalistes, autrement dit, dans la culture psychanalytique, démarches diaboliques !
Il y a quelques semaines, sortait un documentaire de Sophie Robert, intitulé « Le Mur », critiquant les approches issues de la psychanalyse telles que le « Packing »[2], technique très controversée et de plus en plus refusée par les parents, et décrivant ces approches alternatives, en vigueur chez nos voisins européens mais obstinément refusées en France par le puissant lobby des tenants de la psychanalyse freudo-lacanienne. Ce film, qui met bien en évidence l’impuissance de la psychanalyse à traiter quoi que ce soit e matière d’autisme, a été censuré suite à un recours en justice des psychanalystes qui ne le jugeaient pas assez « équilibré » : non seulement il n’a jamais été diffusé, mais il n’est même plus visible sur internet.
La querelle prend une tournure politique quand on voit apparaître en 2004 Bernard Accoyer, alors député UMP de Haute-Savoie (et par ailleurs médecin), voulant encadrer rigoureusement les pratiques thérapeutiques extrêmement diverses, voire éclatées, en les confiant principalement aux médecins -psychiatres ou généralistes- ou aux psychologues cliniciens issus de l’université. La bronca des psychanalystes, emmenés par Jacques-Alain Miller, et gendre de jacques Lacan, permit à ces derniers de pouvoir continuer à exercer en tant que tels à côtés des psychiatres, excluant par-là, de concert, les autres formes thérapeutiques alternatives. Mais la méfiance s’installait ou plutôt se renforçait entre « psys » et politiciens de droite, suspects de ne pas respecter « l’irréductible singularité du sujet »…
Dans la polémique apparemment technicienne qui se développe, on trouve, d’un côté, des intellectuels se revendiquant peu ou prou de gauche (à côté d’Elisabeth Roudinesco, on trouve Catherine Clément, Serge Hefez, Eric Laurent, et beaucoup d’autres….), de l’autre des élus ou experts généralement classés à droite : Accoyer, donc mais aussi le député UMP du Pas-de-Calais Daniel Fasquelle, le journal « Le Point », etc… Il n’est sans doute que la pédiatre Edwige Antier pour se situer à contre-courant, étant à la fois d’obédience psychanalytique et membre de l’UMP.
Sur le terrain, que je fréquente assidument depuis une trentaine d’années, d’abord en tant qu’éducateur spécialisé et responsable de service médicosocial puis, depuis une douzaine d’années, comme consultant et formateur de l’action sociale et médicosociale, les clivages sont tranchés et les confrontations encore vives. Le point Godwin n’est jamais loin et, ne serait la dimension hyper-spécifique à laquelle n’accède pas le commun des mortels qui n’en perçoit pas la dimension potentiellement politique, ce thème ne lasse pas d’agiter les professions intellectuelles supérieures (enseignants, écrivains, artistes, travailleurs sociaux, thérapeutes, etc) qui se situent ici dans une dialectique idéologique très vive entre les tenants d‘une soi-disant « vraie gauche » intransigeante, anti-libérale, subversive, radicale, un brin léniniste, et les tenants supposés -selon les représentations des premiers- d’une américanisation rampante, de l’imposture d’un management de l’humain, d’une « marchandisation du social », d’une réduction du sujet au rang de simple client, quand ce n’est pas purement et simplement du « conspirationnisme » (Roudinesco)…
Les anathèmes ne manquent pas ! La polémique sur la prise en charge des autistes est encadrée par un « Collectif des 39 contre la Nuit Sécuritaire » (sic)….
En fait , les querelles politiques trouvent ici un terrain atypique que ne reconnait pas bien le militant de gauche traditionnel, attaché à des valeurs, à des catégories structurantes comme ses propres intérêts de classe ou les pratiques du pouvoir (et là, avec Sarkozy, ce dernier critère pourrait presque suffire pour se positionner à gauche !)
Ces antagonismes, outre qu’ils s’inscrivent dans les questions de la construction scientifique des savoirs, donc sujette à des réfutations salutaires[3], montrent que les positionnements politiques s’intègrent de plus en plus dans des champs de pensée très spécifiques et morcelés, de plus en plus éloignés des enjeux habituels.
Dès lors, on ne s’étonne plus des états d’âme polymorphes et improbables des bobos qui traversent le champ de la gauche !
J’affirme ici que le Socialisme est un rationalisme, qui promeut le progrès scientifique et humain et que le règne des émotions, des états d’âme, du Romantisme et du bonheur des gens contre eux-mêmes ne présage rien de bon pour la cause progressiste. Et c’est Hollande qui vaincra !
A lire entre autres (les blogs d’usagers et de familles sont nombreux et la lutte fait rage) :
http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/autisme-les-psychanalystes-dans-le-100754
http://www.liberation.fr/societe/01012389571-deux-approches-en-guerre-totale
http://www.liberation.fr/societe/01012389570-autisme-les-psys-reduits-au-silence
A écouter mercredi 15 février sur France inter l’émission « Service public » à 10 heures.
http://www.franceinter.fr/emission-service-public-autisme-la-psychanalyse-en-question
[1] Le rapport d’évaluation ayant fort fâché la corporation des psys, le ministère, dans une logique d’apaisement mais fort peu scientifique, fera disparaître purement et simplement le rapport du site de l’INSERM !
[2] Il s’agit d’envelopper l’enfant autiste dans des linges humides et froids afin de lui faire ressentir son « enveloppe corporelle » !
[3] Il va sans dire que les psychanalystes n’acceptent pas les conditions de la science comme la réfutabilité, posée par Karl Popper comme fondamentale pour se différencier d’une croyance.
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