Un éloge sensé à la lenteur, questions de progrès
Je me suis fait la réflexion après l'avoir observé plusieurs fois sans pour autant en comprendre la subtilité tout de suite : détruire plaît plus que construire. Cela m'a vraiment frappé lors d'une discussion avec Azil où il me raconta sa soirée passée en ville avec quelques amis à lui. Après avoir bien bu et prolongé une tournée des bars qui n'en finissait pas, ils décidèrent à la suggestion de l'un d'entre eux de passer rendre visite à une copine qui organisait un petit apéritif dinatoire chez elle. En arrivant finalement assez saoûls, ils débarquèrent en trombe et en joie dans l'appartement de la fille, l'un d'eux s'écrasant carrément sur la table basse à l'entrée, s'effondrant par la même occasion au milieu des convives, surpris devant cette arrivée un peu brusque. La table finalement cassée, on rigola, la locataire râla gentillement et la soirée repris son cours. Azil me raconta la suite par ces mots : « Et c'est lui qui a fini dans le lit de la nana ! ».
Cet exemple s'est reproduit plusieurs fois et dans plusieurs circonstances. En déconstruisant ou en détruisant les choses, on attire automatiquement le regard des gens, le spectacle est beaucoup plus grand et plus fort dans l'acte de déconstruire que dans celui de construire, qui généralement recquiert du temps et se déroule plutôt dans la discrétion. Regardez Sarkozy, il est le roi de la déconstruction, il a donné l'impression continuel d'un grand spectacle enveloppé dans les apparences énergétiques d'en faire beaucoup (du travail, sic), mais son véritable bilan constructif est très faible. C'est son côté « Karchër » qui a plu aux français en 2007, lui qui a souhaité détruire et dépoussiérer la vieille école politique en se positionnant comme le renouveau du pays. Ce n'est que lorsqu'il a vraiment commencer à construire quelque chose au bout de cinq ans de mandat que les français, du moins en majorité, se sont rendus compte qu'ils n'appréciaient pas ce qu'il était en train d'instaurer.
C'est vrai que me concernant je ne suis pas l'épicentre des soirées et que je reste plutôt discret mais je fais des efforts malgré moi : la dernière fois, au cours d'une beuverie où j'étais encore une fois passé à côté de la plupart des occasions de rencontres féminines, j'étais plutôt ivre et sur le chemin du retour je me suis mis à casser les rétroviseurs des voitures garées le long de la route à coup de pied, une première dans ma vie car ce n'est pas vraiment mon genre de casser gratuitement, du moins pas volontairement. Bref, cette action attira tout de suite le regard et l'attention d'une fille qui se trouvait dans la même rue et qui se mis à me raisonner puis finalement eu plutôt pitié de moi. La chose aurait pu tourner à mon avantage, je tenais à peu près sur pied et son regard attendrissant laisser présager une certaine curiosité me concernant. Mais pourquoi devrais-je en arriver à casser des rétroviseurs pour qu'une fille s'intéresse à moi ? Peut-être cette interrogation s'était glissé un moment dans ma tête et j'eus honte de moi ou bien mon visage un peu défait et mon regard vide l'ont finalement découragé mais en tout cas je balbutiais quelques mots et parti seul finir le trajet qui me mènerait à mon lit.
Le lendemain je me réveillais avec cette éternelle excitation phallique qui chaque matin orchestre et nu-mère les journées des hommes. Objectif de la veille brisé. Objectif de la veille loupé. Nouvelle construction en vue pour la journée. Déconstruction de la veille effectuée, selon le cycle infini qui voit se succéder les destructions avec les constructions. C'est vrai qu'à entendre les historiens et autres évolutionnistes relater cette logique successive, on a finalement incorporé la destruction comme partie intégrante du processus évolutionniste, ou du moins comme une fatalité inhérente. Les anarchistes au sens pur et dur du terme en sont le dernier maillon en date : il serait temps d'envisager la destruction totale pour espérer un jour construire quelque chose de véritablement « autre ». On a trop souvent excuser la destruction lors de la construction de notre histoire me disait souvent mon grand père. Lorsqu'on éloigne son regard et qu'on essaie d'observer l'histoire humaine jusqu'au delà de sa globalité, d'un point de vue extérieur (pourrait-on vraiment l'envisager ?), on peut se poser une question à propos de l'humanité : a-t-on véritablement construit quelque chose au fil des civilisations humaines ? Bien sûr que oui. Mais n'est-ce pas non plus majoritairement un phénomène déconstructif qui régit notre lente (ou rapide) évolution ? Sur le final, a-t-on plus détruit que construit ? Puisque toute construction découle d'une certaine destruction, dans quelle mesure a-t-on bâti ou détruit notre monde ? Pour construire chaque jour un monde meilleur comme le martèle notre slogan publicitaire mondial favori en ce moment, le besoin de détruire est immense. C'est pourquoi l'on peut en droit s'interroger aujourd'hui sur une autre question : est-ce vraiment dans l'intérêt de l'humanité de continuer à effréner sa course vers une construction acharnée du monde, voire une construction totale ? Par cela j'entends tous les travaux et les efforts mis en œuvre pour équiper la planète de toute l'infrastructure lourde, moderne et polluante que sont les transports actuels ou futurs, l'électronique à tout va et la « bétonisation » du monde. Tous les jours l'homme s'épuise à redé-aménager son environnement. Il faut construire plus, plus vite, de tout, aménager, déménager, réaménager. L'activité humaine est évidemment la raison d'être de l'humanité. Encore faut-il savoir l'utiliser à bon escient...
Ce matin là je tombais sur un superbe passage d'un petit libre, « Éloge des voyages insensés » de Vladimir Gobrianov qui résuma brillement la situation : « Mais pourquoi diable aller vite ? A quoi nous sert de gagner vingt-quatre heures si nous transformons trois jours de fête en deux jours de torture ? Vers où et pourquoi nous hâtons-nous, capitaine ? Pourquoi sur nos bateaux, la cloche ne sonne-t-elle plus l'heure, capitaine ? Et pourquoi les théoriciens du progrès ne s'intéressent-ils qu'à la vitesse et non au merveilleux clapotis de l'eau sous les pales des lourdes roues accompagnant le mouvement du bateau à l'aube ? C'est cela qu'on nous enlève capitaine ! Comme on nous enlève la possibilité d'aspirer le vent frais sur le pont, d'enlacer la taille chaude d'une jeune passagère et la chance, le soir tombé, de faire avec elle, un tour de valse inattendu... Cela ne revient-il pas à dire, capitaine, que le progrès nous a purement et simplement dépouillés ? ».
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