Une équipe de foot peut-elle être séparée de son contexte socio-économico-politique ? [Et à la fin, c’est la zone euro qui gagne ! (3) ]
Les articles (1) et (2) ont montré qu'un victoire européenne dans une Coupe de foot, était toujours le fait d'un pays de la zone euro. Et avec cette nouvelle victoire de la France, en 2018, cela fait 11 sur 11 !
Comment est-ce possible, alors que ces pays ne représentent que 44.9% de la population de tous les pays 'européens' participant à ces compétitions ?
Et que les joueurs des équipes nationales 'zone euro' ne représentent 'que' 65.2% de la valeur [1] de tous les joueurs 'européens' ? Ce qui pour gagner 11 compétitions sur 11 représente une probabilité de moins de 1 % !!!
Réciproquement, comment expliquer les défaites des tenants du titre de la zone euro ? Y aurait-il des raisons qui expliquent (partiellement bien sûr) les échecs et les réussites ?
C'est que les résultats d'une équipe de foot ne peuvent être séparés de son contexte socio-économico-politique.
A. Commençons par nous inspirer des facteurs de succès des entreprises extrêmement performantes.
Deux critères essentiels sont à prendre en compte, comme nous l'exposons dans "Services publics, deux repères essentiels (1) pour une bonne gouvernance"
Pour faire (très) court : 1. la responsabilisation de chacun est fondamentale, sans elle rien n'est possible, et encore moins l'atteinte d'objectifs ambitieux. C'est une condition nécessaire, elle empêche des désastres collectifs comme celui de Knysna en 2010 pour l'équipe de France en Afrique du Sud. Mais elle n'est pas suffisante.
2. Un deuxième critère est essentiel, rarement réalisé dans les entreprises habituelles, la diffusion du pouvoir, ou encore "l'autonomie" : sans elle, les individus se sentent limités, et c'est grâce à elle que les start-ups et autres entreprises très performantes atteignent des objectifs extrêmement ambitieux, tout en permettant une excellente ambiance de travail, et une gratification de chacun sans égale.
Cela suppose cependant que le projet de l'entreprise soit très clair, avec des priorités opérationnelles partagées par tous ; et cela suppose aussi une responsabilisation individuelle, sans quoi c'est l'anarchie, et l'horreur au quotidien, nous avons pu en constater les dégats gravissimes dans plusieurs situations.
Mais nous ne traitons ici que le contexte 'normal' des entreprises, et leurs les projets 'habituels', même déjà très ambitieux.
B. Quand il s'agit d'objectifs qui dépassent largement les individus qui en sont porteurs, par exemple pour des joueurs d'équipes nationales, cela ne suffit plus : il convient à ces joueurs de se transcender, afin d'atteindre des objectifs soutenus par des millions ou dizaines de millions d'individus !
D'autant que les joueurs ne sont pas payés par leur équipe nationale, mais par leur club (et avec des salaires impressionnants), et certains clubs n'apprécient pas trop qu'ls puissent être 'distraits' de leur objectif principal, avoir les meilleures performances dans leur contexte national et international (Ligue des Champions..). Inversement certains joueurs ne se sentent pas vraiment concernés par de très belles performances de leur équipe nationale, même si la plupart des joueurs savent que cela peut faire monter leur cote.
En fait, il revient à chaque joueur de s'engager personnellement envers son pays et son équipe, et donc envers ses compatriotes. Notamment en se sentant un vrai leader, c'est-à-dire "au service" de cette équipe et de l'entraîneur.
Un troisième axe apparaît donc nettement, nécessaire, et même incontournable : la solidarité. En d'autres termes, plus concrètement : soutenir les autres (s'engager) ET se sentir soutenu par les autres (et le contexte, l'environnement).
Se sentir soutenu est un des facteurs essentiels, par exemple pour réussir une création d'entreprise : si le créateur ne se sent pas soutenu par son conjoint, son entreprise est quasiment vouée à l'échec. Et bien sûr, tout le monde connait l'importance du 12e homme, dans les matchs de foot, les supporters.
C. Et c'est donc sur ce 3e axe qu'interviennnent le contexte, l'environnement, les conditions socio-économiques, sociétaux, politiques, voire géopolitques.
Certains facteurs sont très favorables comme une reprise économique de la croissance (après des années de crise) et être le pays organisateur de la compétition (France 1998),ou sont très défavorables, allant jusqu'à faire s'effondrer les tenants du titre, comme :
- la grave crise financière et économique de 2008, durement vécue en Italie, qui peut suffire à expliquer l'élimination en 2010 du tenant du titre (CM 2006)
- la présence au second tour de JM Le Pen, en 2002, qui a été un vrai choc pour la société française (pour 82% de la population), ce qui pourrait bien expliquer l'élimination rapide de la France quelques semaines après, 4 ans après 1998 et 2 ans après la victoire à l'euro 2000
- la crise migratoire depuis plusieurs années en Italie, qui ne s'est pas sentie soutenue par les autres pays européens pour faire face à l'afflux des migrants arrivant à ses frontères, et qui pourrait expliquer (en partie) la non qualification de l'Italie au Mondial en 2018 ; cette même crise en Allemagne depuis 2015 (à la suite de la décision de Angela Merkel d'accueillir de très nombreux migrants) peut suffire à expliquer les mauvaises performances à l'euro 2016 et l'élimination rapide en 2018
- la crise relative au référendum catalan (depuis fin 2017), qui peut suffire à expliquer la défaite de l'Espagne devant la Russie en 2018, alors que cette équipe était parmi les favorites.
De même la grande incertitude suite au référendum de Brexit en Angleterre peut suffire à leur faire perdre deux matchs, contre la Croatie puis contre la Belgiue, ces deniers jours.
Inversement, la 2e victoire de la France en 2018 intervient dans un contexte assez proche de 1998 : 1 an après une élection essentielle, qui renouvelle fortement l'Assemblée Nationale, et qui redonne beaucoup espoir à tout un peuple.
De plus, la France n'était pas le pays organisateur de cette Coupe du monde 2018, mais comme pour le Portugal qui s'était fait souffler sa victoire à l'Euro à domicile, l'équipe de France a voulu ne pas manquer cette nouvelle occasion de briller.
Il ne faut pas oublier que ces victoires et échecs, en football, tiennent souvent à très peu de chose, et que le mental, la forme physique jouent un énorme rôle. Et qu'il peut donc suffire de peu de chose dans un sens ou dans un autre, pour inverser les résultats.
D. Mais comment expliquer que ce soient toujours les pays de la zone euro qui gagnent à la fin ? Prenant la suite de l'Allemagne, seule ?
D1. Le sentiment d'une sécurité intra européenne, portée par l'euro et la solidarité de fait sous-jacente
Notre première interprétation, c'est que les citoyens (et les joueurs) de la zone euro sont inconsciemment porteurs d'une "sécurité économique -et sociale-" liée à l'euro.
Tout comme les entreprises dans un état de droit se sentent protégées par une "sécurité juridique" (c'était moins le cas en France, mais c'est en train de changer), ce qui leur permet de faire des investissements et d'espérer raisonnablement qu'ils puissent être rentabilisés.
Les éléments du pacte de stabilité (3%, 60%) forment un cadre que chaque pays devrait respecter pour que l'euro reste une monnaie crédible. Ce cadre permet ensuite à chaque pays, supposé responsable, de déployer sa politique, dans une autonomie minimale, voir notre graphique plus haut.
(Pour une entreprise performante, c'est l'existence d'un cadre donnant les priorités communes qui permet à chacun d'utiliser à fond son sa marge de manoeuvre, son autonomie, pour prendre des risques -limités, mesurés- afin d'obtenir les objectifs assignés. Voir le graphique plus haut)
De plus l'expérience a montré que ces pays de la zone euro se sont montrés solidaires entre eux (3e axe), malgré les textes et traités qui auraient dû empêcher certaines mesures prises par la Banque Centrale Européenne, en faveur du rachat de dettes bancaires. Cette 'solidarité de fait' a empêché la crise de l'euro de 2011 de se transformer en une crise mondiale gigantesque, bien plus grave que celle de 2008, qui a pourtant très affecté de nombreux pays.
Tout se passe comme si finalement les joueurs des pays de la zone euro, et leurs supporters, se sentaient soutenus par ce cadre général, alors que beaucoup le considèrent comme une (trop) forte contrainte. Avec une prise de risque suffisante, mais pas non plus excessive.
Ceci ne peut être qu'une hypothèse, pour le moment. Nul doute qu'elle heurtera les "pseudo souverainistes" [2], ainsi que les extrémistes de gauche, mais le fait qu'aucun pays hors zone euro n'ait jamais été vainqueur de ces coupes ne doit-il pas interpeler ?
Deux autres hypothèses sont cependant à considérer, moins spécifiques à la monnaie européenne (en particulier la deuxième)
D2. Le réalisme et l'organisation allemands 'copiés' par les autres équipes européennes
Une deuxième hypothèse est liée au réalisme, et à l'organisation tactique, que les victoires à répétition allemandes ont incité de nombreuses équipes de foot (notamment européennes) à adopter : leur réussite insolente n'était-elle pas liée à une réflexion et une organisation du jeu, pour être en mesure de gagner malgré l'adversité ?
Cette hypothèse est en quelque sorte l'exportation, par les allemands, de leur génie organisateur. De même qu'Airbus a fortement bénéficié, dès les premières années, de l'organisation de la production, en tronçons d'avions fabriqués en 4 pays et assemblés sur une ligne d'assemblage finale (FAL). à Hambourg ou Toulouse. Ce qui faisait beaucoup rire les ingénieurs de Boeing, mais ce type d'organisation est devenu un standard.
Cette hypothèse est bien illustrée par la finale 2018 : les croates avaient beau mettre une pression considérable sur la défense française, rien ne passait ou presque (un seul but, en dehors de la faute de Hugo Lloris). Alors qu'inversement les 'contres' et les attaques fulgurantes, à la fois rapides et extrêmement efficaces, permettaient de marquer deux buts (Pogba et Mbappé) dans le jeu,
D3. La proximité entre citoyens européens, via l'espace Schengen, le programme Erasmus
Une troisième hypothèse est directement liée à la nature du projet européen, et à ses effets bénéfiques dans plusieurs dimensions de la réalité, auprès des citoyens européens.
Nous avons parlé de solidarité, d'engagement, et de se sentir soutenu, et tout le monde connaît l'importance dans un match du soutien apporté par les supporters.
Comment ne pas voir que :
- l'importance croissante prise dans les informations par tout ce qui concerne les autres pays européens notamment avec les Conseils européens réguliers (Donald Tusk sur la photo), avec les décisions souvent délicates, y compris au niveau du Parlement européen, mais aussi avec les décisions de la Banque Centrale Européenne, et toutes les données socio-économiques comme le cours de l'euro versus le dollar
- le développement de l'industrie européenne (en particuier Airbus et Ariane), des échanges intra-européens dans l'industrie et les services, et la réalisation de programmes européens (de l'Agence Spatiale Européenne, ou de l'Union européenne (Gaileo, Copernicus) mais aussi chez Airbus avec l'avion militaire A400M par exemple)
- les échanges humains facilités entre pays européens, notamment avec l'espace Schengen, mais aussi avec le programme Erasmus entre étudiants européens
ont créé une proximité entre les citoyens de l'espace européen et de la zone euro, et facilité.- renforcé cette solidarité de fait mentionnée plus haut ?
Solidarité qui peut se concrétiser aussi lors des matchs de football. Ainsi, les supporters d'un pays éliminé lors de la Coupe du monde (ou de l'euro) peuvent plus facilement soutenir une autre équipe de l'espace Schengen, de l'Union européenne et de la zone euro, plutôt qu'une équipe dont ils se sentent beaucoup moins proches.
Bien loin d'être contradictoires, ces trois hypothèses sont très compatibles entre elles, et même hautement synergiques, elles se renforcent mutuellement..
Les bénéfices mentionnés sont aussi une nouvelle validation du projet européen, malgré toutes ses difficultés.
Et ils renforcent à leur tour le 'soft power' de l'Union européenne et tout particulièrement de la zone euro : le rayonnement international obtenu par les victoires en Coupes du monde et en Coupe de l'euro, et de même dans les autres sports, ne peut que renforcer les atouts des pays qui composent cet espace européen !
PS. Il reste à expliquer comment l'Espagne a pu gagner trois fois, Euro 2008, CM 2010, Euro 2012, alors que le pays vivait très durement la crise d'après 2008 ? Nous ne nous posions alors pas ces questions, mais les succès insolents du sport espagnol dans cette période, ainsi que le caractère inédit de trois succès successifs amène immanquablement l'hypothèse du dopage, jusqu'aux perquisitions très concrètes de la justice espagnole autour de sulfureux médecins. Même si elles n'ont pas eu (encore ?) de suite judiciaire probante Voir par exemple Dopage : ce qui nous fait douter du sport espagnol févr 2012 ou Dopage : la justice espagnole bloque l’identification des clients du docteur Fuentes, juin 2017
[1] Après correction d'une erreur de calcul dans le deuxième article
[2] Pseudo souverainistes, car comment un pays qui a 100% de dettes peut-il être souverain, face à ses créanciers ? Et comment se replier sur ses frontières permettrait-il de faire face aux géants chinois ou asiatiques, et désormais états-uniens ? Le dossier inextricable du Brexit montre bien, s'il en était besoin, la vanité des 'projets' des Brexiters, très idéologiques et absolument pas réalistes
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON