Une révolution de cadres ?
La nouvelle réforme des 35 heures montre le peu de cas que fait le gouvernement de la condition des cadres, alors même que leur statut et leurs moyens relativement aisés auraient pu les placer de base dans sa clientèle. Les statistiques de l’élection présidentielle passée montrent également que la majorité d’entre eux s’est exprimée pour la candidate socialiste. Quels sont donc leurs intérêts réels et les enjeux politiques les concernant ?
Stagnation et prolétarisation
Dans les périodes de développement intense, et donc de forte croissance, les cadres sont au cœur du système. En effet, c’est de leur capacité à organiser le développement de nouvelles technologies, de nouveaux territoires et de nouveaux marchés que dépend directement la vitalité des entreprises. Ils disposent donc d’un grand pouvoir et d’une grande liberté laissés par les actionnaires, avec les moyens matériels qui s’ensuivent pour effectuer leur travail.
Cependant, dans les périodes de faible croissance, les actionnaires étant les décideurs en dernier ressort, ils vont préserver leurs intérêts en tentant de compenser ce qu’ils ne peuvent plus gagner en croissance par ce qu’ils peuvent gagner en tentant de rationaliser le fonctionnement des entreprises. Ils commencent alors à remettre en question les méthodes des cadres et à user de leur pouvoir pour réorienter leurs objectifs du développement maximal de l’entreprise vers la réduction drastique des coûts. Ceci a pour effet de diminuer fondamentalement le pouvoir, la liberté et les moyens des cadres, ainsi que la confiance placée en eux par les actionnaires.
Alors que l’entreprise croît, les cadres et les actionnaires ont le même intérêt au développement ; lorsqu’elle stagne, l’intérêt des actionnaires, qui est la réduction des coûts, entre directement en conflit avec celui des cadres, qui constitue une partie de ce coût.
Les principaux effets ressentis par ces derniers sont une dégradation des conditions de travail, une stagnation de la progression des salaires et une insatisfaction croissante du résultat de leur travail.
Mépris aristocratique
Au niveau de leur reconnaissance par la société, l’intérêt des cadres entre directement en conflit avec celui du milieu culturel reconnu comme légitime, de par le caractère fortement aristocratique de ce dernier.
En effet, la culture légitime se reconnaît dans le refus de l’utilitarisme, l’esthétisme de l’inutile, l’idée et les valeurs abstraites, l’éthique et l’humanisme intransigeant.
Or, de par leur pratique, les cadres sont au contraire ceux qui sont au contact du fonctionnement matériel de la société, ceux dont la rationalité sert à construire des projets à but fixé ; ils sont fortement conscients du fait que la morale abstraite ne peut pas gouverner leurs pratiques ; ils perçoivent le progrès comme l’achèvement concret de leurs projets, et leur esthétisme est celui de la qualité fonctionnelle. Ils ont donc tendance au matérialisme.
Ces deux groupes ont donc par leur fonctionnement des systèmes de pensée radicalement incompatibles. Cependant, le milieu culturel légitime revendique rien de moins que le droit de décider de ce qui est bien ou mal, digne et indigne, et ce par le biais de son pouvoir concret sur l’ensemble de la société, qu’il a obtenu par ancienne alliance avec la classe dominante, celle du capital, qui est sa mainmise sur le système éducatif.
Pour se maintenir dans leur condition, les enfants de cadres doivent donc passer par la formation idéologique et la sanction d’un système dont la symbolique est radicalement opposée à la conscience de leur pratique, et donc la rejette.
Symboliquement, cette lutte se cristallise par exemple autour du rejet absolu de la technologie par les milieux culturels et éducatifs dominants, qui lui attribuent l’ensemble des problèmes de nos sociétés, qui pourraient autrement être imputés au capitalisme, et par le rejet instinctif de ce qui symbolise le plus l’aristocratisme culturel par les cadres, et en particulier par exemple un profond mépris pour la littérature et la philosophie classique tels qu’ils sont enseignés par l’Education nationale.
Conclusion
Ces faits montrent que les intérêts des cadres sont en conflit avec ceux de l’ordre dominant sur des plans fondamentaux. Il existe donc de la place à gauche pour un mouvement qui les représente pleinement. Cependant, il semble qu’à cause de ses tendances humanistes et ses forts liens avec l’enseignement et la culture légitime, qu’il représente en fait dans leurs propres conflits avec le capital, le PS ne puisse pas jouer ce rôle. D’où l’invasion des cadres dans la gauche radicale et l’extrême gauche, où ils risquent de venir par leur formation peu à peu remplacer le prolétariat, dont ces organisations avaient pour vocation la défense, qui se trouve donc rejeté à la marge. La stratégie reste donc à redéfinir pour une gauche structurée.
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