Les Etats-Unis sont l’exemple le plus criant de la montée des inégalités. Deux chiffres synthétisent ce phénomène De 2009 à 2012, 95% de l’augmentation des revenus est allée au 1% le plus riche. Deuxième chiffre : près de la moitié des revenus revient à seulement 10% de la population.
L’oubli de 90% de la population
Le fait que 50% des revenus vont à seulement 10% de la population est un fait dont l’importance est sans doute sous-estimée. Il faut rappeler ici qu’en France,
selon les travaux de Piketty, Landais et Saez, ce chiffre est de 31% (et 64% du patrimoine est détenu par le 10% le plus riche). Le chiffre étasunien est intéressant car il est une sorte de cap malheureux vers lequel les autres sociétés semblent se diriger. Curieusement, peu de personnes semblent s’être penchés sur les conséquences systémiques d’un monde où 10% de la population a la moitié des revenus et deux tiers du patrimoine.
En effet, cela signifie que pour certains marchés, en ne ciblant que 10% de la population, on parvient à toucher 50% du potentiel de chiffre d’affaire. Mieux, ce chiffre d’affaire est bien plus intéressant que l’autre moitié pour trois raisons. Tout d’abord, cette partie du marché est beaucoup plus rentable puisque la cible dépense 10 fois plus que les 90% restants, ce qui lui permet de choisir des produits ou des services nettement plus chers, généralement à plus forte marge. Mieux, la part de cette cible dans le marché tend à croître puisque leurs revenus progressent plus que la moyenne Enfin, le ciblage marketing est rendu plus aisé par le fait qu’il suffit de cibler un nombre restreint d’individus.
Même si certaines entreprises prospèrent en servant les besoins des classes populaires, il ne s’agit que d’une minorité. Le bas de gamme est un marché beaucoup plus ingrat, où les marges sont faibles, les volumes importants mais peu valorisés, le CA stable ou en baisse, où l’innovation est plus difficile. Dans les grands groupes, ce sont rarement les priorités, la stratégie étant généralement de monter en gamme pour dégager plus de valeur et de croissance. Sans que l’on s’en rende bien compte, l’économie tourne de plus en plus pour satisfaire les besoins de 10% de la population seulement.
Des élites coupées de la réalité
Le problème est que les élites politiques, économiques et intellectuelles de notre pays font partie de ces 10% (et même souvent, d’un petit 1%). Un phénomène multiforme brouille leur compréhension de la réalité de la vie des classes moyennes et même des classes populaires. Tout d’abord, l’envol des très hauts salaires (Raymond Lévy, patron de Renault il y a 20 ans, gagnait 150 000 euros par an, Carlos Ghosn 100 fois plus) fait que des personnes gagnant plus de 100 000 euros par an pensent souvent sincèrement ne faire partie que de la classe moyenne supérieure (comme Hervé Mariton) et ne se rendent pas compte à quel point elles sont proches du sommet de la pyramide.
L’homogénéisation sociale du territoire contribue à ce sentiment, ainsi qu’un phénomène bien humain qui pousse les hommes à se sentir proche de la norme. Mais ceci pose d’énormes problèmes politiques car les décisions des élites ne sont plus prises avec une réelle prise de conscience de ce qu’est la vie des classes moyennes et encore moins des classes populaires. Dans la grande majorité des cas, cette coupure n’est pas consciente ni même volontaire : elle est le fuit du système. Il y a heureusement des rappels à l’ordre,
comme lors du Des Paroles et Des Actes de Jean-François Copé.