Vers une nouvelle societé de consommation
Conceptuellement mise en avant par Baudrillard en 1970 avec son livre homonyme, la « Societé de consommation » semble être vécue d’une manière de moins en moins complexée de nos jours. Ce concept d’abord énoncé par Baudrillard d’un point de vue alarmiste, semble s’être banalisé, bien qu’il ait été à l’origine des théories « matrixiennes » des frères Wachowski, ou inspirateur du travail inquiétant de design urbain et d’architecture du mouvement anglais Archigram, réagissant aux dangers de la culture de masse et de la technologie toute-puissante dès 1962. Cette societé de consommation toute-puissante semble prendre de nouvelles formes, nous allons ici essayer d’en disséquer quelques-unes.
Aujourd’hui les fêtes et célébrations sont de plus en plus nombreuses. Les dates célébrées à la base pour des raisons de calendrier religieux sont devenues des célébrations sociales, et ceci par un procédé naturel de passage du temps. Entourées d’une forte communication publicitaire et d’un marketing qui s’adapte à l’époque, les fêtes représentent un très bon exemple de la societé de consommation actuelle ; puisque leur finalité est de consommer. La célébration en elle-même n’a plus d’existence propre, puisque c’est sur les cadeaux reçus à son dénouement que les publicités et les gens eux-mêmes insistent. La fête est donc pensée en termes de cadeaux, de présents plus ou moins importants et non plus pour ce qu’elle est. Le fait de ne pas acheter de cadeaux pour Noël par exemple devient inconcevable, et ceci quels que soient les moyens financiers disponibles. Les célébrations et ce qu’elles engendrent d’un point de vue de consommation sont donc un bon exemple car elles s’apparentent actuellement à un rituel qui, s’il n’est pas respecté, entretenu, isole l’individu de son environnement (car il semble de pas y avoir d’ « excuse » pour ne rien acheter à la vue de la multiplication des enseignes peu chères, donnant à tous un faux moyen de consommer), et ceci même pour des fêtes conservées dans notre societé actuelle ayant une origine quelque peu sombre, telle la « fête des mères » instaurée par Pétain sous Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le téléphone portable est également inclus dans la societé de consommation actuelle, car il est non seulement un moyen pour communiquer, mais également un moyen de se différencier malgré soi dans une logique de consommation bien installée. De ce fait, le moyen de communiquer devient moyen de se démarquer, au regard des multiples formes qu’a prises la communication : SMS, appels, mails, et tout ceci accessible à partir d’un seul appareil. Le téléphone portable, paradoxalement, s’éloigne de sa fonction première, c’est-à-dire de recevoir ou d’émettre des appels : il officie également come agenda, appareil photo, lecteur multimédia... De ce fait, du statut d’objet il passe à celui de gadget, donc ne répond plus à un besoin. Le téléphone portable, par ses formes en perpétuelle évolution, devient un faire-valoir de la personne, sous-entendant que l’individu a « les moyens » d’acheter un tel objet, notion d’autant plus forte que l’objet, devenant de plus en plus pointu technologiquement, s’éloigne de sa fonction première : téléphoner. De plus, le téléphone étant un moyen de rester en contact avec les autres, le propriétaire exhibant son téléphone sous-entend, consciemment ou inconsciemment, qu’il est entouré d’un large réseau social. Pour finir, le « portable » tend à devenir un objet usuel, commun, et ne pas en posséder un est délicat, que l’on se sente concerné par le jugement des autres, ou tout simplement par simple praticité.
Il peut sembler étonnant de placer une pratique sportive au centre de la societé de consommation actuelle. Pourtant, le football en France semble être tout d’abord la première préoccupation médiatique, à la vue de sa place parmi les sujets de journaux télévisés par exemple. De plus, le football est apparemment un vecteur de bonne morale, véhiculant un message de fraternité, d’esprit communautaire dans l’effort. Karl Marx disait que « la religion est l’opium du peuple », on pourrait en dire autant du sport aujourd’hui, et plus particulièrement du football, sans se réclamer d’une quelconque idéologie. Vecteur d’une joie simple et contrôlable , ce sport est également un formidable argument de consommation. On peut citer le « vin » estampillé OL dans les boutiques lyonnaises, les pubs et autres bars se remplissant lors des jours de matchs. De plus, on peut également citer l’engouement l’été dernier pour les écrans « haute définition », leur achat étant systématiquement lié dans les publicités à la Coupe du monde de football. C’est sans compter la participation active des joueurs professionnels au paysage publicitaire. Le fait est que le football et ses acteurs sont élévés au rang de symboles, représentant des valeurs positives, sous-entendant leur vertu dans une societé prétendue « en crise ». Tous ces facteurs font que l’individu de base se sent obligé de consommer les produits affilliés ou, pire, de se sentir concerné mentalement par ce sport. Au-delà d’un débat d’idées, le football se place dans notre societé de consommation au titre de raison imparable d’achat et d’intérêt , un acte vide et facile, puisque l’individu consomme, croyant acheter dans le sens de valeurs honorables, valeurs vidées de leur sens et réduites à des signes, sans épaisseur par leur intrusion dans la sphère d’achat. Par l’achat justement, le consommateur croit également s’approprier, en plus du produit, ces valeurs et les appliquer dans sa vie personnelle.
Nous assistons depuis quelques années à une réelle augmentation des contrefaçons ou articles inspirés des créations des maisons de luxe. Cela s’explique tout d’abord, et sans rentrer dans le détail, par un image rajeunie de maisons de luxe, ceci par exemple pour Dior (avec Galliano) ou Yves Saint Laurent (avec Tom Ford). Ces nouveaux stylistes ont su remettre ces maisons sur le devant de la scène, intéressant et fascinant un public jeune et ceci grâce à la multiplication des accessoires, qui restent à un prix cher, mais accessibles au salaire d’une jeune femme seule sans enfants et travaillant à plein temps. Cela a placé ces maisons dans une logique de consommation puisqu’elles sont plus imitées que jamais. Le fait d’acheter un faux sac par exemple relève d’une logique au centre de la societé de consommation décrite par Beaudrillard. En effet, le prix exhorbitant de sacs produits par des maisons de luxe s’explique en partie par la qualité des cuirs, des finitions, du savoir-faire de la maison. Ce genre de sac représente un réel investissement et se garde à vie. Le fait d’acheter le même sac (même forme, monogramme, logo...), mais en cuir synthétique, relève d’un acte d’achat ne portant que sur la signification de l’objet. Il devient « totem » et perd de son essence. On veut signifier que l’on a les moyens de s’acheter un tel objet, mais l’on voit dès le premier coup d’œil que l’article est faux. L’individu se réduit donc à consommer pour chercher des signes. Cet achat relève d’un fantasme, irréalisable puisque fantasme justement, mais quand même transcendé car porteur de signes cachés, donnant à l’individu une consistance et une fausse appartenance sociale, quand même soutenue malgré l’évidence de la contrefaçon. On assiste donc à une recrudescence de faux article, ou d’articles « inspirés » de modèles de luxe, et ces achats relèvent d’une soumission malgré tout consciente à une logique de faire-valoir par l’achat.
Cette societé de consommation, à laquelle on résiste en se déclarant altermondialiste, mais en continuant malgré tout à acheter ses pantalons larges colorés dans les magasins à tendance indienne du centre-ville, semble s’insinuer dans les détails les plus anodins de notre quotidien.
Loin de s’en plaindre, peut-être faudrait-il s’interroger sur ses effets à long terme, ou ses possibilités à pousser l’humain que nous sommes à donner le meilleur de lui-même. Sans pour autant faire de victimes, car dans "societé de consommation" il y a "societé", ce qui définit un microcosme créé par au moins deux personnes. Pas de coupables à désigner donc.
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