Violence scolaire : quand une enseignante s’y met...
« Certains vont essayer de relativiser l’étendue et l’horreur des violences conjugales. Certains auront peut-être l’indécence de temporiser, au lieu d’agir. Ce n’est pas notre intention. Car on ne le répétera jamais assez : l’absolue singularité des violences conjugales, c’est qu’elles se produisent à l’endroit où l’on devrait se sentir le plus en sécurité. » (Édouard Philippe, le 3 septembre 2019).
Ce que disait Édouard Philippe, alors Premier Ministre, le 3 septembre 2019 au Grenelle contre les violences conjugales, est vrai aussi pour les enfants à l'école : en effet, pour les enfants, l'école, comme la famille, doit être le lieu de la sécurité absolue. Sécurité physique et sécurité affective. Alors, lorsqu'il y a des faits de violence à l'école, c'est un véritable scandale.
Souvent, il est question de violences entre élèves, de harcèlement scolaire, voire de violences commises par des élèves sur des enseignants. Le fait médiatique du jour, c'est encore pire : la violence vient de l'autorité, vient de l'enseignant, et encore pire que pire, sur une enfant à peine sortie de la petite enfance.
La vidéo que l'avocate de la famille, Vanessa Edberg, a mise en ligne ce lundi 9 septembre 2024 a provoqué consternation et malaise tant dans la classe politique que dans la communauté éducative. De quoi s'agit-il ? L'unité de lieu : une école maternelle dans le quinzième arrondissement de Paris. L'unité de temps : le jeudi 5 septembre 2024.
Une fillette de 3 ans qui venait de rentrer pour la première fois à l'école (rappelons-nous que l'école est désormais obligatoire à partir de 3 ans) a été frappée par sa maîtresse et aspergée de liquide. En fait, dès le deuxième jour de la rentrée, la petite fille avait expliqué à sa maman que sa maîtresse lui avait donné des coups. C'est la mère d'une autre camarade de la classe, présente, qui, étonnée puis choquée par le comportement de l'institutrice vis-à-vis de ses écoliers, a filmé la scène (cette mère étant étrangère se demandait si c'était normal en France).
Dans son message sur Twitter accompagnant la vidéo, l'avocate a écrit : « Une Maîtresse violente une petite fille de petite section et lui asperge un liquide sur la tête dans une école du 15ème arrondissement de Paris. Une plainte a été déposée. En tant qu’avocate je mènerai ce combat main dans la main avec la famille, en tant que maman mon cœur saigne. ». À la fin de la scène filmée de moins d'une minute, on entend l'enseignante dire à la fillette qui pleurait et criait : « Voilà, ça te fait du bien, là ? ».
Selon la mère de l'enfant (qui a affirmé : « Au départ, je n'y ai pas cru ! »), sa fillette ne fait plus que pleurer à la maison. La famille est sous le choc, et le choc pour l'enfant est énorme car sa première expérience avec l'école, peut-être avec l'extérieur sans sa mère, est de la violence. Elle aura du mal à ne pas avoir peur d'un enseignant dans son avenir proche.
Le parquet de Nanterre a ouvert le 10 septembre 2024 une enquête préliminaire confiée au commissariat d'Issy-les-Moulineaux à la suite de la plainte déposée le 5 septembre 2024 par la famille, pour des « faits qualifiés à ce stade de violence sur mineur de 15 ans sans incapacité ». Selon certains spécialistes, l'institutrice encourrait sept ans de prison en raison de trois circonstances aggravantes : cela se passe à l'école (lieu sanctuarisé pour l'enfant) ; sur une "mineure de 15 ans" (cela veut dire : enfant de moins de 15 ans) ; par une personne ayant autorité (enseignante). Le parquet de Nanterre devrait être rapidement dessaisi de l'affaire au profit du parquet de Paris où se trouve l'école.
De même, le recteur de l'académie de Paris Bernard Beignier a pris immédiatement une mesure de suspension de l'enseignante, dans l'attente des conclusions de l'enquête, visant à mettre en sécurité tant la fillette et les autres écoliers, les collègues de l'institutrice qu'elle-même. : « L’arrêté de suspension de cette enseignante, ce qui n’est pas une sanction mais une mesure de protection et ensuite il y aura à la fois une enquête pénale puisqu’une plainte a été déposée et une enquête administrative qui pourra conduire très certainement à un conseil de discipline, voire des sanctions qui vont du blâme à la révocation. ».
Le maire du quinzième arrondissement de Paris, Philippe Goujon (ancien député) a réagi sur BFMTV : « C’est tout à fait insoutenable, ce comportement est inqualifiable, venant d’une enseignante confirmée, qui était dans cette école depuis déjà une dizaine d’années. [Elle] connaît bien l’école, les parents, les élèves, et c’est une enseignante qui a une cinquantaine d’années (…), qui [ne] se laisse pas emporter normalement par ses émotions. ». Guislaine David, la secrétaire générale de la FSU-SNUIPP, principal syndicat des enseignants du premier degré, s'est déclarée choquée : « En tant qu’enseignants, nous devons assurer la sécurité physique et affective des élèves. ».
De son côté, selon son avocat, l'enseignante suspendue a regretté ses gestes dus, selon elle, à un emportement : « L'institutrice est en état de choc. Elle regrette profondément ce qu'il s'est passé. ». On peut imaginer surtout le choc émotionnel sur les médias et les réseaux sociaux d'être montrée du doigt, mais il y a une part d'indécence à exprimer cet état de choc alors qu'elle est l'auteure de cette violence et que c'est sur la victime, la fillette et sa famille, elles aussi en état de choc, qu'il faut se concentrer, que la société doit se concentrer, du moins les pouvoirs publics.
On pourra s'étonner sans doute de l'explosion médiatique de cette "affaire" alors que l'intérêt de tous les protagonistes (victime, famille, écoliers, établissement) serait plutôt de ne pas enflammer les passions publiques... sauf si c'est pour empêcher d'autres faits de violence à l'avenir, ce qui semblerait être l'objectif de l'avocate. En quelque sorte, le scandale est lui-même très instructif, car cela signifie que la société évolue. Il n'est plus possible de violenter les enfants sans créer un scandale, ce qui est relativement nouveau.
Il y a cinq ans, les parlementaires avaient adopté la loi n°2019-721 du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires. Elle signifiait, surtout aux parents, qu'on n'avait plus le droit de frapper physiquement ses enfants, ni gifles, ni fessées. Pour les "vieux" parmi lesquels je pourrais me compter, on a souvent estimé qu'une bonne claque pouvait être efficace et salutaire, déclencheur d'une maturité qui tardait à venir. La réalité, c'est qu'il y a des nourrissons qui meurent de la violence de leurs parents. Car il y a claque et claque, grosse claque qui blesse profondément le corps et petite tapette qui blesse surtout psychologiquement l'âme. Mais qui est le juge de paix de la pondération des claques ? Interdire sauve des enfants de la maltraitance, d'où cette loi.
A fortiori, un enseignant a encore moins le droit de frapper un élève que ses parents. Selon certains témoignages, ce n'était pas la première fois que cette enseignante frappait, mais pourquoi est-ce seulement aujourd'hui qu'on le lui reproche ? Sans doute un élément simple : la vidéo. L'image est parlante et remplace tout jugement. Cela fait cinquante ans que nous sommes dans une société de l'image (avec la télévision, puis Internet), mais c'est très récemment (depuis une dizaine d'années) que n'importe qui peut diffuser à grande échelle des images (en l'occurrence, ici, une mère sur la violence d'une enseignante).
Les réactions des internautes de Youtube à la vidéo de cette scène sont, elles aussi, instructives (et je soupçonne que ce sont issues de personnes plutôt âgées, en tout cas, qui ont le temps et l'oisiveté de se consacrer à réagir sur Internet). J'en ai pioché quelques-uns sur deux vidéos données. On voit à quel point le relativisme dénoncé par Édouard Philippe (voir au début de l'article) sévit et reste bien vivace.
Majoritairement, beaucoup disent qu'il ne faudrait pas exagérer, qu'il n'y a pas mort d'homme, que c'est une petite violence, jusqu'à faire part de leur expérience (j'ai été frappé et tout va bien maintenant, je n'en suis pas mort), voire se retournent contre les parents en demandant ce qu'ils ont fait de leur éducation pour cette pauvre fillette (rappelons-le : c'était sa première rentrée scolaire). Heureusement, d'autres s'insurgent contre cette violence et s'imaginent les parents de cette fillette.
Je ne doute pas que ces réactions d'hostilités vont perdurer parce qu'il y a toujours un fond de complotisme résiduel sur Internet et le complot, ici, ce serait de dire que la vidéo était un coup monté pour mettre en difficulté l'enseignante. Que celle-ci en soit consciente ou pas, taper des enfants de 3 ans ne sont pas des méthodes pédagogiques et si elle ne s'en sort pas avec ses élèves dans sa classe, il faudra penser sérieusement à évoluer vers un autre métier que l'enseignement. On s'étonnera aussi que personne, au rectorat, n'avait reçu auparavant de signalement sur cette violence dont serait coutumière cette enseignante.
Mais celle-ci ne doit pas payer non plus pour les autres, pour la violence à l'école en général. Les faits sont tristes pour tout le monde. Je laisse la justice enquêter au-delà des apparences médiatiques et donner ses conclusions. Ce que je retiens, c'est que cette sortie médiatique est une bonne mesure préventive voire dissuasive pour les enseignants susceptibles de violenter leurs élèves, surtout s'ils sont en très bas âge, car finalement, un lynchage médiatique peut faire plus mal qu'une véritable condamnation judiciaire. Alors, restons modérés dans les réactions, c'est plusieurs vies qui sont en jeu dans cette triste affaire, et heureusement, toutes ne sont pas finies.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 septembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
La foi de Sœur Marguerite contre l'exclusion scolaire.
Il y a 40 ans, l'énorme manifestation pour l'école libre.
Amélie Oudéa-Castéra.
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Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
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