Violences et médias : le cercle vicieux des logiques simplificatrices
La crise de violence que connaissent quelques quartiers de la France donne matière à tout citoyen d’affirmer haut et fort son point de vue, où s’entremêlent émotions, ras-le-bol, rancoeurs, raisonnements... Les raisonnements sont quelquefois faussés par des problèmes de logique, qui font l’objet du présent article.

Face à la montée de violence dans certains quartiers dits "difficiles" de notre pays, beaucoup d’entre nous se sentent concernés.
Face à une telle violence qui paraît gratuite, ou tout au moins sans discernement, se combinent pêle-mêle des réactions émotionnelles, des convictions, des raisonnements, de vieux démons, des rancunes, des rancœurs, des jalousies...
Les pensées dictent les émotions, les paroles et les actes. Quand elles sont négatives et destructrices, on comprend bien quelles peuvent en être les conséquences !
Comme pour beaucoup de conflits, qu’ils soient entre États, religions ou simples individus, se glisse une problématique de l’origine : "C’est toi qui as commencé ! - Non, c’est toi !". Ce peut être une histoire sans fin, comme nous le montre l’actualité internationale, tous les jours, dans certaines régions du monde.
Mais revenons à nos pensées, qui bien souvent mettent de l’huile sur notre propre feu et sur le feu commun.
La logique... chacun a la sienne, qui lui paraît souvent universelle, et source de vérités multiples et inébranlables.
Chacun a sa propre logique, ses propres logiques. Il faut bien reconnaître que chacun de nous est amené à tomber dans des pièges de logique. Dans un tel contexte social en France, il est intéressant de donner un éclairage sur ces biais de logique, dangereux dans l’escalade des ressentiments des uns envers les autres.
Le premier type de piège est la généralisation, illustrée de la façon suivante : un reportage à la télévision montre des malfrats dans le parking d’une cité en train de vendre une arme. Le visage des personnes est masqué, mais la voix, non. Le ton et le langage employés sont ceux des cités. Conclusion généralisatrice qui peut être tirée : dans les cités, tous les voyous sont armés. C’est une vraie jungle. Et en généralisant un peu plus : dans ces cités, il n’y a que des voyous armés.
D’un fait particulier, la généralisation tire une conclusion sur toute une catégorie de personnes et de quartier.
La généralisation est facilitée par le manque d’informations quantitatives. Par exemple, l’impact dans nos esprits n’est pas le même si l’on nous annonce : "Les jeunes de tel quartier se sont rendus coupables d’actes de violence", ou si une information quantitative est apportée : "Un groupe d’une quinzaine de jeunes s’est rendu coupable..."
Ce que l’on peut noter par ailleurs, c’est que les médias offrent une profonde caisse de résonance à la violence. Il est très facile de provoquer une dramatisation. Ce qui ajoute à cette amplification, c’est qu’il suffit d’un tout petit nombre d’individus pour réaliser des actes spectaculaires. Une manifestation extrême en est l’attentat à la bombe. En développant cet exemple extrême : il suffit d’une poignée d’individus sur une population de plusieurs millions pour provoquer le spectaculaire dans l’atrocité et dans la violence.
Un autre exemple de généralisation concerne la Corse. Un certain nombre de nos concitoyens sont persuadés que tous les Corses sont des poseurs de bombes et des nationalistes.
Un deuxième type de piège est le devoir d’appartenance à un groupe idéologique, religieux, corporatif, régional, social... C’est une forme de pensée en tout ou rien, dans laquelle la vérité est détenue par le groupe auquel on appartient, et alors le mensonge vient des autres groupes, ou de l’extérieur. Si un incident survient entre un habitant d’origine maghrébine d’une cité et un policier, le premier réflexe, et même souvent le raisonnement, conduira à considérer :
- pour les habitants d’origine maghrébine, que c’est un abus de pouvoir de la police,
- pour les policiers, que c’est un acte délictueux,
- pour toute une partie de la population à tendance raciste, que comme par hasard, c’est encore un Arabe qui se fait remarquer,
- pour les groupes antiracistes, que c’était un délit de facies.
Et peu importe ce qu’a été la réalité de l’événement, bien souvent, chacun campe sur sa position et trouve le moyen de noyer le poisson, si jamais la vérité ne va pas dans le sens prévu.
Un autre piège classique est l’exagération. L’information que l’on reçoit peut être déjà déformée à la source. Nous avons tous des exemples de reportages, d’articles ou d’informations qui ont amplifié les faits (ceci quelquefois pour capter plus facilement le public). Et puis chacun de nous, à partir de la même information, peut en tirer des enseignements ou une mémorisation exagérée.
Le piège suivant est relatif au traitement des données statistiques, aux interprétations que l’on en fait, et aux corrélations que l’on peut être amené à faire entre ces différentes données. Par exemple, si je vous dis que X % des délits sont commis par des personnes d’origine maghrébine, certains en déduiront que X% de la population maghrébine commet des délits. Or ces deux assertions n’ont rien à voir l’une avec l’autre, et ne sont pas corrélées.
Un petit mot maintenant sur le poids des mots. Imaginez la situation suivante : on apprend d’une source bien informée qu’un policier a tué une personne d’origine maghrébine, et ceci dans des circonstances encore inconnues. Un premier journal va titrer sobrement : "Un policier tire sur un jeune d’origine maghrébine dans des circonstances que nous ne connaissons pas encore".
Un deuxième va titrer : "Encore un jeune maghrébin abattu par un policier dans des circonstances qui restent opaques." On voit bien que le poids des mots n’est pas le même. D’abord, le mot "encore", qui peut être interprété comme "c’est une trop longue série". Ensuite le mot "opaque", qui sera probablement interprété par certains comme "on est en train de maquiller ce crime en accident".
Une autre forme de piège est lié à la chronologie des événements. Certains voient forcément dans la succession de deux événements une relation de cause à effet. Prenons l’exemple suivant : une voiture est incendiée dans un quartier. Le lendemain, un jeune est maltraité par des policiers. La tentation sera forte de trouver une relation de cause à effet entre ces deux événements qui ne sont pas forcément liés. Simplement, le deuxième se produisant après le premier, certains y voient une évidente corrélation.
Nous, citoyens, devons être vigilants dans l’analyse que nous faisons de la situation actuelle. Du fait de nos propres erreurs de logique, de raisonnement, du rôle de certains médias pour créer des événements, et de la manipulation exercée par certains groupes pour tirer parti, d’une façon ou d’une autre, de tels événements, il est clair que la facilité est grande de participer à de vigoureux élans dans lesquels les idées sont réduites à des slogans minimalistes, réducteurs, sans nuances, et facteurs de conflits.
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