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Violences urbaines : les atouts allemands

Alors que la presse allemande commentait la crise française et tentait d’analyser les causes de la situation dans nos banlieues, huit voitures ont brûlé le week-end dernier à Berlin et à Brême. Immédiatement, cet événement -somme toute marginal- a provoqué le débat dans la classe politique et les médias allemands : serait-ce là le signe d’une situation comparable à la France ?

Pourrait-on assister à un déferlement de violence tel en Allemagne ? Peut-on seulement transposer le concept de « banlieues » aux villes allemandes ? Plusieurs voix se sont élevées : certaines, alarmistes, comme celle d’Heinz Buschkowsky, le maire de l’arrondissement de Berlin-Neu-Kölln, qui déclare que « si rien n’est fait pour les jeunes de milieux défavorisés, nous aurons Paris ici dans dix ans », d’autres, majoritaires, qui s’accordent à dire que ces événements restent isolés, et que la situation en Allemagne est incomparable avec celle de la France. Comment l’Allemagne, pays de forte immigration depuis 50 ans, gère-t-elle l’intégration de nouvelles populations, et pourquoi, comme le disent la plupart des responsables locaux, ne connaît-elle pas de «  ghettos à la française » ?


Morceaux choisis
dans la presse allemande

Dans l’ensemble, la presse allemande commente la crise française sans faire d’amalgames et tente d’analyser profondément les causes de la situation française.
« Comment a-t-on pu laisser se développer ainsi les conditions de vie dans lesquelles les jeunes casseurs vivent ? » s’interroge le Süddeutsche Zeitung.
Le Frankfurter AllgemeineZeitung, quant à lui, ironise : « La France est un pays un peu hystérique ces derniers temps, à maintes reprises, on a joué sur les peurs et les débats ont pris la forme d’une guerre rhétorique : sur l’antisémitisme, la constitution européenne, l’immigration, Le Pen, le voile, la guerre en Irak. De tout petits événements, on fit volontiers des affaires d’État. [...]. Mais maintenant, alors que les voitures sont vandalisées par milliers, qu’écoles et entrepôts s’enflamment, le pays reste étrangement sans voix. »
L’hebdomadaire Der Spiegel s’inquiète : « Des voitures qui brûlent, une violence dans les quartiers et du vandalisme [...] : le rêve d’un vivre-ensemble multiculturel harmonieux est brisé. »

L’Allemagne, comme la France, est un pays qui a connu des vagues d’immigration successives ; à partir des années 1960, le pays accueille majoritairement des populations turques. Depuis la chute du mur de Berlin, l’Allemagne doit non seulement faire face aux problèmes liés à l’intégration des Allemands de l’Est dans la nouvelle société réunifiée, mais aussi accueillir des immigrants originaires de la CEI et de Roumanie, les Spätaussiedler
- populations qui ont une ascendance allemande-. De plus, alors que la France, en appliquant le droit du sol, avait le désir de créer une société très égalitaire, effaçant le concept de minorité, l’Allemagne est régie par le droit du sang -même si une réforme est engagée pour élargir ce concept de la nationalité. A priori, cet accès plus difficile à la nationalité aurait pu créer plus de ressentiment chez les enfants d’immigrés.

Or, en étudiant les situations dans les grandes villes d’Allemagne, on se rend vite compte que le concept de nos banlieues n’est pas transposable, et que, si l’Allemagne est aussi confrontée à des problèmes d’intégration, ceux-ci n’ont pas de commune mesure avec la violence connue en France.

Tout d’abord, l’Allemagne ne connaît pas l’urbanisme de nos banlieues françaises : il n’existe pas, à Berlin ou à Francfort, de ghettos qui aient la structure architecturale de « tours » françaises et qui concentrent une même population à plus de 90%. Bien sûr, il existe des quartiers comme Neu-Kölln à Berlin, où le taux de chômage est beaucoup plus élevé que la moyenne nationale, il existe des rues « turques », mais il n’existe pas de quartiers entiers livrés à une même population, et qui glisseraient lentement vers une zone de non-droit. Les populations immigrées qui arrivent en Allemagne sont dispersées dans tout le pays et dans des quartiers très différents ; ainsi, de petites villes universitaires tranquilles et cossues, comme Freiburg ou Heidelberg, doivent aussi accueillir et intégrer une part de ces populations. La mixité sociale est beaucoup mieux gérée. Günter Piening, responsable de l’intégration à Berlin fait le diagnostic suivant : « Une étincelle peut partir, mais nous n’aurons pas ce qui se passe à Paris : cette expression de désespoir profond et d’exclusion vécue quotidiennement, nous ne la connaissons pas ici. » La décentralisation allemande permet aussi de donner beaucoup plus de moyens aux niveaux régional et local, et d’être plus près des problèmes pour pouvoir agir.

La deuxième grande différence avec la France réside dans le système scolaire et dans l’entrée des populations jeunes sur le marché du travail. Le système allemand fait la part belle aux formations technologiques et à l’apprentissage à côté de l’enseignement général. De plus, les écoles situées dans les quartiers défavorisés font beaucoup pour intégrer tout le monde : à Hambourg, par exemple, elles accueillent les élèves toute la journée, et les après-midi sont consacrés à aider ceux qui ont le plus de difficultés, et à initier les autres à la musique, à l’art, à la lecture... Enfin, le marché de l’emploi allemand, de façon générale, est plus ouvert aux jeunes -diplômés ou pas-, le chômage est mieux réparti sur toutes les classes d’âges qu’en France.

Le maire de l’arrondissement Neu-Kölln met un bémol à cette analyse, et prédit une dégradation de la situation si rien n’est fait pour résoudre le problème du chômage, deux fois plus élevé chez les immigrés que chez les populations allemandes, mais il est d’accord pour dire que la situation dans son quartier n’est pas explosive. Et Daniel Cohn-Bendit renchérit : « Kreuzberg [quartier difficile de Berlin] est une île de tranquillité sereine comparée à ce qui existe en France ».

En examinant l’exemple allemand, c’est moins l’intégration des populations turques des grandes villes qui pose problème que l’insertion dans la société allemande réunifiée des populations des petits villages de l’ex-RDA, où le chômage est ravageur, la perte de repères, dangereuse, et qui doivent en plus intégrer des immigrants russes. C’est plutôt là que l’on trouve des situations désespérées, des bandes de jeunes désoeuvrés et sans avenir et qui, parfois, ont pour environnement les «  Plattenbauten », vieilles barres d’immeubles héritées de l’époque communiste.

Auteur : Anne-Lise BARRIERE, Euros du Village


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