Vivre avec la mort
« Jamais peut-être le rapport à la mort n’a été si pauvre qu’en ces temps de sécheresse spirituelle où les hommes, pressés d’exister, paraissent éluder le mystère. Ils ignorent qu’ils tarissent ainsi le goût de vivre d’une source essentielle. » Ces mots sont de François Mitterrand. Ils sont tirés de la préface qu’il a écrite pour le livre « La mort intime » de Marie de Hennezel, psychologue. « Comment mourir ? », s’interroge Mitterrand en fin de préface. Plutôt : comment vivre la mort ?
La mort technicisée :
Aujourd’hui, 80 % des gens meurent à l’hôpital. Même les généralistes ne voient plus mourir leurs patients. Les unités de soins palliatifs sont nées il y a quelques années. Elles ont pour but spécifique d’accompagner les mourants. C’est en visitant l’une de ces unités (celle de l’auteur du livre précité) que l’ancien président de la République fut confronté au cas d’une mourante, Danièle, qui ne croit pas à la vie après la mort mais qui attend néanmoins sa fin proche avec sérénité. Les unités de soins palliatifs sont apparues en Grande-Bretagne. La France les a adoptées avec retard (loi de 1999 énonçant le principe de l’accès à tous à des soins palliatifs). Notre pays accuse encore de grandes disparités dans les soins palliatifs. Le président Sarkozy vient juste de rappeler cette triste réalité : "Je ne serai pas celui qui expliquera aux Français qu’il n’y a pas d’argent" pour qu’un membre de votre famille ait "le droit de mourir dans la dignité", parce qu’"en France nous avons moitié moins de lits de soins palliatifs qu’en Grande-Bretagne".
Au-delà même de l’inégale répartition des moyens sur notre territoire ou de leur insuffisance, se pose aussi la question de la formation des équipes soignantes qui se trouvent investies de la prise en charge des fins de vie, puisqu’il y a désormais, signe des temps, « des endroits pour ça » et « des gens payés pour ça ». Ces équipes portent un regard médical, qui a tendance à découper l’individu en autant de parties que de fonctions physiologiques. C’est une approche moins technicisante et plus humaine qu’il faut développer et enseigner dans les facultés.
Récemment le regard riche et émouvant de l’écrivain Suzanne Bernard, dans Le Passage (éditions Le Temps des cerises) est venu apporter un éclairage particulier. Cette patiente, ayant refusé l’intrusion chirurgicale, a signé une décharge et s’est vue orientée vers le centre de soins palliatifs pour y mourir. Elle en est sortie vivante ! Elle n’était pas moins vivante pendant ce séjour avec les autres personnes en fin de vie, vivante d’une vie intérieure, et mêlée de spiritualité, dont elle témoigne.
La mort et les mentalités
Philippe Ariès, considéré comme le Darwin de la mort, historien des mentalités, a écrit Histoire de la mort en Occident en 1975 aux Éditions du Seuil. Il dit que la mort est désormais de plus en plus considérée comme une transgression de la vie mais aussi comme une rupture. Cette idée de rupture est tout à fait nouvelle car la familiarité avec la mort touchait autrefois même les riches et les puissants. C’était la mort apprivoisée. La montée de la conscience individuelle à partir du XIIe siècle n’a pas éloigné la mort de cette proximité quotidienne. « Pendant plus d’un millénaire depuis le VIe siècle après Jésus-Christ jusqu’à la Renaissance, on peut dire que la mort ne faisait pas peur aux gens. Elle était l’un des grands moments de la vie. » On attendait la mort : aujourd’hui on lutte contre elle. Et spécialement les médecins qui sont hommes de progrès et qui sont confrontés à la souffrance des familles. « On a expulsé la mort pour jouir de la vie. On a récolté un échec humain d’un genre nouveau. »
La mort est bien de nos jours l’objet d’un déni et d’un rejet de notre société. La mort est d’actualité même si nos esprits l’effacent par confort moral. L’exemple du Darfour est à ce titre significatif et Sarkozy de rappeler cette douloureuse évidence « Le silence tue ! » Ce qui n’empêche pas la mort d’être à la mode ! Depuis quelques années, nous assistons au développement de la musique gothique, à la commercialisation de vêtements pour ados gothiques et d’objets à tête de mort. « La mort vous va si bien » est même le titre donné par Elie Bleu au communiqué de presse présentant ses boutons de manchettes « sublimatoires ». La mort comme fantasme effrayant est un vaste marché, mais la mort réelle aussi. En France néanmoins les règles de ce marché sont moralisées. Ainsi, par exemple, depuis 1993, les pompes funèbres ont le monopole de l’organisation des obsèques. En science aussi, la mort est à la mode. Cela s’appelle la thanatologie, une science qui a pris un grand essor aux Etats-Unis. La thanatologie est l’étude ou science de l’expérience de la mort et de l’agonie et du processus de deuil.
La mort et l’éducation
Le fait de cacher la mort aux enfants peut avoir des dommages sur la santé globale. Beaucoup de gens pensent qu’il est paradoxal de parler de la mort avec des enfants qui représentent la vie. Or, le fait de parler tôt avec les enfants de la mort permet de réduire les prises de risques pendant l’adolescence comme la drogue, et même avant : souvenons-nous des dangers du « jeu du foulard », cette pratique qui s’apprend dans les cours d’école et qui consiste à s’étrangler progressivement avec un morceau de tissu pour "planer" (un effet dû au manque d’oxygène dans le cerveau). Inconscients du danger, des dizaines d’enfants en sont déjà morts. Une action pédagogique spécifique a été initiée par Xavier Darcos, alors ministre de l’Éducation nationale. Désormais, les élèves seront informés en cours de SVT (sciences de la vie et de la Terre) et d’EPS (éducation physique et sportive) des risques liés à cette pratique.
C’est une erreur de croire que les enfants ne sont pas aptes à percevoir ce qui arrive. Ils ressentent que quelque chose de grave est en train de se passer. Face à une situation qu’ils ne comprennent pas, ils vont bâtir leurs propres hypothèses, élaborer leurs propres explications qui peuvent être bien pires. En voulant leur épargner un danger présumé traumatisant, on crée chez eux un profond malaise. Il faut leur dire la vérité car le mensonge risque de faire plus de dégâts que l’explication de la réalité. Les enfants qui se sont familiarisés avec la mort respecteraient davantage la vie et le vivant. Le sujet de la mort permet aux enfants de parler de leur vie et des difficultés qui vont avec. L’éducation à la mort lève ainsi d’autres non-dits. Rien n’est pire que le silence gardé ou le mensonge. Dire la vérité aux enfants ne signifie pas la montrer dans toute sa crudité et toute son horreur. Mais l’absence d’explication donnée fait naître de l’incompréhension comme « Je ne sais pas de quoi mon chien est mort, ni ce qu’il est devenu après ». Ou pire, des fantasmes qui peuvent parfois les suivre jusqu’à la fin de leur vie. Dans le cas du de deuil entraîné par le suicide, c’est encore plus difficile car ce n’est pas un deuil comme les autres ; il est générateur de culpabilité et même de « contagion suicidaire ».
Mort et vieillesse sont devenues des réalités bien inconvenantes que l’on doit soustraire à nos regards de vivants. Il est malséant d’en parler. La compagnie des veufs ou veuves n’est pas recherchée...« Comment mourir ? », s’interrogeait Mitterrand. Mais comment vivre avec la mort ?
Bibliographie sur Agoravox sur le thème de la mort : :
La place de la mort dans notre société, par HOUSSAYE Marc :
Des limbes et de la nature des âmes, par Patrice Lanoy :
Stop aux jeux mortels pour nos enfants ! , par Gilbert Spagnolo :
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