Y a-t-il une différence entre un crime civil et un crime guerrier ?
La criminalité au sens pénal du terme définit des agissements de violence radicale -dont le meurtre en est le représentatif le plus extrême-, entre citoyens d’un pays ou d’une communauté, à l’intérieur d’un espace juridique donné. A la fin de la seconde guerre mondiale, les « principes de Nuremberg » (1950) définissent trois types de crimes au niveau du droit international que sont les crimes de guerre, les crimes contre la paix, et les crimes contre l’humanité. Si ces derniers concernent avant tout les agissements de gouvernements ou d’individus responsables au sein d’institutions gouvernementales ou obéissant à des ordres hiérarchiques, la nature des crimes de ce genre est-elle si différente de ce que l’on nomme crime, au niveau pénal, au sein d’une société donnée ?

Il apparaît tout d’abord que le rapport au crime fasse l’objet de deux poids deux mesures dans nos sociétés dites civilisées et modernes, et notamment dans une République comme la République Française, fière de son « exception culturelle » et de ses valeurs humanistes « universellement » reconnues. Si l’abolition de la peine de mort en France en 1981 demeure une avancée institutionnelle de grande importance, le fait que la France fut alors le dernier pays d’Europe occidentale, à encore reconnaître la légitimité de ce crime dans la loi au début des années 80, est aujourd’hui bien moins connu par les citoyens de ce pays. Mais si le crime à l’égard des criminels fut aboli au sein du territoire français dans la vie des institutions de ce pays, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui de tous les pays démocratiques dont les Etats-Unis, première puissance politique et économique mondiale, le crime à l’égard des ennemis de la nation est toujours de nos jours une composante majeure de la politique non seulement nationale mais également internationale au sein même des institutions politiques et juridiques en charge de la mise en place et du bon fonctionnement de la mondialisation économique.
Ainsi, de nos jours, la guerre est reconnue comme légitime par les conventions de Genève (1949), produites en réaction au second conflit « mondial » de la première moitié du XXième siècle, et le concept de « guerre juste » est également avancé par certains universitaires (Decaux, 2005) en rapport à la notion de responsabilité des gouvernements. Mais qu’est-ce qui diffère, intrinsèquement ou fondamentalement, entre un crime d’envergure pénale au sein d’un territoire donné, et un crime guerrier dans le cadre d’un conflit opposant différents gouvernements ou groupuscules au sein d’un territoire opposant des forces armées ? La nature du terrorisme politisé par des gouvernements, comme le cas d’organisations de type Al-Qaïda, accentue encore la problématique de la définition de la criminalité instituée réduisant encore plus le fossé existant entre crimes civils et crimes de guerre, le terrorisme, par sa nature groupusculaire et internationale, se situant à mi-chemin entre le crime organisé civil et le crime organisé guerrier.
Mais qu’il soit de nature civile, pénale, terroriste ou institutionnellement légitimé par l’Etat et son armée, le crime contre un autre être humain n’en demeure pas moins identique dans les faits et le résultat. Il n’y a fondamentalement aucune différence entre le crime de sang d’un braqueur de banques, ou d’un déséquilibré mental, et un crime de sang d’un soldat français en Afghanistan ou ailleurs, si ce n’est que le crime diffère uniquement par le contexte légitimé ou réprimé de son exécution. Aussi, l’idée de crime contre l’humanité établie de manière militaire dans les principes de Nuremberg, est pensée « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile et en connaissance de l’attaque » (Statut de Rome, 1988). Mais en quoi les crimes de sang individuels d’un soldat, d’un braqueur de banques, ou d’une personne déséquilibrée diffèrent-t-ils factuellement, en tant qu’ils constituent intrinsèquement et fondamentalement pour chacun d’entre eux le déni même de l’humanité d’un ou de plusieurs individus particuliers, et indépendamment des contextes particuliers de leurs exécutions ?
Il est clair que tous ces crimes individuels, comme n’importe quel crime d’un être humain contre un autre être humain, sont des crimes contre l’humanité, et que la notion de crime contre l’humanité réduite à la seule perspective de crimes militaires de masses est infondée et illégitime. Car chacun d’entre nous est un représentant de l’humanité, quelque soit l’identité nationale ou communautaire, et nous sommes tous des êtres humains habitant sur une seule et même planète, quelqu’en soit la dénomination conceptuelle ou mythologique : la planète de la citoyenneté mondiale, ou celle de l’écologie humaniste, la Terre-Mère de certaines cultures comme celle des amérindiens, ou encore la Terre-patrie d’Edgar Morin et Anne-Brigitte Kern (1996). Mais la planète n’appartient à aucun groupe culturel ou intellectuel spécifique, et est au-delà de toute dénomination conceptuelle, philosophique, affective ou mythologique particulière. Ce n’est pas la terre de quelques nations ou de quelque religion organisée que ce soit. C’est simplement le lieu de vie de toute forme vivante connue à ce jour, et également de l’humanité.
L’institutionnalisation du crime par l’Etat dans le cadre de conflits armés révèlent bien la nature criminelle de nos sociétés, qui autorisent la guerre et la criminalité au nom d’intérêts « particuliers » ou « communs ». Il n’y a pas plus de « guerre juste » que de crime juste. Un Etat en situation de guerre est un état criminel, dont les responsables assoient leur pouvoir par la légitimation de crimes contre l’humanité, dont la guerre en est une forme instituée. Au XXIème siècle, le crime guerrier, qui est un crime contre l’humanité, contre d’autres êtres humains, est banalisé au nom de la démocratie, voire d’idéaux humanistes ou religieux, et l’industrie de l’armement en est la composante économique et hautement hypocrite, car ce n’est pas en préparant la guerre que l’on peut établir les fondements d’une paix non pas durable, mais de la paix tout court, nécessitant non seulement une révolution psychologique individuelle mais également dans le même temps, institutionnelle des êtres humains organisés en réseaux sociaux, indépendamment des divisions arbitraires créées par la culture, que celles-ci soient nationales, communautaires ou religieuses, aboutissant toujours au conflit séparateur entre les êtres humains.
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