Young & Rubicam et Nova chantent le Blues ? Tropiques FM crie au scandale !

Les protagonistes

Young & Rubicam est l’un des plus gros groupes de communication au monde et existe depuis 1923. En gros, c’est une agence de pub, et c’est gros. Ils conçoivent des publicités pour le compte d’annonceurs, souvent très gros, réalisées des fois par des boîtes de production, plutôt grosses. Bref, c’est une histoire de gros.
Nova est une célèbre radio alternative française, célèbre pour son côté engagé, célèbre pour sa liberté de ton et d’esprit.
Plein Soleil est une boîte de production de films publicitaires.
Tropiques FM est la radio de la communauté antillaise de France, le 5e Dom comme on dit. Elle a remplacé à grand fracas, il y a quelques mois, Média Tropical, et affiche aujourd’hui des scores d’audiences très satisfaisants (Devant Africa n°1, et Beur FM !! ).
Vous, vous êtes les gens qui composez la France, de culture antillaise ou autre.

Ca c’est fait.

Prologue

Nova communique peu. En fait, Nova n’a pas communiqué depuis 1981. Alors, quand elle le fait, elle voit grand et demande à Young & Rubicam de lui concocter une campagne de pub aux petits oignons. Le brief devait tourner autour de la révélation des origines des genres musicaux, avec clap de fin sur un disque vinyle + phrase choc, et deux tranches de jambon avec ça s’il vous plaît.

Young&Rubicam sort alors ses plus “grands” concepteurs-rédacteurs (= journalistes publicitaires), stratèges, story-boardeurs et pond huit spots expliquant les origines de huit styles musicaux. Elle fait ressortir toute la puissance de la marque selon son procédé déposé de BrandAsset Valuator... Enfin, elle fait appel à Plein Soleil pour la réalisation de ces films. Et hop en ligne !

Tout va bien jusque-là.

L’enquête

Ce soir en écoutant Tropiques FM dans la voiture, j’entends la voix de Claudy Siar qui parle d’une vidéo choquante. Je n’y fais pas plus attention que cela. En rentrant chez moi, je vais sur le site de Tropiques FM pour complètement autre chose, et je retombe sur cette histoire de vidéo choquante ! J’y apprends que la vidéo vient d’être retirée d’un site, Nova, et parle des origines du blues. Prrrt ! Mystère et boule de shit  !

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Je clique sur le lien depuis le site de Tropiques FM et j’arrive sur la page Dailymotion. La vidéo n’est effectivement plus là. Là je découvre qui est derrière cette vidéo : l’agence Young& Rubicam et la société de production Plein Soleil, et plus particulièrement les mystérieux réalisateurs “Francois & Laurent”.

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Hargneux tel Derrick, je continue mon enquête, et clique sur le lien pointant vers le site de Nova et là, voici ce que je trouve :

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C’est à ce moment que je me dis que l’affaire doit être assez sérieuse quand même ! La boulette de shit se transforme en caisse de coke ! Mais là il ne me manque qu’une chose : pouvoir voir cette vidéo et me faire mon propre avis.

J’ai donc recherché le site de la boîte de production, Plein Soleil, et oh ! surprise ! la vidéo y est ! Elle est dans les références d’un certain François Valla. Le François de “Laurent et François”. Le monsieur est apparemment fier de son oeuvre puisqu’elle figure en bonne place dans sa liste. Le bénéfice du doute lui est encore accordé à ce stade.

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Puis je clique sur l’icône pour enfin pouvoir visionner la vidéo, qui fait tant de remous jusqu’à en faire tomber le DG de Nova de son siège et prendre sa plume.

L’image se met en mouvement.
Ceux qui ne veulent pas voir ferment leurs yeux, je la mets pour la compréhension de ce qui va suivre, et pour équilibrer le débat.

Mes impressions concernant le clip

Cette vidéo laisse irrémédiablement une impression bizarre. Elle est dérangeante, voire de très mauvais goût. Je l’ai fait regarder à plusieurs personnes qui mises côte à côte, forment un bel arc-en-ciel multicolore, et la réaction est la même : indignation, ou malaise.

Le bruit des coups de fouet et ce visage noir en gros plan sont insupportables à voir dans une pub, comme si la souffrance qu’engendre un crime contre l’humanité pouvait se relativiser, et s’ironiser, se mettre en arrière-plan, en justification d’une fin tierce quelconque. Au même titre qu’aucune pub ne pourrait jouer avec des codes rappelant le génocide du Rwanda ou la Shoah sans soulever en moi un sentiment de malaise.

Mais cette sensation est amplifiée en tant qu’Antillais. J’ai grandi là-bas, c’est mon histoire, celle des parents de mes arrières-grands-parents. J’ai assisté à bon nombre de commémorations de l’abolition de l’esclavage. J’ai vu une représentation théâtrale d’une vente d’esclave sur la place de la Victoire, à Pointe-à-Pitre, pour les 150 ans de l’abolition. Ce n’est donc pas pas une question de représentation, mais de ton, et de fin poursuivie.
La foule amassée partageait le même sentiment : c’est un effroi terrible, une émotion sincère. Les concepteurs de cette publicité, les responsables de Nova manquent terriblement d’émotions humaines pour avoir pu faire et laisser faire cette publicité. Comme si la souffrance d’un Noir avait si peu de valeur de ce côté de l’hémisphère Nord, qu’on puisse l’exhiber dans un but ludique.

Revenant sur le site de Tropiques FM, j’apprends que l’émission du soir sur la radio est consacrée à cette histoire. Je l’attends, je l’écoute. Je suis arrivé vers la fin, mais j’ai relevé l’essentiel. Le ton est apaisé, les interventions intéressantes. Les personnes renouvellent leur émoi, et parlent petites discriminations, grands clichés et racisme ordinaire. Ils expriment leur joie d’avoir réussi à gagner cette petite bataille. Mais, pour certains, qui subissent tous les jours le poids de la mélanine sur leur épiderme, c’est une grande victoire.

Ouvertures

Le poids de la diversité dans les réflexions stratégiques des agences
La réaction de Nova, par le mot du DG est très digne, très réfléchie, mais la réflexion dans ce genre d’histoire, il faut l’avoir avant, pas après coco. Cela mériterait au moins la démission du directeur marketing de Nova... et une grande annonce à l’américaine dans le style “Show your love” : financement de la construction d’une statue de la Négresse Solitude devant les locaux de Nova, annuler le séminaire d’entreprise de l’équipe de Nova au Mexique, et aller sur l’île de Gorée avec les gars de Young & Rubicam à la caméra...

Je les imagine dans un bureau en train de regarder la vidéo de la pub avec le directeur de clientèle de l’agence, et se souriant dessus copieusement à la vision de la chute du film : “Euh euh alors Jean-Claude tu comprends le concepteuuu !! Ce sont les racines du Bluuues tu comprends euuuuh !! Tu vois ce que je veux dire, insight, pam pam, BrandAsset Valuator, boum boum, et hop emballé, c’est pesé !!”.
Relisez maintenant cette phrase en rajoutant les cris et les bruits de fouet derrière.

Young & Rubicam et Plein Soleil présentent fièrement cette campagne dans leurs références et n’ont pas communiqué sur la polémique, à ce jour. Pourtant Nova n’a fait "qu’" accepter ce que l’agence a conçu et le producteur a réalisé. Les torts sont partagés entre eux trois avec, au moins 90 % pour l’agence, selon moi. C’est de son cerveau malade qu’est sortie l’idée géniale. Et cela illustre bien les “problèmes” auxquels doivent faire face les agences confrontées à une diversité présente en France, qui s’organise, et ne se laisse plus humilier comme à la grande époque de Banania.

A la lumière des Lipdubs des agences de pub diffusés sur le net, on comprend que la diversité d’opinions, d’idées créatives, de champs de réflexions et de ressentis culturels ne sont pas une réalité dans bon nombre d’agences de pub ayant pignon sur rue.

L’émergence d’agences véritablement multiculturelles et cosmopolites doit être la solution à cette confiscation de l’intelligence publicitaire au profit d’une seule et unique vision de la France et du monde. Elles existent, ce marché est émergent et trouve dans ce genre de polémique leur utilité.

Le rôle des médias communautaires (ou de la diversité comme on l’entend maintenant)
L’institut Panos de Paris se présente en disant “[...] fonder son action sur la conviction que le pluralisme des médias et de l’information constitue un facteur essentiel de démocratie, de paix et de citoyenneté.”
Je pense que nous avons un exemple grandeur nature ici.

Même si des initiatives individuelles ont grandement contribué à mettre la pression sur Radio Nova, la radio de la communauté antillaise Tropiques FM a joué son rôle à fond. Alerter (moi le premier), fédérer et catalyser.

Elle a permis de mettre en oeuvre l’adage qui dit que l’union fait la force. La radio s’est faite écho de voix qui n’auraient jamais pu atteindre l’unisson sans elle.

Elle a permis à des gens calmes, responsables et complètement apaisés de signaler leur mécontentement sans violences, ni heurts. Ce média permet ainsi d’intégrer les Antillais qui se sentent discriminés, choqués, offensés à l’intérieur d’un processus de discussion, démocratique, pacifique, avec Radio Nova en l’occurrence, qui semble-t-il n’avait pas perçu la chose de cette façon. Ces personnes sont alors toutes citoyennes françaises, entendues et comprises dans leurs spécificités culturelles les plus intrinsèques, intégrées à un ensemble qui les respecte pour ce qu’elles sont, et écoutent ce qu’elles ont à dire. Les médias communautaires, grâce à une proximité exacerbée avec leur public, sont de véritables médiateurs sociaux !

Le rôle qu’a joué Tropiques FM dans cet événement vient en écho d’un débat que j’ai eu avec [Moi], non pas avec moi, mais elle, la rédactrice du Blog de [Moi] à propos de la création par le Washington Post d’un magazine en ligne pour les Afro-Américains.

Epilogue

Ah ! Au fait ! J’ai envoyé le lien vers la vidéo à des bloggeurs et journalistes afro-américains, avec la traduction, j’attends patiemment leurs réponses !

Sinon, prochaine campagne Nova, c’est pour quand ? Hein ? Moi je l’attends !

N’hésitez pas à donner votre avis et votre analyse sur le spot !