A la recherche des secrets de la Vie avec Gennaro Auletta
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Une nouvelle vision en biologie émerge actuellement, disséminée dans les spéculations théoriques publiées confidentiellement dans les revues spécialisées. Le « confidentiellement » étant un euphémisme puisque grâce à l’Internet, on peut accéder aisément à ces réflexions et donc, le caractère confidentiel ne provient plus de la source informative mais du lectorat qui se fait discret alors que les médias de masse passent à côté de ces avancées si bien que la révolution en biologie est silencieuse et ne sera popularisée qu’à la faveur de quelque attribution du Nobel ou mieux encore, d’improbables découvertes et applications. Pour l’instant, c’est la vision savante des systèmes vivants qui produit cette révolution. Comprendre le sens de notre passage sur cette terre en relation avec les principes universel peut avoir un intérêt précieux pour les honnêtes hommes du 21ème siècle pour lesquels l’existence ne se résume pas à acquérir des biens et se balader dans les parcs à thème. Plusieurs scientifiques s’activent pour formuler un nouveau paradigme capable de couvrir les deux champs que sont la biologie théorique et l’évolution. Genarro Auletta s’est distingué récemment en publiant un ouvrage important (dont on a présenté les grandes lignes).
Maintenant, je propose d’aller un peu plus loin dans l’investigation autour des travaux d’Auletta en prenant appui sur les rapides conclusions savamment exposées ainsi qu’à travers quelques concepts essentiels fondant une vision où la vie et son évolution reposent pour une part essentielle sur la production, la réception et l’organisation de l’information dans un milieu qui, loin d’être neutre, se présente comme un domaine parcouru par un immense flot d’informations et signaux qui finissent même par conférer une structure à ce milieu. Une interprétation avec extrapolation épistémologique conduit à penser qu’une sorte d’intelligence naturelle est en œuvre dans la vie et son évolution, conduisant les systèmes vivants à saisir les opportunités se présentant, les événements imprévus, pour en tirer un avantage qui à l’échelle d’une espèce, sera adaptatif. Cette hypothèse repose sur le sort de l’information avec deux tendances, l’une globale de production entropique, l’autre locale de diminution d’entropie. L’ensemble étant articulé sous un principe dialectique. L’information prend néanmoins des significations diverses, ne se réduisant pas aux conceptions devenues classiques héritées de la physique statistique et le la théorie de Shannon.
L’un des enjeux déterminants en sciences biologiques, c’est de saisir comment on passe du niveau quantique, atomique, moléculaire puis cellulaire à l’émergence des fonctions du vivant. Auletta revient dans sa conclusion sur un constat riche d’enseignement. Lorsque l’on passe du très grand nombre de molécules agitées dans un gaz au phénomène observé qu’est la pression, il faut que ces molécules soient contenues dans une enceinte, par exemple un ballon en matériau élastique dont le volume augmente lorsque la température augmente ou qu’on le gonfle en augmentant le nombre de molécules. Le phénomène n’est ordonné et mesurable que grâce à cette enveloppe matérielle dotée d’une structure stable. On pourrait étendre ce constat aux structures dissipatives en constatant que la condition de non équilibre doit aussi être accompagnée d’une condition structurale. Le flacon dans le cas des réactions de Belousov ou alors le récipient cylindrique que l’on chauffe pour produire les colonnes de Bénard. Une contrainte externe s’exerce sur les éléments microscopiques. Ces considérations paraissent triviales mais en les transposant au vivant, on pourra lier les fonctions du vivant à la capacité des molécules à s’auto-structurer et notamment élaborer ces édifices très complexes que sont les membranes cellulaires. Ces dispositions méritent d’être interprétée du point de vue ontologique comme contraintes matérielles, voire techniques ou alors physiques mais dans un sens mécaniste. Interdépendances, ajustements, interactions, couplages. Ces dispositifs sont « menacés » par le désordre, l’entropie, les perturbations externes.
L’autre dispositif physique fondamental pour la biologie repose sur la mécanique quantique dont l’une des règles fondamentale est l’impossibilité de caractériser les propriétés d’un système microphysique indépendamment du dispositif expérimental. L’observateur intervient, ce qui a fait dire à certains que la conscience est impliquée ou bien, option plus raisonnable, que ce qui est requis, ce sont des contraintes et non un esprit (Auletta, 25.4.2). Le cas de cette physique étant énigmatique à bien des égards, notamment du point de vue de l’information portée par le système et qui ne peut être extraite complètement. Sans oublier la cohérence des états superposés et l’intrication des particules.
Si la physique quantique dessine un cadre pour interpréter les systèmes vivants, l’autre dispositif essentiel est extrait de la physique statistique avec l’entropie qui selon Auletta, doit être scindée en trois composantes qui sont aussi des catégories. La première désignée comme « entropie configurationnelle » renvoie à une organisation complexe de l’information et de la mémoire structurelle ; elle permet aux édifices moléculaires de s’assembler. La seconde est l’entropie thermique, liée aux états énergétiques des molécules et aux échanges énergétiques lors des réactions moléculaires. La troisième est plus difficile à cerner, impliquant la relation d’interdépendance entre le système vivant et son environnement, conditionnant les mécanismes d’échanges avec le milieu ainsi que les perceptions et l’information du milieu par les systèmes vivants. Ces trois entropies sont en relation avec le triplet esquissé par Auletta pour concevoir le vivant, (i) génome et mémoire, (ii) métabolisme, échanges, transformations, (iii) interface (membrane, dispositifs perceptifs, séparant autant qu’unissant le système avec son environnement (9.9). J’ajoute pour ma part une interprétation personnelle tirée de mes investigations théoriques (Le sacre du vivant). Les entropies spatiale et énergétique seraient propres à ce que j’ai appelé « substance technique », avec efficience et opération, alors que l’entropie de type « mémoire et informations génétiques et/ou organisées » relèveraient plutôt de la substance cognitive.
La formulation de plusieurs types d’entropie avait déjà été formulée par le physicien Jacques Tonnelat dont l’étude de la thermodynamique interroge quelques notions physiques fondamentales (Thermodynamique probabiliste, Masson, 1991). Avec cette distinction qui me semble décisive entre une entropie énergétique liée à la répartition des constituants sur les niveaux d’énergie et une entropie de configuration (spatiale, donc) liée à la répartition de ces mêmes constituants dans l’espace. Tonnelat glisse sans justification de l’entropie à la complexité, laquelle peut-être énergétique ou spatiale, soulignant de plus que la littérature scientifique ne s’était pas préoccupée de cette dualité, laissant planer une confusion qui eut des conséquences heureuses dans l’étude des réactions chimiques (p. 150). La ruse de la Nature en vérité, ou de la technique dans la Nature.
La compréhension du vivant utilise plusieurs notions scientifiques et niveaux de description. A notre échelle d’observation, trois processus fondamentaux : L’épigenèse, qui signifie pour Auletta ce que nous désignons par ontogenèse, autrement dit le développement à partir de l’œuf fécondé de l’animal nouveau-né. Ensuite l’ontogenèse qui désigne l’existence de l’animal au cours de sa durée de vie. J’emploierais plutôt la notion de biogenèse, avec le bio renvoyant à l’idée de biographie, d’histoire individuelle de l’animal (ou l’homme) au cours de laquelle il tente de survivre, d’échapper aux prédateurs, de se nourrir et surtout se reproduire avec efficacité une fois parvenu à la maturité sexuelle. Le dernier niveau est la phylogenèse, avec les adaptations, les spéciations et la sélection naturelle qui intervient pour l’essentiel sur la biogenèse. L’évolution sélectionne des fonctions pense Auletta, mais ces fonctions sont déterminées pour une part par la mémoire génétique. Ces trois processus ont une temporalité spécifique. Chez les mammifères, le développement ontogénique dure quelques mois, la biogenèse se mesure en dizaine d’années le plus souvent alors que la phylogenèse s’est déroulée sur des dizaines de millions d’années.
Auletta utilise deux concepts importants mais difficiles à utiliser, ceux de téléonomie et de téléologie, tous deux empruntés au philosophe des sciences Francisco Ayala. Ces notions décrivent comment un système évolue grâce à l’organisation des informations qu’il possède ou qu’il échange en étant interdépendant avec le milieu. La causalité téléologique caractérise un ensemble de mécanismes par lesquels un système exerce un contrôle informationnel sur un autre système, ce qui lui permet d’établir une interdépendance finalisée pour agir avec un but spécifique. D’une certaine manière, le système adoptant une causalité téléologique est dans une relation de type « fins et moyens » avec le milieu. La causalité téléomomique est différente par essence. Pour reprendre les termes d’Auletta, la téléonomie mutualise les informations en organisant les flux, alors que la téléologie a pour ressort la sélection (active) des informations qui sont ainsi canalisées. La télénomie caractérise alors des mécanismes d’assimilation, d’adaptation, d’autorégulation, de rétroaction, alors que la téléologie serait plus impliquée dans une option active, dirigée vers le milieu et guidée par un but (goal). Enfin, le niveau sémiotique articule les deux processus, télénomique et téléologique. Le système cognitif vivant fonctionne avec des repères, des icônes, des signes, lorsqu’il exerce une intention téléologique. Tout signe téléologique est connoté à un référentiel externe !
Les perspectives développées par Auletta sont instructives car loin d’apporter des réponses, elles incitent à avancer dans des chemins inédits et, pour reprendre une image bien connue, à utiliser d’autres lampadaires pour éclairer les recherches et partir en quête des clés du vivant. L’évolution est discutée avec une hypothèse très ouverte, celle de reconnaître que la sélection naturelle n’explique pas tout et qu’elle ne constitue qu’une contrainte évolutive qui joue de concert avec d’autre contrainte à expliciter (9.5). D’ailleurs, le mystère de la spéciation est loin d’être résolu, ayant suivi des mauvaises pistes si l’on en croit une étude récente (Rabosky et Matuta, PNAS, 09/2013). En prenant appui sur les travaux de Gould, Auletta insiste sur ce découplage entre adaptation et évolution en évoquant cet étrange phénomène qu’est l’exaptation. Des structures peuvent émerger sans pour autant qu’elles aient un avantage adaptatif. Ainsi des structures devenues essentielles pour réaliser des fonctions et permettre le maintient de l’espèce sont apparues bien avant et pour d’autres raisons. Par exemple le cas du cerveau humain qui aurait pu il y a un millions d’années réaliser des opérations abstraites alors que ces fonctions ne sont apparues que récemment, quelques dizaines de milliers d’années.
On retiendra aussi la thèse des espèces et de la spéciation comme source d’informations nouvelles, de fonctions nouvelles, soumises au verdict de la sélection. Bref, le champ scientifique de la biologie et de l’évolution est ouvert comme jamais il l’a été, sauf au moment de Darwin.
Mon précédent billet sur Auletta
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