Anonymous : les dark knights de Webcity ?
Ils sont une légion, une organisation mondialement obscure réunie dans les abysses binaires du web pour défendre les utopies du 2.0. Des pirates modernes hackant sans relâche, défiant frontières, lois et codes numériques. Dans cette jungle virtuelle, ces individus masqués montent des opérations punitives, détournent des sites et publient des documents secrets. Entre leur participation au printemps arabe, la défense de Megaupload avec des cyber-attaques lancées sur les sites des grandes majors, l’hacktivisme contre-gouvernemental en soutien à Wikileaks ou encore l’occupation de Wall Street, les masques blancs sont portés sur tous les fronts. Dernière action en date, la publication d’une liste de noms, d’adresses IP, de mails, de pédophiles présumés. Les Anonymous manifestent en un sens et à leur manière contre… mais contre quoi en fait ?
Les anonymous sont des puristes de la théorie de l’informatique. Leurs revendications sont empruntes de la défense de l’e-idéologie citoyenne et participative du « We are the Media ». Car historiquement, internet nait d’un détournement de la technique par des usagers expérimentés, issus de la sphère civile. D’abord militaire, puis scientifique, la technique web devait simplement améliorer l’accès à une information disponible et échangée entre entités communicantes (Anonyme A <-> Anonyme B). Mais rapidement sortie du cadre institutionnel, l’explosion du web a finalement bâti son succès autour de programmateurs de génie, indépendants et très souvent à la limite du licite. Ces geeks d’Harvard ou d’autres grandes universités, un brin ados, un brin anarchistes…
La fulgurante progression des capacités en ligne dépassait donc l’empirisme institutionnel ; aucune intervention des autorités n’était possible dans cet espace tant l’univers numérique était entièrement déterritorialisé, anonyme. Une faille qui va profiter aux internautes pendant de nombreuses années, jusqu’à construire un univers parallèle, entièrement alternatif. Car la fin des années 1990 reste marquée par un internet toujours plus de performant. Le Peer to Peer à haut débit va ouvrir les portes de la toile à des communautés mondiales, construites pour dépasser la stricte relation du client-serveur par des connexions plus indépendantes de client-client. Autour d’applications comme Napster, Emule, KazAa ou Limewire, les internautes vont construire des réseaux de téléchargement souvent illégaux. Un nouveau lien social émerge dans un échange virtuel et une économie sous-terraine. C’est l’origine de la popularisation du web : un groupe d’individus, ces anonymes, qui ne se connaissent pas, qui ne vivent même pas dans le même pays, mais qui ont réussi à mettre à mal plusieurs grandes industries. Systèmes de droit commun, industries culturelles ou encore presse écrite et système médiatique général, voici l’émergence d’une idéologie alternative et d’une prise de conscience de la puissance du Nous.
Le web est devenu social, culturel et politique ; son essence est celle de la revendication d’un média alternatif, qui refuse de se soumettre à l’autorité. C’est un peu le média des sales gosses désobéissants… Car désormais, le net représente un puissant contre-pouvoir aux mains du contre-pouvoir. L’expression souveraine et citoyenne d’anonymes qui peuvent, en dépit des cadres légaux imposés, changer le monde, renverser des industries, des gouvernements et défier les institutions. Une Loi du talion sur un web déserté par la législation, déserté par des politiques égalitaires ou justes. Ces justiciers masqués s’expriment et agissent avec leurs moyens, sur leur média, en faveur des voix que l’on n’entend jamais, ces voix perdues dans la masse des mass-médias. Pour le droit immuable de savoir, d’échanger, de dire et de se révolter contre tous les ordres établis. Pour êtres autonomes. Pour être libres.
Boycottes, vendettas, piratages en tout genre… Les Anonymous sont une réponse à un vide idéologique caractéristique de notre ère post-moderne, à des législations autoritaires jugées inefficaces, à l’incapacité des gouvernements de négocier l’espace social et numérique avec les civils ou les utilisateurs. Les Anonymous sont une réponse, une violente baffe claquée au visage d’un monde qui ne les satisfait pas. Finalement, Les Anonymous sont un groupe de protests qui équilibre des discours médiatisés restés trop longtemps partiaux.
PS : Bien sûr, je critique leurs actions, les jugeant parfois trop proche d’une forme de web terrorisme. Il faut le dire. Mais paradoxalement, je suis incapable de leur reprocher cette volonté de devenir des justiciers de l’ombre dans la mesure où notre monde manque d’utopies, de combattants et de combats. Notre monde manque cruellement de consciences actives et agissantes. Oui, notre monde manque clairement de sales gosses révoltés.
Quelques sources, ressources :
Bressand A., Distler C., Le prochain monde : Réseaupolis.
Guillmor D., We are the media.
Compiègne I., Internet : Histoire, enjeux et perspectives critiques.
Corniou J-P., La société numérique, regards et réflexions.
Fayon D. Web 2.0 et au-delà. Nouveaux internautes, du surfeur à l’acteur.
Rouquette S., L’hypermédia Internet, Analyse globale de l’espace médiatique internet.11 réactions à cet article
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