Antennes-Relais, Lignes THT, Wifi, Lampes à basse consommation... restaurer le principe de prévention
La notion de responsabilité civile a considérablement évolué au cours des dernières décennies. Alors qu’auparavant, la responsabilité juridique ne pouvait être engagée que sur la base d’un dommage certain, elle semble désormais pouvoir être fondée sur une simple présomption : toute personne physique ou morale ayant pu entraîner un dommage peut être considérée comme responsable, même si le lien de causalité avec son action n’est pas établi de manière certaine.
C’est ce problème, qualifié par les compagnies d’assurance de « risque fantôme », qui est en jeu, notamment dans le cas des risques supposés pour la santé des champs électromagnétiques émis par les téléphones cellulaires, le Wifi, les lignes THT ou encore les lampes basse consommation. Si le risque n’est pas prouvé aujourd’hui, les tribunaux pourraient condamner des industriels en considérant que des recherches futures pourraient mettre en évidence un danger pour la santé dû au téléphone cellulaire, qui ne s’est généralisé que depuis une dizaine d’années seulement, voire un danger dû aux lignes THT, qui existent pourtant depuis plus d’un siècle.
Le « risque fantôme » a été identifié dès les années 1990 aux États-Unis, dans un livre éponyme[1]. La volonté, dans les sociétés industrialisées, de se prémunir de tout risque[2], a conduit à renverser la charge de la preuve : alors qu’auparavant, il fallait prouver le risque d’une technologie pour la santé afin d’établir sa responsabilité juridique, la demande sociétale cherche à imposer aujourd’hui aux producteurs de technologies de prouver au préalable que leurs produits ne représentent aucun risque pour la santé.
Cela est impossible, la science ne pouvant prouver l’inexistence d’un fait mais seulement son existence. C’est tout le problème du principe de précaution, et de son inscription dans la Constitution, dont l’utilisation abusive peut conduire à ce que toute innovation soit suspectée de nocivité, même lorsque cette nocivité n’a pas été prouvée scientifiquement, comme dans le cas des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Ainsi, les producteurs de technologies risquent de devoir se prémunir contre des demandes de dédommagements si importants qu’aucune compagnie d’assurance ne sera en mesure de pouvoir les assurer[3]. De très nombreuses sociétés sont concernées, même celles pensant œuvrer pour l’écologie, tel que les producteurs de lampes à basse consommation[4]. A l’extrême, la voie est ainsi libre pour des procès visant uniquement l’enrichissement personnel des plaignants, sur la base d’une responsabilité supposée et non d’une preuve scientifiquement établie.
Le jugement de la cour d’appel de Versailles ordonnant le démontage de l’antenne de Bouygues Telecom à Tassin, pourrait faire jurisprudence, et risque d’être le premier d’une longue série, si ce n’est de condamnations à démanteler des installations, du moins de coûteux procès pour les opérateurs. Pourtant les études scientifiques menées jusqu’à présent semblent montrer que les risques liés à la présence des antennes-relais sont limités[5]. Ainsi, la justice ne fait plus confiance à la science. C’est sur le fondement de l’angoisse des plaignants que le démantèlement des antennes-relais est exigé sous astreinte (« l’angoisse ayant perduré depuis plus de 3 années, la réparation du préjudice subi par chacun des couples intimés doit être fixée à la somme de 7000€ »).
C’est là un nouveau risque judiciaire et financier, que les réassureurs tel Swiss Re[6] ont intégré depuis des années. Ils estiment ainsi que « l’évolution graduelle du concept juridique de la responsabilité montre bien le tour que prennent les choses : de la responsabilité basée sur la faute, nous sommes passés à la responsabilité objective pour déboucher sur la responsabilité basée sur la simple présomption ».
Comme le conclut le rapport de la Swiss Re, il est aujourd’hui nécessaire de légiférer pour établir au préalable quel degré de risque la société est prête à prendre, et comment faire en sorte de protéger au mieux les individus contre ces risques. Bref, il faut établir un principe de prévention. Car si les seules normes de l’OMS ne suffisent plus, le principe de précaution en l’état est un facteur d’instabilité juridique qui pose de nombreux problèmes, notamment au niveau économique en créant des distorsions de concurrence et en engendrant des contradictions avec les normes existantes.
L’encadrement du principe de précaution est indispensable, mais il repose sur des risques potentiels. Recourir au principe de prévention[8] serait une bien meilleure approche. Il prend en compte, lui, des risques avérés, qui sont nombreux : les produits chimiques (qui remettent en cause la qualité de l’air intérieur[9] et extérieur[10]), le bruit[11], le stress...
Le principe de prévention permet de faire intervenir les dernières découvertes de la recherche scientifique, comme l’estime le réassureur Allianz[12], et d’éviter tout à la fois à de nouveaux scandales sanitaires de survenir et à la société de rejeter par principe certaines technologies utiles à son développement futur.
[1] Phantom Risk : Scientific Inference and the law (PDF) – Harvard
[2] Le danger : entre perception et réalité (PDF) - AXA
[3] Ainsi, de nombreuses compagnies refuse d’assurer les "risques fantômes" : Lloyd’s prepared to take on mobile risks
[4] Méfiez-vous des ampoules basse consommation - Enviro2B
[6] Les Champs Électromagnétique : Un risque Fantôme (PDF) - Swiss RE
[7] Le Figaro : Antennes-relais : la victoire des « marchands de peur »
[8] Le Principe de Prévention (PDF) - Ministère de l’écologie
[9] Analyse des déterminants de la qualité d’air intérieur - AFSSET
[10] Cartographie harmonisée de l’exposition à la pollution atmosphérique - AFFSET
[11] Impacts sanitaires du bruit : état des lieux. Indicateurs bruit-santé - AFSSET
[12] EMF-Impact on insurance Of mice and men (PDF) – Allianz
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