Après le Titanic, le Titan d’OceanGate ?
« Je vois mal comment on pourra ramener les passagers du submersible parmi nous. » (Jean-Philippe Marre, le 22 juin 2023).
Non, il n'y a pas de malédiction autour du Titanic. L'épave du paquebot Titanic, qu'on avait un peu trop théoriquement et trop orgueilleusement appelé l'Insubmersible et qui a coulé le 15 avril 1912 au large de Terre-Neuve dans l'Atlantique nord, repose à 3 821 mètres de fond et a été découverte le 1er septembre 1985 par Robert Duane Ballard dans le cadre d'une mission franco-américaine et depuis cette date, des dizaines d'expéditions scientifiques sont venues compléter notre connaissance de l'épave, jusqu'à maintenant sans accident malgré la grande profondeur et les nombreux dangers que suscite l'épave (des tôles peuvent à tout moment se détacher, etc.). S'il y avait malédiction, on l'aurait su... mais parler de malédiction, c'est déjà parler de superstition, cela fait vendre (comme pour l'Égypte antique), mais ce n'est pas de la science !
Cependant, la disparition du submersible d'OceanGate, le Titan, sans nouvelle depuis le 18 juin 2023 (une heure quarante-cinq après le début de sa descente), a de quoi fortement inquiéter. On évoque submersible plutôt que sous-marin en ce sens que l'appareil n'est pas autonome et a besoin d'un navire à ses côtés. À l'intérieur très exigu, cinq hommes dont la vie aujourd'hui est en grave danger.
Généralement, les expéditions sont scientifiques mais OceanGate a développé du tourisme de plongée. Un peu comme les fusées de tourisme, l'entreprise propose à des personnes plutôt riches (jugez-en : 250 000 dollars le billet d'entrée, mais certains ne sont pas milliardaires, des passionnés capables de vendre leur résidence pour cette exceptionnelle aventure) de visiter l'épave du Titanic qui a toujours fasciné les personnes (avant même le film de James Cameron qui en a popularisé une histoire d'amour).
À bord, il y a deux hommes d'affaires et le fils de l'un d'eux, le patron d'OceanGate Stockton Rush et un Français, l'un des experts de ce genre d'expédition, Paul-Henri Nargeolet (77 ans), spécialiste de l'épave du Titanic.
Le naufrage du Titanic a tué environ 1 500 personnes pour 700 rescapés. Faire du tourisme sur cette base est particulièrement de mauvais goût (il était même question de venir se marier près de l'épave, pour 1 million de dollars !), mais plus généralement, comme dans les vols spatiaux, permettre à des millionnaires de faire du tourisme est un sujet qui nécessite discussion (ce n'est pas nouveau, certains faisaient des tours dans le Concorde sans but de déplacement pour quelques milliers de dollars). Mais ce n'est pas le sujet du jour qui est de sauver des vies, de pouvoir détecter le submersible et le ramener à la surface avant qu'il ne soit trop tard. Il faut être hélas pessimiste à cette heure.
L'appareil construit en 2017 et qui pèse un peu plus de 10,4 tonnes est composé d'une capsule en titane et fibre de carbone. Il mesure 6,7 mètres, est équipé de quatre propulseurs électriques qui lui permettent de se mouvoir à une vitesse de 5,6 kilomètres par heure et peut descendre à la vitesse de 55 mètres par minute jusqu'à 4 000 mètres de profondeur. Une plongée est prévue pour durer environ huit heures, deux heures pour descendre, quatre heures d'observation et deux heures pour remonter.
Dans l'appareil, l'autonomie d'oxygène est de 96 heures pour cinq passagers, si bien qu'à partir de ce jeudi 22 juin 2023 à 13 heures 08, heure de Paris, il n'y aura plus d'oxygène. De plus, le patron d'OceanGate était tellement sûr de son appareil qu'il n'avait emporté qu'une ou deux bouteilles d'eau et peut-être de quoi grignoter un repas (il est déconseillé de trop manger pour des raisons de commodités). Paul-Henri Nargeolet n'était pas très rassuré par ce submersible mais trop passionné voire fasciné par l'épave du Titanic, il n'a pas su résister à la tentation de participer à cette mission.
Un autre sujet qui sera probablement débattu ultérieurement (car pour l'instant, il y a l'urgence à sauver les passagers), c'est sur la sécurité du submersible. Un expert aurait été licencié d'OceanGate pour avoir justement notifié des failles de sécurité. Certains auraient annoncé que le submersible ne pouvait pas plonger au-delà de 1 300 mètres de profondeur, en raison de la présence du hublot de 60 centimètres de diamètre, ce qui est énorme (généralement, les hublots font à peine 20 centimètres de diamètre pour permettre à l'appareil d'atteindre des grandes profondeurs).
Autre point étonnant, le processus de sécurité aurait dû faire qu'en cas de problème (par exemple une panne d'énergie), le submersible se mette automatiquement en route vers la surface de l'eau, ce qui ne semble pas le cas. Mais la polémique se concentrera probablement sur un point crucial : l'impossibilité de communiquer entre le submersible et le monde extérieur, si bien qu'il est impossible de connaître sa position alors qu'une balise GPS aurait probablement suffi à le localiser (mais peut-elle vraiment fonctionner à 4 000 mères de profondeur ?).
Enfin, on se posera aussi la question des normes et de la réglementation, n'importe quel appareil peut-il plonger dans des eaux internationales sans agrément d'aucun organisme de contrôle ? Le patron d'OceanGate avait justifié que l'absence de réglementation permettait l'innovation et le progrès technique, ce qui n'est pas faux et est également un sujet de débat ultérieur. Jean-Philippe Marre, membre de l'Association française du Titanic, expliquait sur BFMTV ce 22 juin 2023 dans la matinée : « Sa conception n'est pas optimale et n'a été certifiée par aucune autorité. ».
La disparition du Titan d'OceanGate me fait hélas penser à deux catastrophes, très différentes par ailleurs mais qui ont provoqué le même type d'émotion internationale.
La première est le naufrage du K-141 Koursk, le sous-marin nucléaire lanceur de missiles de croisière russe, le 12 août 2000 en mer de Barents, qui a coûté la vie à 118 militaires russes (24 hommes avaient survécu aux deux explosions mais n'ont pas pu être secourus). Le 21 août 2000, le sous-marin a été localisé et "ausculté" et il a fallu une année pour remonter les corps de 115 victimes.
La seconde était l'explosion de la navette spatiale américaine Challenger le 28 janvier 1986, lancée à la vitesse de 3 200 kilomètres par heure, 73 secondes après le décollage, à cause d'un joint défectueux près d'un réservoir d'hydrogène. Construite le 3 novembre 1980, cette navette, la deuxième navette américaine, avait déjà effectué neuf missions. Cette mission fatale devait être la mission banalisée, celle qui ne devait plus être considérée comme un exploit technique et humain. En effet, parmi les sept victimes s'est trouvée la première personne "amatrice" ("citoyenne de l'espace") à aller dans l'espace, sélectionnée parmi 11 500 postulants, Christa MacAuliffe (38 ans), professeur de sciences sociales dans un lycée.
Plus que les heures, les minutes sont maintenant comptées, hélas. Même si le Titan était localisé, il faudrait encore prendre le temps de le remonter en surface pour sauver les passagers avant l'irrémédiable, ce qui ne semble plus, à cette heure, hélas, dans le champs des possibles.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Après le Titanic, le Titan d'OceanGate ?
Éric Tabarly.
Jean-François Deniau.
La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
La Méditerranée, rouge de honte (2015).
Méditerranée orientale : la France au secours de la Grèce face à la Turquie.
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