Cancer, recherches alternatives et blocages scientifiques
Dans les années 1960, des expériences menées par un ingénieur italien, un certain Antoine Priore, ont permis de mettre en évidence un effet curatif des champs magnétiques sur le cancer. Les résultats ont été obtenus surtout chez la souris. Sur l’homme, il paraît que des effets ont été constatés mais le manque de puissance de la machine a été invoqué pour expliquer les maigres résultats. Toujours est-il que cette affaire a suscité d’énormes controverses. Quelques enjeux financiers additionnés à des querelles de personnes, et des controverses scientifiques ont fait que ces recherches n’ont pas pu être poursuivies correctement après le décès de Priore. Deux livres ont été publiés sur cette affaire.

Ce billet fait suite à un article publié par un collaborateur d’AgoraVox, pointant entre autres choses des dysfonctionnements dans le monde de la recherche, non sans évoquer l’affaire Beljanski qui ressemble sur quelques points à celle-ci.
Depuis le décès de Priore, quelques scientifiques bordelais ont tenté de relancer ces travaux, dans les années 1990. Je me souviens d’une conférence donnée en présence de biologistes, sans qu’aucun enthousiasme spécial ne se manifeste. Ces physiciens et chimistes, pas très brillants selon mon appréciation, ont quand même reçu quelques fonds du ministère alors qu’Aubert était secrétaire d’Etat à la recherche. Je les ai rencontrés. Ils ne souhaitaient pas se lancer dans des spéculations théoriques et ne misaient que sur l’expérimentation. Nous en sommes restés là. Depuis, rien de nouveau. La rumeur dit qu’une machine est testée dans une arrière-salle de laboratoire. Sans intérêt !
A la fin des années 1990, un ancien élève de l’immunologiste Pautrizel, Bernard Murzeau, décida de relancer les travaux en misant son argent personnel, ouvrant un laboratoire à Cestas, au Sud de Bordeaux. Quelques résultats ont été obtenus. Celui-ci nous fait savoir que les antagonismes et les réticences des universitaires ont été fortes. En témoigne cet extrait d’un entretien daté où s’exprimait l’intéressé.
« Pourquoi avons-nous arrêté les expériences bien que le laboratoire fonctionne ? D’abord une telle expérimentation en dehors d’un laboratoire « officiel » demande de la part de tous une débauche d’énergie incompatible avec un effort de longue haleine. Rappelons ensuite que le laboratoire n’a fait l’objet d’aucune subvention publique ou privée. Son poids financier est énorme. Enfin nous avons vu surgir dès l’annonce des premiers résultats une mauvaise foi certaine de nombreux universitaires engagés dans un premier temps mais hésitant à pousser plus avant une recherche qui leur semblait aventureuse... pour leur réputation ! Toute une batterie de contraintes expérimentales nous fut suggérée, allant du nombre de souris (pas moins de cent par expérience !) aux mesures de températures, de bruit, etc. Nous ne savions évidemment pas qu’on pouvait guérir du cancer à coups de décibels ! Bref nous n’avons pas souhaité - comme Priore y a malheureusement été contraint - consacrer nos efforts à satisfaire les exigences de ceux qui n’ont pas envie d’être convaincus. »
L’aventure scientifique est semée d’embûches. Difficile de se faire un jugement sur ce qui semble relever de la mauvaise foi de la part d’individus censés être au service des progrès scientifiques et de plus rémunérés par l’argent public. On retiendra, en accordant confiance aux informations publiées, que les champs magnétiques ont un effet sur les structures vivantes. Un mécanisme invoqué serait que les antigènes des cellules tumorales qui sont masqués deviendraient visibles et donc les défenses naturelles disposeraient des bonnes informations pour lancer leur système de destruction du cancer. C’est du moins ce qui ressort au niveau d’expériences de greffe au cours desquelles un champ favorable démasque un antigène mineur alors qu’un champ nocif les masque. Bref, des effets physiologiques sont produits au niveau cellulaire par l’influence du champ (j’allais écrire l’action, mais ce n’est pas de l’action).
Que penser ? Rien de bien original, en fait. L’histoire a connu des situations similaires, bien plus exacerbées, par exemple la controverse autour du docteur Messmer, théoricien du fluide universel, s’essayant à utiliser un supposé magnétisme animal à des fins thérapeutiques, puis extrapolant ses découvertes pour élaborer une philosophie politique inspirée de Rousseau. Bref, un mélange assez complexe autant que détonnant, raconté par l’historien Robert Darnton dans son ouvrage La fin des Lumières traduit chez Odile Jacob. Les enjeux signifiés ne furent pas des points de détail. Quelques faits bien ordinaires ont émaillé cette aventure. Beaucoup de médecins ont essayé de faire barrage aux pratiques conçues par Mesmer, de peur de perdre leurs moyens de subsistance au cas où la thérapie magnétique pourrait supplanter les méthodes médicales conventionnelles. C’est apparemment un petit point de détail, mais ces événements fournissent un véritable paradigme pour ce qui concerne le Janus humain, écartelé entre son intérêt personnel et le sens supérieur.
Les tergiversations des scientifiques autour de cette machine semblent différentes. Difficile de faire la part entre une mauvaise foi, une ignorance qu’on peut excuser, un calcul carriériste éloignant les scientifiques d’un champ controversé. Quant à la société, que sait-elle de toutes ces choses ? Pas grand-chose en vérité. Elle s’en remet le plus souvent à l’autorité. Versant son obole si une cause humanitaire est défendue par une grande chaîne publique avec à l’appui, quelques hypothèses prometteuses lancées par des généticiens de renom. Et pourtant, qui peut être certain que la thérapie par les ondes est sans issue ? Cela n’a rien de scientifique. Tant qu’on n’a pas déployé un ensemble de moyens expérimentaux doublés de réflexions théoriques, on ne peut conclure définitivement. Le centième du budget alloué à l’AFM aurait suffi pour ce type de recherche.
Le scientifique se signale souvent par une étroitesse d’esprit, comparable à celle de l’administrateur. Paradoxalement, le scientifique, ou du moins le savant, fut compris comme éclairé, visionnaire, frondeur, et surtout ouvert à l’inconnu et au mystère. Mais sans doute se trompe-t-on de dénomination. Les savants furent des découvreurs, les scientifiques sont devenus des chercheurs. Qui cherchent là où la contingence les a placés dans l’organigramme du système. Ils cherchent là où il y a des crédits, à l’instar de celui qui égare ses clés mais va sous le lampadaire les chercher parce que c’est éclairé. Le savant devrait être la lumière éclairant les domaines de l’inconnu.
Les ondes de Priore ont représenté cet inconnu, autant que les travaux de Lakhovsky qui, dans son livre intitulé La Cabale, publié en 1934, décrivit les difficultés à proposer ses découvertes. Il avait perçu une hostilité alors qu’il travaillait à la Salpetrière. Le monde de la médecine et de la biologie ressemblait à celui qu’on connaît actuellement.
Un jour, on finira bien par se pencher sur cette aversion du monde médical (sauf quelques cas isolés) vis-à-vis d’un savoir qui sort des cadres mécanistes mais qui pourtant ne peut être rejeté car il n’est pas situé en dehors des critères de scientificité. Les ondes hertziennes, pourtant impalpables et invisibles, sont à la base des transmissions de tous types. On les soupçonne de nuire à la santé, alors pourquoi pas de soigner moyennant un usage adapté ? Pourquoi ces ondes, associées aux champs, ne pourraient-elles pas avoir des effets sur les tissus vivants ? Le physicien Bearden s’est intéressé depuis quinze ans à l’effet Priore. Il a publié quelques articles, notamment sur le rôle des ondes scalaires dans la thérapie magnétique, avec l’hypothèse que la fameuse machine puisse générer de telles ondes ; par ailleurs potentiellement efficaces contre le Sida, avait-il affirmé.
Il est possible que nous passions à côté d’une grande découverte mais tout aussi plausible que le cancer soit un mal pour lequel le magnétisme est inopérant, alors que les limites de la médecine mécaniste soient atteintes. Je ne tire donc aucune conclusion d’ordre scientifique, sauf que l’hypothèse de travail est valide pour peu qu’on élabore un corpus théorique associant les sciences physiques, la biologie et la théorie des systèmes. Et puis qu’on mette quelques moyens raisonnables pour financer ses recherches, moyens alloués aux expériences autant qu’aux réflexions tranversales. Quant au citoyen, il lui suffit d’un peu de bon sens pour juger que cette affaire n’est pas claire et qu’au vu du piétinement des avancées thérapeutiques sur le cancer, c’est un comble de rayer d’un trait une piste de recherche. C’en est même hallucinant, à se demander si le siècle des Lumières a existé. Puisse cet article permettre de ne pas oublier, de participer à un travail de mémoire et qui sait, si quelque mécène lisait ces pages, avec des scientifiques imaginatifs, et qu’on puisse réunir les bonnes volontés...
A titre de complément d’information, un extrait d’une recension de Catherine Sokolsky sur cette « affaire Priore », parue dans la revue L’impatient.
« D’ailleurs, les ennuis qui vont fondre sur le Pr Pautrizel ont commencé après la fameuse commission aux conclusions irréfutables de 1969. On ne peut plus démolir les travaux, on va démolir l’homme. Après plusieurs menaces, le Pr Pautrizel se voit retirer son unité de recherche en décembre 1975. Tous ses collaborateurs qui ont travaillé sur l’appareil Priore ont vu leur carrière menacée, compromise ou brisée. Malgré ce contexte, Pautrizel continue à se battre pour le dossier Priore. Il aide celui-ci à présenter une thèse d’université qui sera finalement refusée (...) Antoine Priore se referme sur lui-même, rompt avec tous y compris Pautrizel et arrête son appareil. Le Pr Pautrizel, écœuré, remet à J.-M. Graille, de Sud-Ouest, une partie de son dossier. Un premier article paraît dans Sud-Ouest le dimanche 27 janvier 1980. Fin 1980, le dossier arrive chez Pierre Emeury, conseiller scientifique de la présidence. Pautrizel est convoqué à l’Elysée. Une énième commission est formée. Mais entre-temps, changement de gouvernement, la commission remet son rapport en mars 1982. Ce rapport démolit le dossier tout en reconnaissant l’effet biologique incontestable du rayonnement Priore ! Où en est-on, en 1984 ? Antoine Priore mort, le dossier est lui aussi au point mort. Mais il reste le petit appareil qui a toujours fonctionné jusqu’en 1980. Il y a aussi le gros appareil qui n’a fonctionné qu’une semaine, toujours en place. L’affaire Priore peut-elle redémarrer sans Priore ? »
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