Deux visions du monde de demain opposées
John Rigolizzo, Jr* (traduction : André Heitz)
L'histoire est pleine de grandes rivalités : Athènes contre Sparte, Lincoln contre Douglas, et même le Roadrunner contre Wile E. Coyote.
Dans son nouveau livre, « The Wizard and the Prophet : Two Remarkable Scientists and Their Dueling Visions to Shape Tomorrow’s World » (le magicien et le prophète : deux scientifiques remarquables et leurs visions opposées pour façonner le monde de demain), Charles C. Mann décrit un face-à-face moins familier. Publié au début de cette année, l'ouvrage a rencontré un grand succès.
Le « magicien » était Norman Borlaug, le père de la Révolution Verte. Le « prophète » était William Vogt, un adepte de « l'environnementalisme apocalyptique ». Mann a écrit une double biographie de ces deux hommes et de leurs idées concurrentes sur ce que le 21e siècle apportera.
Quiconque réfléchit à l'avenir de l'alimentation devrait le lire.
C'est en pensant à l'avenir de l'alimentation que Mann, journaliste scientifique, s'est intéressé à son sujet. Dans le prologue, il mentionne la naissance de sa fille. « J'ai erré dehors pendant un moment pour que la mère et l'enfant puissent se reposer », écrit-il. « Une idée m'a traversé la tête : quand ma fille aura mon âge, près de 10 milliards de personnes marcheront sur la terre. »
Les démographes disent que cela arrivera vers 2050.
« Dix milliards de bouches, pensai-je. Comment peuvent-elles être nourries ? »
William Vogt
Cette question lancinante incita Mann à explorer la vie de ses sujets et à la relater dans les pages de son livre fascinant.
Borlaug (1914-2009) était un optimiste qui croyait que la science et l'abondance apporteraient des solutions à nos plus grands problèmes. Vogt (1902-1968) était un pessimiste qui pensait que la richesse elle-même était un problème parce qu'elle entraînait l'épuisement des ressources.
Mann écrit qu'en tant que jeune adulte dans les années 1970, il était devenu un disciple de Vogt, « convaincu que l'entreprise humaine s'effondrerait si notre espèce ne renversait pas brusquement son cours ». Il s'inquiétait de la disette, de la famine et des morts massives dans un épique « effondrement planétaire ».
Puis il remarqua quelque chose : ces prédictions de malheur ne se réalisèrent pas.
L'une des raisons pour cela, que Mann a découverte, était le génie de Borlaug. Un biologiste de l'Iowa, Borlaug a consacré sa vie à l'amélioration de l'approvisionnement alimentaire. Il a développé de meilleures semences et a aidé les agriculteurs du monde entier à adopter de nouvelles pratiques. En 1970, il s'est vu décerner le prix Nobel de la paix. Certains ont affirmé que grâce aux innovations agricoles de Borlaug, un milliard de personnes supplémentaires sont en vie aujourd'hui.
Norman Borlaug
Ainsi, dans les années 1980, Mann a changé sa façon de penser : « Je suis devenu un Borlauguien, me moquant des scénarios catastrophistes que j'avais précédemment adoptés. »
Pourtant, il ne s'est jamais vraiment soustrait à l'influence de Vogt. Bien que sa tête semble lui dire que Borlaug avait raison, son cœur le ramène toujours à Vogt : « Ma fille, à l'université au moment où j'écris, se dirige vers un avenir qui semble de plus en plus agité et conflictuel, de plus en plus proche du dépassement des limites physiques et écologiques. »
L'essentiel du livre se concentre sur quatre des plus grands dilemmes du 21e siècle : l'agriculture, l'eau, l'énergie et le climat. Mann fait le point de la situation dans chaque domaine, se tournant vers Borlaug et Vogt comme sources d'inspiration et pour essayer de rester impartial. « Le magicien et le prophète », écrit-il, « est un livre sur l'avenir qui ne fait aucune prédiction ».
Je vais aller hardiment là où Mann n'est pas allé : les agriculteurs vont relever le défi de 2050 et de ces 10 milliards de bouches.
C'est ma prévision, enracinée dans mon expérience d'agriculteur. Les agriculteurs sont naturellement optimistes. Nous devons l'être !
Je suis carrément dans le camp de Borlaug. J'ai rencontré le Dr Borlaug et j'ai pu constater de visu son optimisme, sa croyance en la puissance de la technologie agricole et sa passion de mettre cette technologie entre les mains des agriculteurs. La science et la technologie nous aident à produire plus de nourriture chaque année. Au cours des dernières décennies, nous avons bénéficié de l'adoption généralisée des OGM [ma note (AH) : hélas, pas en Europe ni, en partie à cause des réticences européennes, dans des parties du monde qui en ont grandement besoin]. Dans un proche avenir, des technologies innovantes, notamment CRISPR et les techniques d'édition de gènes, permettront de nouvelles avancées. Tout est aussi plus durable : avec l'avènement de l'agriculture de précision, informée par de nouveaux types de collecte de données et guidée par les satellites GPS, nous sommes beaucoup plus ingénieux et plus efficaces dans l'utilisation de l'eau, des engrais et du carburant.
Nous devons certes nous garder d'un optimisme excessif – nous serons toujours confrontés à des difficultés – mais nous serons bien mieux lotis en permettant à Borlaug de nous inspirer plutôt qu'en laissant Vogt nous effrayer.
Ce mois de juillet marquera le 50e anniversaire de la mort de Vogt. Quelque chose me dit que s'il avait vécu plus longtemps, il aurait peut-être appris à apprécier la capacité de l'espèce humaine à affronter ses plus grands défis.
Me voici encore pensant comme un sorcier optimiste plutôt que comme un prophète pessimiste...
En fin de compte, cela peut se résumer à quelque chose de très simple : l'espoir est meilleur que le désespoir.
_________________
* John Rigolizzo, Jr est un agriculteur de cinquième génération qui produit des légumes frais et du maïs dans le sud du New Jersey. La ferme familiale alimente des marchés de détail et de gros. John fait du bénévolat en tant que membre du conseil d'administration du Global Farmer Network et a assuré le leadership de la Vegetable Growers Association du New Jersey (association des producteurs de légumes du New Jersey) et du New Jersey Tomato Council (conseil de la tomate du New Jersey). En tant qu'ancien président du New Jersey Farm Bureau, son intérêt et son soutien de longue date au libre-échange ont été confirmés par sa participation à 11 missions commerciales internationales et sa participation à des réunions de l'Organisation Mondiale du Commerce à Seattle et à Genève.
Source : http://globalfarmernetwork.org/2018/05/dueling-visions-of-tomorrows-world/
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