Du cockpit au joystick
Des as de l’US Air Force relégués comme pilotes de drones seront bientôt concurrencés par des opérateurs civils. Leur contrôle aérien sera assuré par une intelligence artificielle.
Goodbye Top Gun ! Hello Death Toy ?
Les forces américaines confient un nombre croissant de missions de surveillance, de reconnaissance et d’attaque au sol aux drones aériens tactiques, leur usage ayant plus que doublé sur le second semestre 2007. L’augmentation récente des effectifs militaires américains sur les théâtres irakien et afghan y est pour beaucoup.
Comparativement à un chasseur volant en moyenne quatre à cinq heures par sortie, un drone Predator, Global Hawk ou Reaper patrouille dans les airs plus de vingt heures par jour, obligeant ses pilotes distants - au Texas, en Arizona, au Dakota du Nord ou en Californie du Nord - à effectuer des roulements. La maintenance et le réarmerment sont assurés par du personnel spécialisé sur les théâtres concernés, également soumis à des rotations ténues. En Irak et en Afghanistan, le nombre mensuel d’heures de vol des seuls drones Predator de l’USAF est passé de 2 300 en janvier à 4 300 en octobre 2007. Sur la même période, les plus petits Hunter, Raven et Shadow ont déjà accumulé plus de 300 000 heures de vol.
Dès lors, « la demande en opérateurs de drones excède considérablement les capacités entières du département de la défense », explique le lieutenant-colonel Larry Gurgainous de l’Unmanned Aircraft Task Force, « à mesure que nous achèterons et utiliserons ces technologies, cette demande croîtra d’autant ». D’ici 2015, le Pentagone prévoit qu’un tiers des forces américaines seront composées de robots grâce au Future Combat Systems, projet doté d’une enveloppe de 230 milliards de dollars, la plus colossale de toute l’histoire militaire américaine. Consécutivement, l’Air Force et l’Army constatent vite que les véhicules aériens automatisés nécessitent autant voire plus d’effectifs que l’aviation de chasse.
L’USAF et l’Air National Guard durent affecter 120 de leurs champions au radiopilotage des Predator, Global Hawk et Reaper. Plusieurs pilotes et navigateurs basés à Neillis (Nevada) abandonnèrent leurs cockpits pour les centres de commandement, via liaison satellitaire, de drones orbitant au-dessus de l’Irak, de l’Afghanistan... et du Pakistan où des robots volants du DoD mèneraient quelques opérations très spéciales (cf. les relations troubles de Pervez Musharraf avec la CIA). Efficacité, rentabilité, furtivité... Vivement les nano-armements ?
Ces affectations suscitent d’énormes frustrations et pas mal de désarroi chez de très nombreux barons de l’USAF qui préféreraient de loin tournoyer dans l’espace aérien ennemi à bord de leurs F-16 plutôt que jouer à ces jeux vidéo-létaux dans une salle climatisée. « Flyboy yesterday, droneboy today, cryboy tomorrow ».
Dan Cooper et Buck Danny savent-ils que les victimes directes ou collatérales de leurs tirs n’ont même pas eu le temps de prier ? D’ailleurs, pourquoi les blâmer ? Ce sont les ordres, c’est le boulot...
Devrait-on décorer ces Boys pour des actions décisives qu’ils n’ont pas physiquement menées ? Le rêve d’une guerre « zéro mort » - côté yankee, idiots ! - prendra-t-il enfin forme ? Des mamas noires et latinos seront peut-être soulagées de savoir leurs fistons mobilisés derrière ces consoles létales plutôt que positivement discriminés sur un front éloigné ou dans une prison du comté. Dans la marche du Terminatrix, j’avais longuement abordé divers enjeux techniques, tactiques, éthiques et philosophiques soulevés par le déploiement massif de soldats-robots.
Maverick et Goose devront tant bien que mal accepter leurs nouveaux statuts car des loupiotes concurrentes se rapprochent inexorablement.
Tairminator premier prix
L’US Army voit d’un mauvais œil ces onéreux aces de l’USAF : formation, salaires, couverture sociale et médicale, retraites. Elle compte donc fermement recourir à des opérateurs de drones formés en son sein pour le radiopilotage de ses Sky Warrior. Equipé de huit missiles air-sol Hellfire, plus cossu que le Predator, mais moins méchant que le Reaper (Predator-B), ce warbot décolle et atterrit tout seul comme un grand, et nécessite de facto moins d’attention que ses cousins. Une remarquable avionique permet à l’US Army d’orchestrer une escadre de Sky Warrior pour des missions complexes de reconnaissance et d’attaque au sol. Ce Terminatrix est devenu redoutable dans la neutralisation de mortiers et dans la traque de 4x4/pick-up en relief accidenté.
Last not but least : l’Army verrait d’un bon œil les services de sociétés privées basées sur le sol américain, spécialisées dans le radiopilotage de drones. Cette approche économique et pratique du corps terrestre suscite bien des réserves et pas mal de tollé chez maints pontes du DoD. « On a affaire à un engin capable d’abattre net huit chars d’assaut. Comment peut-on confier l’usage de cette force létale à un aviateur non gradé ou à un contractuel civil ? », s’interroge à juste titre un opérateur USAF de Prédator. Les visées de l’Army ne sont ouvertement approuvées voire encouragées que par General Atomics, concepteur du Sky Warrior.
En filigrane, le drone est une blessure narcissique multiple pour l’uniforme blanc : il se substitue progressivement à lui dans les missions de reconnaissance et d’appui-feu, l’asservit et le dévirilise avant de finalement le remplacer par un col blanc. De plus en plus de gradés du corps aérien sont persuadés qu’à long terme « le drone sera le Napster de toute ou partie de l’aviation de chasse ».
Achtung, robobos !
Dans un registre plus opérationnel, l’US Air Force craint qu’une catastrophe aérienne causée par un « bleu » paralyse les programmes de développement de drones pour plusieurs années. Au petit matin du 25 avril 2006, un Reaper non armé radiopiloté par un aviateur pourtant expérimenté s’écrasa en Arizona, tout près de la frontière mexicaine. Cet incident déclencha une grave crise entre les US Customs and Border Patrol, gestionnaire de l’appareil dédié à l’électrosurveillance frontalière, et les autorités du transport et du contrôle aériens.
Selon le rapport final du National Transportation Safety Board, une mauvaise coordination entre l’officier USCBP et le pilote fut à l’origine de l’extinction du moteur du Reaper. Constatant tardivement la perte d’altitude de l’engin et son absence de feed-back, le pilote réinitialisa immédiatement toutes les consoles de radiocommande et de navigation. En l’absence de signaux provenant de son centcom, le Reaper doit basculer automatiquement en « safe mode », regagner une altitude de sécurité et emprunter un trajet de secours prédéfini jusqu’à nouvel ordre. Malheureusement, le pilote avait aussi éteint le circuit électrique et le transpondeur du warbot par inadvertance. Les écrans de contrôle du centcom n’affichant plus que de la neige, impossible de savoir si le soldat-robot volait en safe mode ou s’était crashé, d’où une panique généralisée au sein du contrôle aérien et des USCBP.
Dans sa chute, le Reaper était tout simplement descendu en dessous de la couverture radar et du plancher nécessaire à l’interaction radio avec le centcom. Pour beaucoup d’observateurs - notamment au sein du NTSB et de l’USAF - cet incident fut la preuve flagrante que les drones, aussi perfectionnés soient-ils, n’étaient pas suffisamment sûrs pour voler dans l’espace aérien civil.
En effet, la seule interaction possible entre les avions civils et le contrôle aérien est la communication verbale radio. Or, en plus d’être absolument muet, le drone est rarement équipé d’un radar aérien. A 800 km/h, un pilote de jet commercial peine grandement à apercevoir à temps d’autres petits ou gros appareils, mais jusqu’ici son anticipation et sa réactivité demeurent de loin meilleures à celle d’un warbot. Aux Etats-Unis, les Terminatrix d’électrosurveillance frontalière volent 1 000 pieds en dessous des couloirs aériens civils, une marge suffisante qui comporte tout de même une bonne dose de risques. Cependant, le DoD tient absolument à ce que ces problèmes soient résolus car... « l’industrie aérodronautique » y tient absolument ! Leur cabinet marketing Teal Aerospace évalue le marché des Unmmaned Aerial Vehicles à 7 milliards de dollars pour la décennie 2010-2020.
Pour ce faire, USAF et NTSB lorgnent du côté d’Eurocontrol - qui regroupe l’UE et treize états supplémentaires - qui a établi une réglementation très stricte concernant l’usage et le vol d’UAV dans les espaces aériens européens. Leur saturation croissante et l’instauration du ciel unique a incité les armées de l’air et les aviations civiles du Vieux Continent à cogérer et à flexibiliser les couloirs civils et militaires.
Toutefois, les visées techno-stratégiques de part et d’autre de l’Atlantique divergent radicalement. Aux yeux du DoD, la réglementation européenne est un sérieux coup de frein au Future Combat Systems, programme prévoyant également d’autonomiser complètement les UAV... qui ne seront alors point radiocommandés par des pilotes et/ou assistés par des opérateurs assurant spécialement l’interaction avec le contrôle aérien, et ne pourront effectuer le moindre essai réaliste dans un contexte aussi contraignant ! L’industrie aérodronautique planche déjà sur l’élaboration de systèmes anti-collision intégrés.
Homo sapiens, dégage !
Grâce à un contrat de 207 millions de dollars alloué au consortium ITT Corp - regroupant AT&T, Thales North America, WSI, SAIC, PriceWaterhouseCoopers, Aerospace Engineering, Sunhillo, Comsearch, MCS Tampa, Pragmatics, Washington Consulting Group, Aviation Communications and Surveillance Systems (ACSS), Sandia Aerospace and NCR Corporation - le Federal Aviation Administration étendra la technologie ADS-B (Automatic Dependant Surveillance Broadcast) à l’espace américain, merveilleux complément du radar et du transpondeur dans le contrôle aérien.
En quoi consiste-t-elle ? Imaginez un instant que votre GPS auto indique en temps réel la position exacte des véhicules voisins sur l’autoroute et en ville... Grâce à l’ADS-B, version ultra-améliorée du GPS, les pilotes bénéficient massivement d’une excellente visibilité (type et identification de l’appareil, position, cap, vitesse et trajectoire) du trafic aérien environnant dans les airs et sur la piste. Ainsi, en coordination avec les tours de contrôle et/ou les appareils tous proches, ils peuvent manœuvrer plus sûrement sur un tarmac encombré par brouillard ou par mauvais temps, et ce, avec des risques réduits de collisions ou d’incursions accidentelles.
Au départ, la FAA testa l’ADS-B en Alaska, immense région au relief accidenté, très peu couverte par les radars, totalisant plus d’un tiers des crashs aériens aux Etats-Unis et d’autant plus hostile en saison hivernale pour les équipes au sol de recherche. Ne nécessitant aucune infrastructure terrestre dans sa forme la plus pure, l’ADS-B sera généralisée à l’Europe vers 2012.
Néanmoins, cette technologie engendre de sérieuses réserves auprès des contrôleurs aériens, estimant qu’on devrait plutôt augmenter leurs effectifs et construire plus d’aéroports. Les pilotes appréhendent d’être surchargés dans leur gestion avionique et d’être régulièrement confrontés à des contradictions informationnelles et directionnelles entre le contrôle aérien et leurs ADS-B. La FAA et ITT Corp ne devront-ils pas coordonner leurs projets avec celui plus orwellien du DARPA ?
Le CNRS militaire américain a récemment approuvé la deuxième phase du projet GILA (Generalized Integrated Learning Architecture) de Loockheed-Martin, chiffré à plus de 5 milliards de dollars. GILA devra assister et planifier les contrôleurs aériens militaires yankee - dans l’espace aérien comme dans les théâtres d’opérations à l’étranger - et même les surpasser « en apprenant constamment à apprendre auprès d’eux ». La fréquentation simultanée de l’espace aérien par les avions civils, les jets militaires et les UAV compliquera à outrance sa gestion globale. D’où la nécessité de disposer d’un système-expert voire d’une intelligence artificielle en réseaux analysant tout ce trafic astronomique en temps réel, et se substituant au besoin à un contrôleur humain. Chaud.
La Royal Air Force, qui a récemment acquis une flotte de Reaper, a également développé un système du même type qu’elle a baptisé Skynet, dénomination emprunté à son homologue du film Terminator - Le Soulèvement des machines.
Skynet repose sur cinq satellites conçus par EADS-Astrium et contrôlés par Paradigm Secure Communications. Le premier d’entre eux, Skynet 5A, fut mis en orbite par la fusée Ariane-5ECA en mars 2007, Skynet 5B et 5C le rejoindront cette année. Les Reaper de la RAF dépendront entièrement de Skynet aux dépens des communications radio classiques. D’ores et déjà, le MoD envisage de l’étendre à toute la Royal Air Force, à la Royal Navy et à la Royal Army. Les labos militechno de Sa Majesté travaillant d’arrache-pied sur l’élaboration de segments skynetware dédiés aux forces terrestres, aériennes et maritimes. Très chaud !
Isaac Asimov ferait bien de se réveiller, Tom Clancy n’a qu’à bien se tenir...
Annexes :
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Aviation : Military Use of Unmanned Aircraft Soars
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Air Attack : Chain of successes leads to Reaper operations
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Arizona Starnet : Border-watching drone crashes after blackout
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The Register : US in move towards GPS-based air traffic control
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Flight Global : DARPA extends robot ATC research for UAVs
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BBC : British Skynet satellite launched
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