L’affaire est passée quelque peu inaperçue dans notre pays pour cause de vacances estivales. On peut le regretter, mais c’est ainsi : en août, les Français bronzent sur les plages et se détournent des médias où remplaçants et stagiaires essaient mollement de donner du relief aux habituels
marronniers pour meubler les colonnes des quotidiens ou les temps d’antenne. Et pourtant les journalistes tenaient avec le bus volant un sujet de premier choix, une invention révolutionnaire de nature à détourner, fut-ce momentanément, l’attention des boulistes à défaut de capter celle des spectateurs émoustillés par l’élection de
Miss T-shirt mouillé au camping des Flots Bleus. Mais la désinvolture de ces professionnels, d’une part, et l’irrésistible appel de l’apéro anisé sur les estivants, d’autre part, ont été les plus forts. Et c’est ainsi que la majorité de nos concitoyens n’a rien su de cette étonnante innovation.
Il faut se rendre à l’évidence : les Chinois sont de plus en plus nombreux dans les grandes villes. Conséquence directe de cette démographie galopante et de l’amélioration concomitante du PIB de ce géant asiatique, la congestion automobile gagne rues, boulevards et avenues. Et le pire est à venir : de 4 millions d’automobiles en 2009, le parc pékinois, en progression exponentielle, devrait passer, nous dit-on, à... 5 millions dès la fin 2010 ! Englués dans les embouteillages, les conducteurs perdent patience, notamment à
Pékin et
Shangaï, de plus en plus saturées par l’invasion de véhicules encombrants et polluants. Le temps des pousse-pousse et autres rickshaws est décidément bien révolu au pays de
Hu Jintao. Confrontées au spectacle de Pékinois transformés en pitbulls au volant de leur
Geely, les autorités de la capitale chinoise ont dû réagir. Faisant appel aux mânes des géniaux inventeurs de la roue ou de la poudre à canon, elles ont chargé les ingénieurs de trouver des solutions propres à résoudre un problème chaque jour plus aigu. C’est ainsi qu’est né le bus volant.
Vers la fin des bouchons ?
Ringardisé, le tramway ! Dépassé, le bon vieux métro ! Avec cette innovation, le bus s’envoie en l’air à la mode chinoise. De quoi faire pâlir de jalousie les anciens colonisateurs britanniques dont les «
routemasters » – les fameux bus à étage londoniens si prisés des touristes – semblent désormais des jouets d’enfant comparés aux véhicules futuristes que l’entreprise Shenzhen Hashi Future Parking Equipment va tester dans les prochaines semaines à l’ouest de Pékin, dans le district de Mentougou, sur une ligne expérimentale de 6 km. Présenté en mai par Song Youzhou, le pédégé de l’entreprise, lors de l’International High-Tech Expo de Pékin, le « straddling* bus » se présente sous la forme d’un engin d’environ 25 m de longueur. Posé sur des rails, de part et d’autre de la chaussée, il enjambera deux voies de circulation automobile. Quant aux voyageurs, ils seront installés dans la partie supérieure tandis que les véhicules d’une hauteur inférieure à 2 m continueront de circuler normalement sur la route sans être gênés par ce tunnel mobile, nous affirment les promoteurs. Prévu pour se déplacer à 60 km/h, le bus volant devrait, selon les autorités pékinoises, réduire d’environ 30 % les bouchons, mais aussi la pollution, dans la capitale chinoise.
En terme d’infrastructure, la mise en œuvre d’un tel équipement demandera évidemment des travaux d’implantation de rails sur les rives des voies concernées, mais aussi la construction de stations adaptées à un accès direct des voyageurs au niveau supérieur. Coût pour 40 km de ligne : 56 millions d’euros, estime Song Youzhou, dix fois moins cher que le coût d’un métro, affirme le pédégé. De plus, une ligne de straddling bus peut être opérationnelle en un an seulement alors qu’il faut compter au bas mot trois années pour construire un métro de longueur identique. Autre avantage, le bus volant sera presque aussi propre que le tapis volant des contes persans car il fonctionnera à l’électricité. Une énergie fournie lors des arrêts en station, d’une part, et par l’implantation de panneaux photovoltaïques sur le toit des véhicules, d’autre part.
Tout sera-t-il parfait dans le meilleur des mondes du transport chinois avec l’émergence de ce nouveau mode aux confins de la technique et de la poésie ? Non, évidemment, car en admettant que les essais prévus en 2011 se révèlent concluants, encore faudra-t-il aménager les 180 km de voies pékinoises qui devraient bénéficier de ce nouveau service dans l’avenir si l’on en croit les autorités locales. Le temps pour le parc automobile d’enfler encore de manière spectaculaire et de réduire comme peau de chagrin l’ambitieux objectif de diminution des bouchons pékinois. De quoi regretter le bon vieux temps des tapis volants : eux n’ont jamais connu le moindre embouteillage dans le ciel parfumé de rose de la belle et mystérieuse
Ispahan !
* to straddle : chevaucher, enjamber, être à califourchon