Galaxies à spirale : trop belles pour être vraies ?
Quoi de plus beau qu’une galaxie spirale, telle la M101 dite “Pinwheel”, à quelques 25 millions d’années-lumière au sein de la Grande Ourse ? Belle et surtout mystérieuse car l’existence de ce type de galaxie pose actuellement des questions sur le mode de développement de ces merveilles célestes.
La description traditionnelle de l’émergence des galaxies consiste à partir de fluctuations quantiques après le Big Bang, ayant eu pour effet de densifier certaines parties de la “soupe atomique” de l’époque. Fluctuations très liées à la matière sombre (ou matière noire), censée constituer près des 3/4 de la masse de l’univers. Dans le modèle cosmologique standard, c’est l’observation de la réalité – et notamment les galaxies – qui fonde la nécessité d’une telle matière sombre, a priori froide et statique. Toujours selon ce modèle, ces densifications locales seraient les points de départ de la construction des galaxies par attraction gravitationnelle.
Néanmoins, pour devenir aussi grandes qu’elle le sont aujourd’hui les galaxies se sont entrechoquées et ont fréquemment fusionné autour de bulbes massifs constitués d’amas d’étoiles désordonnés avec, au centre, un trou noir. Dans les galaxies spirales à bulbe, il y a une corrélation entre la taille du bulbe et la taille du trou noir, et 70% des galaxies possèdent un bulbe. Les galaxies spirales sans bulbe étaient supposées avoir réussi à grandir sans fusionner avec d’autres, et on ne se posait pas trop la question de savoir comment, exactement, elles s’y étaient prises.
Jusqu’au jour où des astronomes un peu plus curieux , notamment John Kommendy de l’Université du Texas et Ralph Bender de l’Institut Max Planck à Munich, se mirent à observer très attentivement 19 grosses galaxies spirales les plus proches de nous et surprise : 11 semblent ne pas avoir de bulbe – et donc n’auraient pas connu de fusions violentes au cours de leur croissance. Parmi celles-ci la Pinwheel en photo ci-dessus, et la nôtre, la Voie Lactée. En effet, ce qui semble être un bulbe (donc une zone chaotique, vestige des violentes rencontres du passé) au coeur de ces galaxies est en fait un espace calme et ordonné, avec des zones de formation d’étoiles, et ne dépassant pas du plan de la galaxie. De plus, les trous noirs aux centres des bulbes sont supposés jouer un rôle important dans la croissance des galaxies de part leur force d’attraction. Or ces galaxies sans bulbes n’ont pas de trous noirs massifs en leur centre, celui de la Pinwhelle étant par exemple mille fois moins massif que ce qu’il devrait être si elle était dotée d’un bulbe.
Extrapolant au 562 galaxies répertoriées, la question du mode de croissance prend tout de suite une ampleur importante : les grosses galaxies spirales sans bulbes sont peut être majoritaires, et si elles n’ont pu grandir sur le mode “fusion et acquisition” il faut trouver une nouvelle explication.
Une forme d’explication est simplement que la croissance des galaxies dépends fortement de leur environnement galactique, dans les zones peu peuplées elles croissent seules et arrivent à former des galaxies sans bulbes et inversement mais encore faut-il expliquer pourquoi certaines zones seraient, dés le départ, plus vides que d’autres. Pour certains, telJim Peebles de l’Université de Princeton, il faut peut être réévaluer certains éléments du modèle traditionnel. Il faut notamment examiner la possibilité d’une formation très rapide de ces galaxies durant leur phase gazeuse au travers de fusions très anciennes, avant le démarrage des étoiles.
Au-delà de la question de leur création, l’existence de ces galaxies sans bulbes apporte un nouvel éclairage sur la localisation dans l’espace des galaxies en général : en effet les galaxies ne sont pas distribuées de manière homogène dans le cosmos (du moins dans la partie qui nous est accessible). Les galaxies les plus proches occupent 2/3 de l’espace disponible, laissant 1/3 de vide quasi absolu connu de “vide local” (Local Void) à la frontière duquel se trouve, entre autres, notre galaxie. D’après la théorie classique, ce vide devrait contenir au moins 19 galaxies or il n’en est rien : de nombreuses galaxies locales sont “collées” sur une “paroi” de ce vide local (la “local sheet”) et quelques unes parmi les plus imposantes se trouvent à quelques millions d’années-lumières de la “local sheet”. Autrement dit la distribution des galaxies est très bizarre et ne correspond pas du tout aux prévisions du modèle standard, beaucoup plus homogène. Si les galaxies spirales sans bulbe se sont formées très rapidement, elles ont pu attirer vers elle l’essentiel de la matière disponible et donc créé l’amorce d’un vide local : avec moins de matière distribuée de manière homogène et donc moins d’attraction gravitationnelle pour compenser l’expansion de l’univers, le vide autour de ces galaxies aurait rapidement grandi (la vitesse d’expansion du vide local, dans notre région de l’espace, est de près d’un million de km/h !) et aurait ainsi rendu impossible toute collision future par manque de combattants – d’où l’existence tranquille de ces galaxies sans bulbe.
L’existence de telles galaxies, telle la Voie Lactée, peut donc sans doute s’expliquer par cette effet d’expansion du vide, mais cela n’explique pas comment ces galaxies ont pu se former aussi rapidement en premier lieu. Et on en revient à cette fameuse matière sombre : habituellement considérée comme “froide” donc plutôt statique, la matière sombre est perçu comme formant le berceau des galaxies. Cette matière quasi immobile aurait formé de petits amas locaux d’où seraient nées les embryons de galaxies, qui en grossissant se seraient percutées entre elles pour former les grosses galaxies à bulbe. Mais si on veut expliquer la création des galaxies sans bulbe il faut une matière sombre nettement plus fluide, “chaude” et ayant permis la création d’amas nettement plus importants mais plus espacés les uns des autres.
De quoi serait composée une telle matière sombre et chaude ? il pourrait s’agir d’un neutrino stérile – concept sur lequel je proposais l’an dernier le billet “Neutrino et matière noire : le retour“. Une autre source pourrait être la désintégration explosive de particules lourdes générant ainsi des flots de particules rapides donc “chaudes”. L’AMS récemment installé sur la station spatiale internationale (voir ce billet) apportera peut être des réponses à ces questions.
En conclusion, il semble que notre représentation actuelle de la formation des galaxies et a fortiori des caractéristiques de la matière sombre soit quelque peu simpliste. La réalité est sans doute nettement plus complexe et plus chaotique.
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