Gravité quantique, le plus grand défi scientifique du 21ème siècle

1. De la gravitation à l’intrication
La science moderne n’a cessé de proposer des défis, souvent expérimentaux et parfois théoriques. Les défis les plus récents ont concerné le boson de Higgs et les ondes gravitationnelles. Deux enjeux ayant mobilisé des centaines de physiciens mais aussi des financements à la hauteur des technologies utilisés. Les médias de masse ont conféré à ces résultats une notoriété soudaine sans que le public ne puisse mesurer l’importance avérée de ces découvertes expérimentales censées avoir appuyé les deux grands édifices que sont le modèle standard des particules hérité de la mécanique quantique et la cosmologie relativiste, second pilier de la physique contemporaine. Mais tel un train en cachant un autre, ces aventures expérimentales masquent des défis théoriques ô combien plus décisifs pour la compréhension de l’univers. Il est regrettable que ces quêtes de compréhension ne passent pas dans la sphère publique. Sans doute ces enjeux sont-il trop ardus à présenter d’une manière accessible. Néanmoins, quelques revues scientifiques de renom n’hésitent pas à faire le point sur les controverse et interrogations assumées par les plus doués des spécialistes, du quantum au cosmos.
La formulation d’une théorie quantique de la gravité constitue le plus grand défi que doit relever la physique du 21ème siècle. Toutes les tentatives ont échoué ce qui maintenant impose de recadrer la démarche en s’appuyant sur deux considérations. Avec un préalable. Toute théorie physique qui se respecte comprend des objets mathématiques qui sont ou bien des outils de calculs, ou bien des représentations de choses physiques naturelles (appréciez le pléonasme, Physis signifie Nature chez les Grecs). Une fois ce préalable posé, on doit remarquer que le sens physique de la mécanique quantique échappe encore aux exégètes des spins et autres fonctions d’onde. Deuxième remarque. Si la physique quantique refuse de se combiner à la relativité générale, c’est peut-être que la relativité n’est pas la bonne description du cosmos en adéquation avec ce qu’on appelle la gravité et tous ses effets. D’où le chemin que je suggère. D’abord comprendre la physique quantique et ce qu’elle dit de la nature, puis analyser les limites de la cosmologie relativiste et repenser l’ensemble.
La physique quantique échappe encore à l’entendement, comme le précise un énième article sur ce thème signé Zeeya Merali qui s’interroge : « What is really real ? » (Nature, 521, 21 mai 2015). Une fois de plus, on y retrouve les interminables questions sur la signification de la fonction d’onde et d’autres considérations récurrentes en ce domaine, exposées avec clarté et concision. Il est dommage que les expériences sur la fission de la fonction d’onde n’aient pas été mentionnées (réalisées par Humphrey Maris sur l’hélium superfluide). On notera l’opinion d’Andrew White qui après 20 années de bon et loyaux services dans les technologies quantiques énonce que l’énigme quantique est à l’image d’une gigantesque montagne lisse sur laquelle nous n’avons aucune prise pour la gravir. Bref, pour accéder à l’énigme quantique, il faudrait monter sur des épaules de géants.
Allons voir maintenant du côté de la gravité quantique avec un article fort instructif signé Ron Cowen (Space, time, entanglement, Nature, 527, 19 novembre 2015). Et pour une fois, on peut dire qu’il y a du nouveau. Une propriété du monde quantique, l’intrication, est interprétée comme une essence régissant l’étrangeté de ce monde, mais semble également jouer le rôle d’une essence de l’espace-temps. Pour faire simple, la théorie quantique décrit les choses à une très petite échelle, la gravité au contraire régit les structures de très grande dimension. Or, il devient envisageable de faire intervenir l’intrication quantique dans les phénomènes relevant de la gravité. Et cette possibilité n’est pas une moindre révolution. C’est peut-être le début d’un séisme dans le domaine de la physique contemporaine. Cowen raconte les déboires d’un jeune physicien, Mark Van Raamsdonk, qui après un an de travail soumet un article peu conventionnel sur la gravité quantique et se voit refuser sa publication par une revue cotée tout en étant qualifié de fantaisiste par le comité de lecture. Même sort auprès d’une revue dédiée à la gravitation et la relativité générale. L’intéressé insiste en écourtant son article pour le présenter à un concours d’essai organisé par un institut spécialisé dans la gravité et cette fois, le jackpot pour celui qui fut qualifié de crackpot et qui remporta le premier prix pour ses hypothèses sur un lien entre intrication et gravité, tandis que son article écourté fut publié en 2010 dans la revue qui avait refusé la première version.
Pour la petite histoire, rappelons que l’intrication décrit la corrélation instantanée entre deux observations quantiques. Ces corrélations avaient été envisagées par Einstein et deux collaborateurs en 1935 lors de l’énoncé du célèbre paradoxe EPR. Puis théorisées par les inégalités de Bell et enfin observées la première fois par les expériences d’Alain Aspect. Einstein n’appréciait guère cette idée d’interaction instantanée à distance, pour autant qu’il y ait vraiment une interaction. Quoi qu’il en soit, l’apparition de l’intrication sur la scène gravitationnelle semble constituer un tournant en sciences physiques autant qu’un sacré tour joué par les « facéties quantiques » à l’encontre du grand Albert que ne fut jamais « inféodé » à la physique quantique tout en refusant de s’associer aux tenants de l’orthodoxie lors du congrès Solvay de 1927. Il se passe des choses importantes dans le domaine de la gravité depuis 2010. Nous avons pu ressentir une alerte avec les résultats controversés d’Eric Verlinde sur une origine entropique de la gravité déduite en étudiant la forme des équations de Newton. Mais avec Van Raamsdonk, c’est plus « costaud ». On retrouve une intervention de l’information (holographique) dans un contexte où les descriptions de la relativité générale sont utilisées. « J’ai compris quelque chose que nul n’avait capté auparavant » s’est exclamé l’auteur de cette hypothèse étonnante sur l’intrication.
Les idées scientifiques nouvelles ne jaillissent jamais du néant. Elles naissent dans un contexte de savoirs qui permet leur émergence. Et c’est tout le génie des physiciens que de trouver des connivences théoriques là où nul ne les voit, ou bien de déceler un sens physique dans des formules qui ne sont que des objets mathématiques pour la plupart des spécialistes. Les travaux de Poincaré, Minkowski, Lorentz, ont été un ressort pour Einstein qui fut le premier à comprendre comment on pouvait interpréter ces formules avec un sens physique. Depuis 1997, des nouvelles formules et des enjeux inédits découlent d’un résultat décisif acquis par Juan Maldacena dans le cadre de la théorie des cordes. Ce résultat est connu comme correspondance CFT/AdS ou bien dualité jauge/gravité.
Le pôle gravité est constitué par un cosmos similaire au notre, sans contraction ni expansion, rempli par des particules et calculé à partir des équations de la relativité générale. C’est un cosmos massifié, étendu (bulk). C’est le physicien de Sitter qui trouva une solution vide aux équations de champ d’Einstein. L’espace AdS (anti de Sitter) est l’analogue du précédent mais avec une courbure négative. L’autre pôle est lui aussi traversé par des particules mais il a une dimension de moins et surtout, il ne reconnaît pas la gravité. C’est ce pole CFT qui doit sa dénomination à son caractère de champ conforme. Le propre de la dualité est de décrire doublement ce qui se passe à l’interface des deux pôles. Il y a une correspondance point par point entre ce qui se passe dans l’univers bloc gravifique et le champ conforme non gravifique, l’un étant imaginable par un volume sphérique en 3D et l’autre par la surface de cette même sphère en 2D. Si on raisonne en terme d’information, ce qui est codé en 2D s’exprime dans l’univers bloc en 3D. Le principe est le même que l’holographie, technique permettant de produire par interférence une image en 3D en irradiant une plaque photographique. Mais ce n’est qu’une métaphore un peu trompeuse. L’holographie est une technique qui s’explique par la mécanique quantique. La dualité jauge/gravité fait intervenir la relativité générale (plus les champs conformes) et c’est une théorie.
Van Raamsdonk s’est tout simplement intéressé à une question découlant de la dualité jauge/gravité et que personne n’avait posé avant 2010. Comment un champ quantique conforme et non gravitationnel sur une bordure d’espace peut produire un espace étendu qui obéit à la gravité ? Et d’abord est-ce possible ? Cela suppose que l’on accorde à la dualité une réalité physique. Ensuite, de travailler sur les formules en supposant qu’il existe une sorte de relation entre la géométrie gravitationnelle et l’intrication quantique. Cette hypothèse est incertaine. Elle avait été envisagée avec succès pour une géométrie qui contient un trou noir. Van Raamsdonk a cherché à savoir si cette relation envisagée dans le cadre d’une géométrie avec trou noir n’était qu’une curiosité ou alors une règle régissant n’importe quel cosmos, y compris le notre. Pour résoudre cette conjecture, il a cherché à calculer ce qui se passerait si l’intrication sur la bordure disparaissait ; en utilisant des outils mathématiques très subtils. Si l’intrication disparaît, la géométrie se disloque tel un chewing-gum que l’on étire jusqu’à la rupture. L’intrication quantique se comporte comme une sorte de « colle géométrique » qui maintient la consistance de l’étendue gravitationnelle.
2 La gravité quantique élaborée comme une physique de l’information
Je poursuis la présentation du tournant que prend la gravité quantique en suivant un chemin singulier mais aussi avec l’aide précieuse de l’excellent article de Cowen ..... à suivre si vous êtes intéressés
Lien vers Cowen
http://www.nature.com/news/the-quantum-source-of-space-time-1.18797
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