Helicobacter et l’homme
Helicobacter pylori est la bactérie qui, chez l'homme, provoque des ulcères d'estomac et des cancers. Chaque population a "son" Helicobacter pylori.
Le présent article va se focaliser sur ce qu'on peut apprendre sur nous, Homo sapiens via l'étude de la bactérie parasite Helicobacter pylori . C'est l'occasion aussi de découvrir un champ de recherche très actif depuis la découverte de cette bactérie en 1982 par Barry Marshall et John Robin Warren. C'est, en effet, à cette date que ces chercheurs identifient cette bactérie chez des patients souffrant d'un ulcère à l'estomac. Le lien sera ensuite établi entre l'infection par Helicobacter pylori et le développement des ulcères. Cette découverte a été récompensée par le prix Nobel en 2005. Environ 50 % des hommes sur toute la planète sont porteurs de cette bactérie et tous ne développent pas un ulcère : il y a des facteurs déclenchants. Il a été montré qu'Helicobacter pylori est aussi responsable du développement de certains cancers de l'estomac. Le déclenchement de ces cancer est médié par des protéines d'ancrage (Cag) produites par certaines souches ; seules les souches d'Helicobacter pylori porteuses de gènes Cag sont suceptibles de provoquer ces cancers. Cag1 est inclus dans la paroi de l'estomac et des modifications de cette protéine déclenchent le cancer.
J'ai été un peu long sur cette présentation car je crois que beaucoup de personnes ignorent ce progrès dans la compréhension (et la guérison) des ulcères de l'estomac. Le lien avec Homo sapiens, en tant qu'espèce, vient de ce que les études sur les Chimpanzées ne trouvent aucun Helicobacter pylori et il y a de bonnes raisons de penser que l'homme a été infecté lors de son changement alimentaire au tout début de l épopée humaine décrite par la théorie « Out of Africa » postulant un berceau africain et une expansion à partir d'Afrique. Or, la relation parasitaire fait que les changements intervenus chez ces populations en évolution se sont répercutées sur la bactérie. Une relation étroite entre chaque population dans un lieu précis et la souche d'Helicobacter qu'on trouve a été établie et cette relation est « familiale » dans le sens où cette bactérie ne se transmet pas si facilement ; par voie fécale – orale sans doute. Les groupes humains successifs ont donc véhiculé leur Helicobacter pylori et la génétique des souches permet de retrouver un arbre semblable à celui établi pour l'homme, confirmant la migration « out of Africa ». C'est un segment de l'ADN bactérien porteur d'une série de gènes très conservés (fonctions essentielles), ne présentant donc que peu de mutations qui a servi à comparer les souches. On observe une diversité génétique plus importante en Afrique et l'arbre des mutations s'explique bien en corrélant la distance à l'Afrique et le nombre de différences par rapport à une souche africaine. Il y a donc bien eu diffusion démique. Pour comparer les souches d'Helicobacter entre elles et chercher d'où vient notre Helicobacter on a utilisé la comparaison des ARN 16S, une forme ubiquitaire d'ARN (présent chez toutes les bactéries) et très conservé. Il est intéressant de savoir qu'on peut aussi dresser l'arbre des primates via l'ARN 16S des mitochondries de nos cellules. Helicobacter pylori est proche de l'espèce Helicobacter acinonychis qui infecte les grands félins. Certains auteurs pensent que ces grands félins ont été infectés en consommant nos ancêtres mais la relation inverse est au moins aussi possible : c'est en consommant les restes laissés par les grands félins alors que nos ancêtres lointains se mettaient à consommer davantage de viande que la contamination a pu s'établir. On aurait donc là, la trace d'un changement spécifique à la lignée humaine et que nos cousins Chimpanzées n'ont pas vécu. La datation de cette « inoculation » n'est pas connue car l'ARN 16S ne permet que des comparaisons sur une grande échelle de temps ; voir les arbres pour primates et souches gastriques d'Helicobacter :
Helicobacter cetorum qui est l'autre espèce relativement proche de H. pylori infecte les cétacés. Quittons les spéculations sur l'origine de H. pylori pour étudier la variabilité génétique de H. pylori. On peut grouper les souches de H. pylori en 7 ensembles dont 6 sont proches et relativement distants du sixième (hpAfrica2) localisé en Afrique du sud et correspondant aux populations San, ces peuples de langues à Clics (les Boshimans du film « Les dieux sont tombés sur la tête »).
hpSahul représente le groupe lié aux hommes qui ont colonisés l'Australie, proches des deux groupes asiatiques. HpAfrica1 est en Afrique de l'ouest. L'Europe a subi une influence venue d'Afrique et venue d'Asie. Le schéma de migration est le suivant :
Les dates sont déduites de l'étude de la variabilité génétique de H. pylori. Des travaux plus récents décalent à 135000 ans la sortie d'Afrique (au lieu de 200 000 ans). On peut mettre en parallèle l'arbre phylogénique humain, déduit de l'ADN mitochondrial, et l'arbre H. pylori maintenant que de très nombreuses souches de H. pylori ont été étudiées :
Le triangle noir indique les San qui ont été infectés par les souches des envahisseurs non-San lorsque les Bantous et autres peuples africains (non-San) sont arrivés avec l'agriculture et ont repoussé les San dans les lieux impropres à l'agriculture. La dichotomie San et non-San de la phylogénie de l'ADN mitochondrial était connue mais l'étude de H. pylori souligne cette dichotomie car ce sont les San qui ont des souches plus proches de H. acinonychis (félins) et on voit une partie des San « colonisés » par des souches d'agriculteurs. C'est très explicite.
L'origine de l'homme : il serait pourtant faux de voir dans les San nos ancêtres. Il y a eu un ancêtre commun San / non-San et une divergence ancienne. On pense actuellement qu'une étape dans la péninsule arabique pourrait expliquer la dichotomie marquée : les populations africaines non-San seraient revenue sur le continent Africain après une étape péninsulaire où s'est formé ce groupe qui a conquis le monde. Certains soulignent que « Out of Africa » n'est peut être pas vraiment parti d'Afrique si l'étape en péninsule arabique a eu un tel effet fondateur. En quelques années Helicobacter pylori s'est imposé comme une composante de l'histoire de l'homme. On attend ce que les souches Européennes auront à nous dire sur les différentes vagues de migrations vers l'Europe. D'ors et déjà nous savons qu'il y a eu migration de peuples ayant apportés avec eux leurs souches de H. pylori. Le sud de l'Europe a subi une influence venue directement d'Afrique de l'ouest (sans doute via l'Espagne) qui n'a pas pénétré le nord de l'Europe plus proche de l'influence asiatique.
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