Info ou Intox ? Le premier ordinateur quantique
Le 13 février, la start-up canadienne D-Wave a présenté le premier ordinateur quantique, et l’a utilisé pour résoudre quelques problèmes de Sudoku. La communauté scientifique attend plus de détails pour se prononcer. Mais qu’est-ce qu’un ordinateur quantique ?
Toutes les disciplines ont leurs "figures
imposées", des thèmes qui reviennent à la fin de chaque publication sous
la forme : Notre découverte est un pas important vers..., généralement
dans le but de justifier l’argent utilisé. En biologie, c’est la lutte contre
le cancer, en neurosciences, c’est la maladie de Parkinson qui tient la corde,
et en physique, le must, c’est l’ordinateur quantique.
Eh bien, une start-up fondée en 1999, D-wave,
a
annoncé il y a quelques jours avoir réalisé le premier ordinateur quantique. Ce
pas de géant technologique suscite l’enthousiasme, mais la communauté
scientifique attend d’en savoir un peu plus sur le plan technique pour se
prononcer.
Alors, de quoi parle-t-on, quand on dit ordinateur quantique ? Qu’est-ce que ça
va apporter, quels sont les problèmes à résoudre ? Parler d’ordinateur
quantique conduit rapidement vers des concepts de physique très compliqués, mais
je vais essayer de rester aussi clair que possible.
La première idée importante en physique quantique, c’est que les propriétés des
systèmes (atomes, électrons) sont quantifiées (d’où le mot quantique, bien
sûr). Par exemple, l’énergie d’une particule confinée dans un puits ne peut
appartenir qu’à un ensemble discret de niveaux, plutôt qu’à l’ensemble
continu dont nous avons l’habitude à notre échelle. Une analogie à notre
échelle serait de dire que vous ne pouvez pas placer une pomme à n’importe
quelle hauteur, mais seulement par terre, sur le tabouret ou sur la table. Une
propriété quantifiée souvent utilisée dans la recherche sur l’informatique
quantique est le spin (une propriété purement quantique) qui ne peut prendre,
pour un électron, que les valeurs +1/2 ou -1/2. Une notation abrégée est + ou-, mais l’on pourrait tout aussi bien parler de 0 et de 1 comme en informatique
classique.
Une deuxième idée est la superposition d’états. Le chat quantique de
Schrödiger peut être à la fois vivant et mort, le spin peut être à la fois
+ et -. Seule la mesure, qui donne + ou - avec une certaine probabilité pour
chaque, permet de lever l’ambiguïté. Par analogie avec un bit d’information (1
ou 0), cet état intriqué (+ avec la probabilité p+,-avec la probabilité p-)
est appelé q-bit. C’est la première raison d’être intéressé par l’informatique
quantique : l’information n’est plus limitée à deux valeurs, mais peut
s’établir dans un continuum.
Troisième idée dont nous devons parler dans ce tour d’horizon à marche forcée
de la physique quantique, l’intrication. Quand je prépare un couple d’électrons,
ou plus généralement un couple de q-bits, j’ai accès à quatre états : les états
++, —, + pour l’un et - pour l’autre, et
inversement, que l’on peut noter +- et -+. Par superposition, il est alors
possible de créer la paire dans un état dit intriqué, +- ET -+ (voire même +- ET-+ ET ++ ET—), chacun avec une probabilité associée. On touche ici à un des
paradoxes les plus subtils de la mécanique quantique, le paradoxe
EPR. Mais pour ce qui nous intéresse ici, l’ordinateur quantique, il faut
se rendre compte que ces états sont des flux d’information, capables de subir en parallèle des opérations.
En effet, supposons qu’il soit possible de lire les q-bits, et de réaliser des
opérations sur ceux-ci. Par exemple, il faut imaginer un processeur capable de
lire —+ et -+- (1 et 2 en binaire) et d’émettre -++ (3) en sortie : il serait
capable de faire des additions. Cette opération, qui n’est pas une mesure mais
une évolution physique, s’applique à tous les états intriqués en même temps.
Ainsi, la spécificité de l’ordinateur quantique est de présenter une puissance
de calcul augmentant avec le nombre d’états disponibles, c’est-à-dire exponentiellement avec le nombre de
q-bits utilisés.
Les applications de cette puissance de calcul se trouvent
dans les problèmes dits "NP"
(problème non-déterministe polynomial), dont la complexité augmente elle aussi
exponentiellement avec la taille du système. Presque toutes les sciences
présentent ce type de problèmes : dynamique chaotique, analyse de données, structure
des protéines, cassage de codes... Notons toutefois que les contraintes, dont
je vais parler, qui pèsent sur l’architecture de l’ordinateur quantique, font
qu’il sera probablement moins performant qu’un ordinateur classique dans un
grand nombre de tâches usuelles.
Après avoir vu les enjeux, passons aux obstacles, et essayons de voir comment
D-Wave les a, semble-t-il, résolus.
Les premiers sont de nature physique : il faut concevoir des moyens de manipuler des atomes ou des électrons, et de lire et d’écrire leurs états quantiques. Ce n’est pas une mince affaire, mais de nombreux groupes de recherche travaillent dessus, et quelques techniques ont été proposées. D-Wave utiliserait une puce appelée Orion, capable de manipuler 16 q-bits (le précédent record était de 7), couplée avec une architecture traditionnelle qui simplifierait le travail des concepteurs.
Ensuite, il faut éviter à tout prix la décohérence : à la moindre interaction
avec l’environnement, le paquet de q-bits se désolidarise, chaque q-bit
redevient indépendant. Au lieu de +- et -+, on se retrouve avec +et- et -et+, et
il devient impossible de faire des calculs sur ces éléments indépendants. Orion,
qui est refroidi à l’hélium liquide, fait circuler ses électrons dans du
niobium rendu supraconducteur par un refroidissement à l’hélium liquide :
on est encore loin des conditions grand public.
Enfin, il faut aussi résoudre la difficulté logicielle. Inventer des
algorithmes massivement parallèles n’est pas une tâche aisée, ne serait-ce que
parce que tout le travail depuis les origines de l’informatique a toujours
porté sur de l’information séquentielle. Mais ce qui est déjà difficile avec la
programmation parallèle est encore compliqué par une contrainte supplémentaire
sur les algorithmes quantiques : la nécessité de produire un résultat
déterministe à partir de hasard. En effet, la mesure du résultat se fait
aléatoirement entre tous les états : il faut donc soit que les calculs sur
les états imbriqués arrivent au même résultat, soit répéter de nombreuses fois
la mesure et retenir la réponse la plus probable. A cause de cette contrainte,
très peu d’algorithme "quantiques" existent
actuellement, et sont surtout adaptés aux problèmes utilisant peu d’entrées
et de sorties, mais présentant beaucoup de complexité entre les deux. Il semble que
D-Wave utilise une technique appelée « calcul quantique
adiabatique », inventée par Seth Lloyd, un
professeur du MIT, et qui permette justement de gérer ces phénomènes complexes.
Cette technique n’a pas été complètement validée scientifiquement, ce qui
explique la réserve de la communauté scientifique, en plus du fait que D-Wave
garde secrets les éléments techniques d’Orion.
Il semble bien que les capacités des informaticiens à utiliser un ordinateur
quantique soient tout aussi limitées que celle des physiciens à le construire.
La prouesse de D-Wave doit donc être jugée à cette aune : avoir réalisé ce
que tout le monde attendait pour dans dix ou vingt ans, en concentrant des idées
novatrices pour surmonter des obstacles autrefois jugés insurmontables. Les
enjeux sont si formidables qu’il est difficile d’imaginer les révolutions qu’un
tel outil pourrait permettre dans le monde scientifique. Si la validité de la
technologie employée est confirmée avec le temps, il faudra se souvenir du 13
février comme de la première démonstration publique d’un ordinateur
quantique !
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