Internet a révolutionné le métier de chercheur

La recherche scientifique n’est pas faite uniquement d’expériences dans des laboratoires. Encore faut-il savoir où il faut chercher et ce qu’il faut tenter de trouver. Le traitement de l’information est donc crucial pour un scientifique qui se doit de prendre connaissance des résultats publiés dans son domaine. C’est indispensable et cela permet de déployer des stratégies expérimentales et notamment d’éviter de refaire des expériences qui ont déjà été publiées ou alors de les faire en utilisant un autre modèle ou enfin d’imaginer, par bissociation d’idées, des phénomènes susceptibles d’être mis à jour en produisant le dispositif expérimental adéquat. Dans la novlangue de la blouse blanche, le scientifique à la paillasse expérimente, il manipe, et quand il ne fait pas des manipes, il peut rédiger un article ou alors faire sa biblio, c’est-à-dire s’accorder une demi-journée pour prendre connaissance des derniers résultats publiés dans son champ de recherche. Faire une recherche bibliographique sert aussi à trouver des informations pratiques pour réaliser une expérience. La collecte d’informations scientifiques sert également à finaliser le produit final, autrement dit la publication, dans les auteurs doivent indiquer un bref état de la question et fournir éventuellement des références lorsqu’ils citent des données ou bien lorsqu’ils indiquent le protocole utilisé.
Un patron de recherche digne de ce nom doit inciter le doctorant à faire sa biblio. Je me souviens lorsque, arrivé à Toulouse, mon directeur de DEA (puis de thèse) m’accompagna dans une grande bibliothèque. Je fis connaissance avec les chemical abstracts, des pavés bien plus indigestes et imposant que les pages jaunes, avec des mots clés renvoyant à des petits résumés d’articles. Si l’information vaut le détour, alors il faut aller sur les étagères prendre la revue et photocopier l’article pour l’étudier tranquillement dans son bureau. Ces première recherches bibliographiques m’ont permis de trouver un moyen pour synthétiser une molécule assez difficile à faire, un glucuro-conjugué de l’acétate d’elliptinium, qui était destiné à augmenter les capacités antitumorales de la molécule de départ mais qui s’est révélé être un produit de détoxification, ce qui n’avait rien d’étonnant puisque le foie utilise cette conjugaison pour éliminer les toxiques exogènes.
De la biblio, j’en faisais et bien plus que pour couvrir mon champ réduit d’investigation. C’était dans les années 1980. Il n’y avait pas Internet mais on pouvait utiliser un petit fascicule publié toute les semaines et recensant le sommaire de la plupart des revues scientifiques de référence. Il y avait deux méthodes pour chercher des publications pertinentes, soit par mot clé, en choisissant un thème ou un nom d’auteur, en l’occurrence un scientifique qui travaille dans le domaine et dont on veut pister les dernières découvertes. Ou bien carrément en lisant rapidement les sommaires et en espérant que l’esprit soit suffisamment agile pour tilter en survolant les titres des articles. Quand je tombais sur un article méritant d’être étudié, j’allais chercher la revue si elle était disponible dans la bibliothèque. Et si elle n’y était pas, je faisais appel à la documentaliste qui allait régulièrement faire des photocopies sur le campus toulousain. La photocopie était disponible en quelques jours, ou bien plus s’il fallait passer par le système interuniversitaire pour avoir une copie de l’article. Il existe une autre possibilité, notamment dans les labos sans documentaliste, c’est d’envoyer un petit carton à l’auteur de l’article préposé à recevoir la correspondance. Le carton était envoyé par la poste aérienne et le tiré à part adressé par l’auteur avec un affranchissement au tarif brochure ce qui permettait d’avoir la copie dans un délai de un à trois mois. On l’aura compris, à l’époque du Moyen Age scientifique, je veux dire lorsque Internet n’existait pas, la quête des informations était tout à fait accessible, mais avec une lenteur digne de l’époque des diligences et aussi une dépense de temps assez substantielle. La narration de ces petits détails n’est pas sans susciter quelque nostalgie des jeunes années. Je me souviens avoir récupéré un article publiée dans une revue japonaise traduite et disponible seulement dans quelques labos parisiens. Cet article fut à l’origine d’une découverte inédite sur un mécanisme d’action de l’elliptinium qui n’était prévu et qui s’est révélé exister. Je ne donnerai pas de détails pour éviter que le lecteur ne soit incommodé par d’indigestes précisions sur les chélateurs, le fer et les radicaux libres. C’était une autre époque. Mes compères thésards étaient minutieux. Ils faisaient de chaque article important une petite fiche sur un petit carton qu’ils plaçaient dans une petite boîte métallique. J’avais adopté une autre méthode. Attaque de la photocopie au surligneur puis archivage de l’article dans une des dizaines de chemises thématiques prévues à cet effet. Je ne sais pas comment je faisais mais j’arrivais à retrouver chaque article dès lors que je décidais de le consulter.
Un quart de siècle plus tard, me revoilà plongé dans le labyrinthe bibliographique. A dire vrai, j’ai quitté depuis longtemps l’activité trop étriquée et sclérosante de la science expérimentale. Je ne cherche plus, je trouve ! Je n’enseigne plus, j’écris et faute d’avoir un emploi d’enseignant-chercheur, j’ai inventé le métier d’écrivain-trouveur. Ce que je trouve passe plus aisément par l’écrit. J’aimerais bien enseigner mais si c’est pour servir dans un amphi la messe à une bande de bœufs venus recevoir l’eucharistie scientifique avant le baptême diplômant, non merci ! Cela dit, des scientifiques il en faut et me voilà à constater que la quête de l’information scientifique a pris un autre visage. La bibliographie faite avec Internet et rapporté au temps du papier et de la poste, c’est comme le supersonique comparé à la diligence.
Plus besoin de se déplacer dans les bibliothèques, de zoner entre les étagères pour récupérer les revues, de se prendre la tête avec les mots clés conduisant le bibliographe vers le labyrinthe des revues. Internet a considérablement facilité la tâche. Il suffit de cliquer pour accéder aux revues scientifiques ou bien de taper quelques mots judicieusement choisis dans un moteur de recherche et l’info devient disponible sur l’écran. Les résumés des articles défilent. Pour lire le texte complet, il suffit que le labo soit abonné à la revue ou à défaut, payer quelques dix ou vingt dollars avec les crédits de recherche et la publication n’a plus qu’à être étudiée et si nécessaire, imprimée. Il est aussi possible de demander un tiré à part à l’auteur figurant comme correspondant parmi les signataires. Il m’est arrivé de recevoir un article au format pdf seulement trois heures après la requête formulée auprès d’un scientifique localisé en Californie. Dans les temps anciens, la même opération aurait nécessité au minimum trois semaines.
Internet augmente donc la capacité de propagation de l’information scientifique. C’est un gain appréciable mais qui ne change pas fondamentalement la compétition car les règles sont les mêmes. La possibilité de publier rapidement peut s’avérer utile dans un contexte de crise, comme à l’occasion du H1N1. On a su très tôt la faible virulence de ce variant grippal dont un gène était du reste tronqué. Après, les autorités font ce qu’elles veulent. C’est donc la publication, autant que l’accès l’information scientifique numérisée, qui permet de gagner du temps. Mais les grandes découvertes n’ont jamais été faites dans la précipitation. Enfin, le survol rapide et facilité des données scientifiques permet à quelques-uns, impliqués dans des réflexions philosophiques ou théoriques, d’aller vite au plus près des avancées et de surveiller de grands champs scientifiques. Avec le risque de se disperser, mais aussi de trouver des paradigmes inédits et de gagner une partie dans le domaine des hypothèses.
L’Internet m’a ainsi permis de jouer des idées, de me jouer des résultats en misant des hypothèses, en suivant les tendances en matière de mécanismes moléculaires constituant le vivant et dont la logique nous échappe. On ne sait pas trop bien comment ce tas de molécules aboutit à des systèmes vivants doués de facultés physiologiques, motrices et cognitives surprenantes. Je réfléchis à toutes ces choses, à l’écart des labos, sans rien attendre sauf d’étranges coïncidences comme cet échange avec un professeur de cancérologie de Détroit qui a lu mon manuscrit sur le sacre du vivant que je lui ai adressé alors qu’il avait lu avec attention quelques-uns de mes billets sur Agoravox concernant la génétique. C’est peut-être cela le miracle ou du moins la magie du Net, faire communiquer des gens que rien ne prédestinait à se rencontrer alors qu’à dix minutes de chez moi, des centaines de scientifiques travaillent et ne semblent pas être intéressés par les avancées philosophiques et les idées vagues que je brasse sans savoir si elles aboutiront. Telle est la règle du jeu. Internet a modifié considérablement les manœuvres du jeu mais pas la règle ; car Internet ne peut pas transformer un individu, ni une horde, en êtres intelligents. Ni résoudre la dette grecque !
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON