Le 11 janvier, la Cour d’appel de Caen a confirmé la relaxe de deux agriculteurs poursuivis pour "refus de prélèvement ADN" suite à une action de fauchage d’OGM. La Cour prend fait et cause pour les militants qui refusent ce fichage obligatoire, même en cas de non condamnation, et qui dénoncent l’absurdité juridique d’un délit qui devient "continu et permanent".
Frédéric Péchenard, le grand chef de la PJ, a fait des révélations chiffrées dimanche 4 janvier dans le JDD. Il était question de l’utilité de l’immatriculation génétique dans la répression pénale. Il chiffre, sans citer la moindre source, « à 63.000 le nombre des affaires résolues depuis 2002 grâce à la génétique ». « Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) … contient aujourd’hui 1,3 million de profils, c’est-à-dire des individus mais aussi des traces non identifiées. » Quels odieuses affaires crimibelles ont été « résolues » grâce au FNAEG ? Essentiellement des cambriolages et des voitures volées…
Ficher tout le monde, tout de suite
Qui est donc ce Péchenard ? C’est tout simplement le premier grand flic à avoir réclamé – juste avant qu’il ne soit promu à la tête de la police judiciaire nationale – de ficher l’intégralité de la population dans le FNAEG. L’idée est de convaincre l’individu qu’un
« prélèvement volontaire » de son ADN est dans son intérêt, histoire d’avoir la chance d’être un jour disculpé. C’est exactement ce que Frédéric Pechenard avait en tête en déclarant, en septembre 2006 – aussitôt sanctionné par un
prix de la honte bien mérité :
« Le Fnaeg, dont les consultants doivent bien sûr rester strictement encadrés, est une nécessité de la police moderne, autant pour les victimes que pour les suspects éventuels qui peuvent, grâce à une trace ADN, être lavés de tout soupçon ».
Seule une pauvre dépêche AFP, reproduite par les quotidiens le 4 janvier, évoque ce chiffre cité sans aucune source. Bizarrement aucune trace (encore 15 jours après !) du papier du Journal du dimanche sur le site jdd.fr. Quant au chiffre cité – 63000 affaires en sept ans –, il n’apporte rien si on ne le compare pas au nombre total d’affaires traitées.
En revanche, le journal donne un petit détail sur les délits concernés. Péchenard souligne que la part de police technique et scientifique dans la résolution d’une affaire « est plus importante pour les vols de voitures ou les cambriolages (80%) que pour la grande criminalité ». Curieux qu’un tel aveu d’échec n’ait pas été plus souligné : justifier l’utilité de la technologie, dont un fichier conçu pour traquer les délinquants sexuels, pour écraser la petite délinquance, il fallait le faire.
L’actuel ministre de l’Industrie Estrosi avait lui aussi
fait sensation en plein Conseil européen il y a tout juste 3 ans. Au moment où la discussion portait sur l’interconnexion de toutes les bases génétiques des 27 Etats membres, Estrosi, alors ministre de l’aménagement du territoire qui remplaçait le ministre de l’intérieur de l’époque,
« a surpris ses collègues en déclarant que les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance ».
Au même moment, en janvier 2007, tout le monde se souvient du scooter volé de l’un des fils de Sarkozy. Garé sans anti-vol devant le domicile de la première épouse du ministre de l’Intérieur à Neuilly, un relevé d’empreintes et deux prélèvements d’ADN ont permis l’interpellation des trois personnes. Un policier, interrogé sur la célérité de l’enquête et les moyens mis en oeuvre, a souligné qu’elle avait été « bien menée » avec les moyens « classiquement utilisés ». La grande classe ! Le président s’était ensuite lâché sur Europe1 :
« En 2006, on a retrouvé 7.000 scooters volés, on a procédé à 30.000 analyses capillaires », a avancé Nicolas Sarkozy. « Est-ce qu’il ne faut pas faire d’analyses d’ADN ? Est-ce qu’il ne faut pas rechercher un scooter parce que c’est celui d’un des mes enfants ? ».
Alors, ficher les signatures ADN de toute la population ? C’est des Emirats arabes unis, toujours très courtisés par Paris, que l’exemple est venu tout récemment, précise la LDH Toulon :
« Les premiers fichés seront les jeunes. Le Dr Ahmed al Marzooqi, responsable de la base nationale de données ADN au ministère de l’Intérieur des Emirats Arabes Unis, l’a déclaré le 7 octobre 2009 au quotidien de langue anglaise, The Nation, contrôlé par la famille royale d’Abu Dhabi : « La plupart des criminels commencent jeunes. Si nous pouvons les repérer à cet âge, nous pourrons les rééduquer – “help in their rehabilitation” – avant qu’ils ne commettent des crimes plus graves. »
Quant à l’inventeur du fichage génétique, le britannique Alec Jeffreys, il va finir de regretter d’avoir été anobli pour les bienfaits de sa découverte. Il a plutôt mal réagi à l’annonce du projet émirati, mais sur le fond il n’a jamais remis en cause l’existence d’un tel fichier. Pourtant, Sir Alec, il y a de quoi se révolter autrement qu’en réclamant plus de « sécurité » pour la base de données !
Surtout que la preuve par l’ADN est loin d’être infaillible (lire la deuxième partie de cet article sur numero lambda).
Délit continue, abus permanent
La prise d’empreintes ADN, sur des suspects dès la première garde à vue, est une pratique hautement discutable en droit. Le refus de prélèvement est un délit, c’est bien connu. Et ce délit est continu. C’est à dire que même relaxé pour les faits ayant entraîné la prise d’ADN, le prévenu d’un jour peut se voir harceler en permanence pour qu’il donne sa salive. Et si nouveau refus, révidive. Les refus de prélèvement se multiplient, même s’ils sont difficile à chiffrer – 500, voire un millier, peut-être un peu plus.
Dernière jurisprudence en date : le 11 janvier 2010, la Cour d’appel de Caen a confirmé la
relaxe de deux agriculteurs de la Manche poursuivis en 2006 pour refus de prélèvement ADN. Plus surprenant, le parquet général a reconnu
« que la collecte et le stockage, le partage et l’utilisation des données personnelles que constituent les empreintes génétiques portent assurement atteinte à ce droit fondamental [la vie privée] ».
La Cour en a déduit « que le législateur français a modifié l’appréciation qu’il se faisait du besoin d’ingérence dans la vie privée de ses nationaux militant contre les cultures transgéniques en considérant qu’il était disproportionné de leur appliquer l’outil de lutte contre la criminalité que constitue Ie fichier FNAEG qui prévoit le prélèvement, le fichage et la conservation de données personnelles pour des délais allant jusqu’à 40 ans. »
La semaine passe, nous avons eu des nouvelles de Benjamin Deceuninck. Beaucoup moins connu que José Bové, ce jeune agriculteur, faucheur volontaire, a été rattrapé par la justice en 2006, cinq ans après les faits (un champ de betteraves OGM qui passait par là…), pour donner sa salive à la gendarmerie d’Alès (Gard). Il a naturellement refusé, pris 500 euros d’amende, a ensuite perdu en appel et en cassation. Et son avocat, en juillet dernier, a
porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg
On comprend que la France flippe un peu quand même, puisque la CEDH a déjà
sévèrement condamné en décembre 2008 la Grande-Bretagne à nettoyer son fichier ADN car il conserve les traces de personnes même après avoir été disculpées. La CEDH semble pencher, ouf, contre le principe d’un fichage global.
Le 7 janvier, une manif de soutien pour Benjamin a eu lieu
devant la gendarmerie, puisqu’il était reconvoqué pour donner sa salive. Résultat : garde à vue et notification d’un nouveau procès, le 5 mars 2010 au TGI d’Alès. Il est toujours poursuivi pour :
« Refus, par personne condamnée pour délit, de se soumettre, au prelevement biologique destiné à l’identification de son empreinte biologique(…) avec cette circonstance qu’elle se trouvait en état de récidive légale… »
Traduction de son
comité de soutien :
« la « récidive légale » signifie que les peines planchers sont applicables ! ».
Et
comment réagit le proc d’Alès, Christian Pasta, habitué des colonnes du
Midi Libre ? Hallucinants propos, grand moment de novlangue. Pas très étonnant non plus venant d’un des
dociles« gouverneurs » de l’Elysée.
« Il s’agit d’un délit continu. Tant que l’on n’a pas passé son permis de conduire, on est en conduite sans permis. En fonction de certains délits, la loi fait que l’on doit procéder à un prélèvement d’ADN. (…). « Votre journal relate dans le même temps, ce matin, qu’un violeur à Montpellier a été interpellé grâce au fichier. (…) A terme, ce comportement pourrait lasser l’institution judiciaire. Avec le risque de poser une question pour moi essentielle : que peut cacher M. Deceuninck ? »
La leçon a été bien apprise : dès qu’un citoyen se permet de revendiquer ses droits, rien que ses droits – on lui renvoie aussitôt dans la gueule cette formule culpabilisante : « mais qu’avez-vous à vous reprocher ? » Inversons les rôles : voir dans chaque citoyen un suspect potentiel, c’est cela la véritable paranoïa.