L’électrique star du mondial ?
Par A. Loréal et Toussaint Carrindo (D&E)
Alors que se déroule le « Mondial de l’Automobile », temple (masculin) de la « belle italienne » ou de « la solide allemande » sans mentionner l’« asiatique économique », et alors que d’après des enquêtes récentes 70% des français se déclarent prêt à acheter, à prix équivalent, une électrique plutôt qu’une diesel, Toussaint Carrindo met les pieds dans le plat.
Dans l’article ci-dessous, il pointe l’illusion qui consisterait à penser que la voiture électrique remplacera à court terme la thermique et que le bénéfice écologique est sans appel. Ca se discute…
Le contexte ambitieux autour du véhicule électrique
En 2009, selon le CCFA, le parc automobile français est composé de 30,8 millions de voitures particulières. Bénéficiant du bonus écologique, 50% des voitures vendues au premier semestre 2009 émettent moins de 120 g de CO2 au kilomètre. Sur ses 505 000 voitures, 99,25% fonctionnent au diesel à l’essence. Les véhicules hybrides ne représentent que 0,3%, alors que les véhicules électriques sont à 0%. En effet, la flotte de véhicule électrique circulant actuellement en France est marginale avec seulement 8000 unités, alors l’objectif de Nicolas Sarkozy pour atteindre 100 000 véhicules électriques est-il réaliste ? Le véhicule est-il vraiment l’avenir de l’industrie automobile ?
Qu’on se le dise, il y a bien longtemps que les constructeurs automobiles ont réalisé que le marché européen était saturé et qu’avec ses coûts de production, il allait devenir de plus en plus compliqué de rester rentable. C’est donc dans un contexte latent de désindustrialisation que survient le véhicule électrique, surfant sur la vague de la croissance verte. Peut-on considérer le véhicule électrique comme l’enjeu d’une nouvelle politique industrielle, où viendrait se greffer une chaine de valeur ajoutée implantée localement ?
L’illusion des batteries au lithium
En l’état actuel des connaissances, on ne peut répondre par l’affirmatif aux questions précédentes. Malgré les diverses efforts en R&D de part le monde, il n’existe pour l’instant aucune technologie satisfaisante pour stocker de l’énergie électrique, et les technologies disponibles soutiennent bien mal la comparaison par rapport à un carburant liquide. En effet, un litre d’essence contient approximativement 9000 Wh alors que la meilleure batterie plomb-acide possède une énergie massique de 40 Wh/kg. Il faut donc 225 kg de batteries traditionnelles pour disposer autant d’énergie que dans un litre d’essence. Cette comparaison illustre bien le fait que les technologies classiques bon marché de batteries sont donc incapable de rivaliser avec les carburants et qu’il a fallu opter pour des batteries offrant de meilleures énergie massiques, quitte à monter dans la gamme des prix.
EDF évalue en terme de densité d’énergie et de coût au KWh les principales technologies disponibles pour les batteries destinées aux véhicules électriques. On peut déjà voir une tendance se dégager, à savoir à mesure que l’on choisit une technologie avec une densité d’énergie plus forte, le prix du KWh et donc le prix final de la batterie augmente de façon drastique. Cela montre déjà à quel point est farfelue l’idée qu’un véhicule électrique de masse peut devenir bon marché. D’ailleurs, on peut lire ci-dessous un tableau comparatif élaboré par le centre d’analyse stratégique en 2008 en récupérant diverses données officielles (Zebra représente la famille de batteries de type « chlorure de sodium-métal ») :
Source : Centre d’analyse stratégique
Ces chiffres pour une autonomie de 100 km sont fournis à titre indicatif, dans la mesure où ne sont définis ni le type de véhicule (donc sa masse), ni le standard utilisé pour mesurer l’autonomie (type de conduite, profil de la route, éclairage, essuie-glace, etc..). Il faut aussi rappeler qu’un véhicule électrique est totalement dépourvu de source thermique comme les véhicules classiques dotés de moteur à explosion. Ainsi, chauffer l’habitacle en hiver représente une dépense énergétique non négligeable. En d’autres termes, un véhicule électrique a une autonomie bien moindre en hiver !
Cela dit, le tableau donne au moins quelques ordres de grandeur à l’heure où tout le monde parle des batteries en lithium. Quelque soit la technologie en lithium choisie, on voit bien que pour avoir une autonomie de 100 km seulement, le coût de la batterie sera d’au moins 15 000 € ! Cette dure réalité se vérifie sur les véhicules électriques vendus actuellement avec 100 km d’autonomie. Malgré les aides gouvernementales, le C1 électrique de PSA vaut 18 974 € pour 110 km d’autonomie officielle. La petite Miev de Mitsubishi sera vendue à 33 500 € au Japon avec 160 km d’autonomie. Le bolide Roadster de Tesla fabriqué en Californie a un joli succès, mais il faut s’acquitter de 89 000€ pour l’acquérir. On peut continuer l’énumération encore longtemps, pour constater que ces véhicules sont généralement accompagnés d’un forfait entretien batterie/diagnostics compris entre 200 et 500 € par mois ! Bref, on est très loin de l’image d’Epinal où les classes populaires pourront se déplacer en véhicules électriques.
Pour noircir un peu plus le tableau, le lithium pose de sérieux problèmes de sécurité qu’il convient de ne pas négliger, surtout pour des véhicules censés se déplacer à près de 100 km/h. En effet, la présence d’un électrolyte liquide présente des dangers en cas de fuite ou d’incendie. De même, une décharge trop profonde, une charge trop importante ou température excessive peuvent provoquer l’explosion, comme l’a attesté récemment les explosions d’Iphone ici ou là. Potentiellement, une batterie lithium-ion de 5 kg peut dégager autant d’énergie qu’un kilogramme de TNT. Alors que peut-il bien arriver à un véhicule prenant feu avec une batterie de lithium-ion de 200 kg ?
Enfin, contrairement à ce que l’on pourrait croire, une éventuelle popularité croissante des véhicules électriques ne signifierait en rien une baisse des coûts. En effet, le lithium n’existe pas dans la nature à l’état liquide mais il se trouve sous forme de sels de lithium qu’il faut transformer. Bien que très abondant sur la planète, le lithium n’existe en concentration permettant une exploitation rentable, que dans peu d’endroits. Le plus grand gisement du monde (70% des ressources mondiales) se trouve autour de la frontière entre l’Argentine, le Chili et la Bolivie, ce qui sous-entend clairement un phénomène de rareté. Avec une demande en augmentation exponentielle, ce maillon faible de l’approvisionnement s’est révélé au grand jour. Le cours du la tonne de lithium est passé de 350$ en 2003 à 3000$ en 2008, et les choses ne vont faire qu’empirer à mesure que le ventes de véhicules électriques vont augmenter, ce qui augmentera d’autant plus leur prix de vente. D’ailleurs, ce point est tellement critique que Vincent Bolloré, qui compte commercialiser son véhicule électrique Blue Car fonctionnant avec une batterie Lithium-métal polymère, a proposé 1 milliard d’euros à l’Etat bolivien pour exploiter leur gisement de sels de lithium.
Ce gros plan sur les batteries, et particulièrement le lithium, a permis de mettre en lumière qu’il y a déjà un facteur entre un véhicule fonctionnant avec un carburant liquide et son équivalent électrique avec une autonomie limitée à 100 km. Avec la tension croissante sur la ressource du lithium, le ratio pourrait rapidement passer de 2 à 3 voire bien plus à l’avenir. En effet, certains comme Mitsubishi pensent que la demande pour le lithium pourrait assécher les gisements américains en une dizaine d’années seulement. Ainsi, le prix de la batterie en lithium, à changer de toute façon au bout de 50 000 km, risque de devenir tellement prohibitif, que les véhicules électriques ne deviennent disponibles uniquement à la location, à l’instar de la Blue Car de Bolloré. Alors autant dire clairement que le véhicule électrique n’est pas prêt de devenir un véhicule de masse, en tous cas bien loin de l’objectif de l’objectif farfelue de Nicolas Sarkozy fixant le cap des 10% de véhicule électrique en France d’ici 2020 !
Un véhicule électrique pas si propre que cela
Si le véhicule électrique fait autant parler de lui par les temps qui courent, c’est qu’il possède l’énorme faculté de ne pas polluer directement l’environnement dans lequel il évolue. C’est pour cette raison que le véhicule électrique peut malgré tout se faire une place dans le parc automobile, car son utilisation dans des environnements citadins densément peuplés permet d’obtenir une baisse notable de la pollution localement. C’est la niche où peut s’épanouir le véhicule électrique, avec l’aide considérable de subvention publique (5000 € par achat pour lequel peuvent s’additionner des aides régionales comme les 2000 € en Poitou-Charentes) ou de commande publique (programme d’auto-partage comme autolib par exemple, ou encore 120 millions offerts à Renault pour qu’il fabrique avec le CEA des batteries à Flins).
Cela dit, la motorisation électrique permet d’externaliser – et non de supprimer – les émissions de CO2 ; c’est un transfert de pollutions du conducteur vers le producteur d’électricité. Le véhicule électrique permet de diminuer notre dépendance vis-à-vis du pétrole. En revanche, si le bilan CO2 est bon en France grâce au nucléaire, ce n’est pas le cas en Allemagne, ni dans la plupart des pays de l’Union Européenne, parce que l’électricité est produite avec du charbon et des hydrocarbures. Grosso modo, un véhicule électrique consommera entre 25 et 30 kWh au 100 km, ce qui se traduira en France par une émission comprise entre 70 et 200 g de CO2 au km selon la période où les batteries seront rechargées. Sur une prise électrique de 220V, il faut compter 5-6 heures pour recharger une batterie de 100 kg au lithium offrant 100 km d’autonomie.
Toujours est-il, que l’on comprend appréhender les complications que peut entrainer une présence massive de véhicules électriques en France. Cet hiver a vu la France importer de l’électricité à cause d’un grand nombre de centrales nucléaires en maintenance. Un calcul grossier sur l’objectif de 10% de Nicolas Sarkozy impliquerait la construction de deux EPR nouvelle génération pour alimenter exclusivement ces 3 millions de véhicules électriques. Le projet originale de Renault avec la société israélienne Better Place, mettant à disposition un réseau de station d’échange de batteries déjà rechargées, ne changeraient rien à la donne. Faut-il suivre la voie que certains appelleraient celle de « l’atomobile » ? Il s’agit d’une décision éminemment politique, qui ne peut être prise indépendamment de la politique de l’Etat.
Un moteur à explosion encore plein de ressources
Source : IFP
Quoiqu’on en dise, la meilleure énergie pour la voiture reste le carburant liquide comme l’illustre le graphique ci-dessus. Le véhicule thermiques est loin d’avoir dit son dernier mot, et peut encore subir de très notable amélioration, pouvant réduire sa consommation de moitié. Déjà, sans rien changer, si l’on produit un véhicule diesel avec les mêmes performances que les véhicules électriques sortant prochainement, la consommation sera inférieure à 3 litres au 100 km. Il existe bien des façons de réduire la consommation des véhicules, en jouant sur leur poids, leur coefficient de pénétration dans l’air, etc… Cela dit, le rendement même du moteur à explosion peut être grandement amélioré tout en diminuant sa pollution. Pour cela, il faut utiliser le dopage à eau du moteur à explosion invité par Paul Pantone en 1950 !
Schéma illustrant le dopage à eau, soit le système Pantone
Pour illustrer la puissance des lobbies pétroliers, on ne peut guère trouver mieux que l’histoire de l’enterrement du système Pantone, qui repose sur le craquage de la vapeur d’eau en oxygène et en hydrogène par une pièce en acier. L’ajout de grande quantité d’oxygène et d’hydrogène au carburant utilisé permet de réduire la consommation de 25 à 45% et la pollution des gaz d’échappement de 80%. Cette invention veille de 60 ans, que les constructeurs automobiles refusent étrangement d’explorer, est utilisée depuis 2007 sur les véhicules communaux (camionnette Citroën C15) de la ville de Vitry-Sur-Orne en Moselle, et la commune a constaté une baisse de 36% de la consommation et une baisse de la consommation de 82%. Les expérimentations se multiplient depuis, et les constructeurs ne bougent toujours pas. Un élément de réponse serait peut-être la perspective d’une baisse de profit de 20% des compagnies pétrolières, et des milliards d’euros de taxe en moins pour l’Etat…
L’avenir, le véhicule hybride électrique
Source : Toyota
Bien que l’on enterre un peu vite les moteurs à explosion avec leur formidable autonomie, il faut reconnaître que l’électricité est idéale dans les centres villes embouteillés. Pour cette raison, la solution de compromis que représente les véhicules hybrides est la meilleure voie à explorer, au moins en attendant que le problème des batteries soit résolu. Toyota avait surpris tout le monde au Tokyo Motor Show de 1997 en dévoilant la première version de sa Prius. Deux années après, Honda sortait à son tour son modèle hybride l’Insight. Les deux véhicules pionniers disposent tous les deux de batterie en nickel-métal hydrure, permettant de capitaliser les pertes d’énergie du moteur thermique et de propulser. Avec plus d’une dizaine d’années d’expérience, Toyota s’enorgueillit de n’avoir jamais eu à remplacer une batterie, mais cette batterie n’offre malheureusement que deux kilomètres d’autonomie en tout électrique, ce qui est bien insuffisant pour sortir de la ville. L’idéal serait d’avoir des véhicules hybrides dotés d’une autonomie tout électrique de l’ordre de 20 à 40 km simplement.
Tableau récapitulatif sur les véhicules hydrides essence (Source : Centre d’analyse stratégique)
Même pour obtenir ces petites autonomies, la technologie nickel-métal hydrure ne suffit plus et il faut opter pour des batteries lithium-ion, toutefois bien plus petites que leurs homologues présentes dans les véhicules électriques. C’est du reste la voie qu’empruntent les constructeurs automobiles majeurs, y compris Toyota abandonnant son ancienne batterie qui a fait des envieux en terme de fiabilité.
Source : Toyota
Toujours est-il que le fait de munir des véhicules hybrides avec des batteries aussi puissantes signifie également que l’on ne peut plus se contenter de récupérer une partie de l’énergie cinétique dissipée lors du freinage pour recharger complètement la batterie. Il faut donc envisager de brancher au réseau électrique ces véhicules hybrides nouvelle génération pour optimiser leur fonctionnement peu polluant en milieu citadin. En anglais, on parle de « plug-in hybrid car » et Toyota a énuméré plus haut les divers avantages qu’ils procurent.
Source : Centre d’analyse stratégique
Cela dit, malgré tous leurs avantages, les véhicules n’en resteront pas moins des véhicules chers voire très chers. Le surcoût avait déjà été estimé à 5000 € pour les véhicules hybrides classiques, alors pour les hybrides rechargeables, le surcoût sera très probablement autour de 10 000 €, en supposant que le cours du lithium n’explose pas… Ainsi, les véhicules hybrides ne seront pas non plus le véhicule de masse de demain, et il serait étonnant qu’ils dépassent la tranche des 5% du parc automobile à moyen terme.
Conclusion :
Les batteries des véhicules électriques sont manifestement le facteur limitant, qui empêche toute généralisation de leur utilisation auprès du public à court ou moyen terme. L’objectif de 10% de véhicules électriques en France énoncé par Nicolas Sarkozy est tellement irréaliste qu’il est inutile d’en discuter. L’engouement global des constructeurs automobiles vers les batteries en lithium vont faire très rapidement de cette ressource naturelle une denrée rare, qui ne sera pas accessible à tous. Le cours du lithium, qui a été multiplié par 10 au cours des 5 dernières, va poursuivre sa course exponentielle et va achever de rendre inaccessible les véhicules aux classes populaires.
Avec les technologies, le véhicule électrique restera un marché de niche, où les marges pourront être conséquentes car la clientèle sera à la fois des entités publiques et des personnes avec un fort pouvoir d’achat. Sans évoquer le recyclage bien complexe de ces énormes batteries, l’argumentaire écologique des véhicules ne tient pas la route, vis-à-vis de classiques véhicules essence ou diesel ayant des performances comparables. Le moteur à explosion a encore beaucoup de ressources, et il est tout-à-fait possible de les utiliser pour produire des véhicules consommant moins de 2 litres au 100 kilomètres. Les pistes pour y arriver sont nombreuses, à commencer par la commande électronique des soupapes, le taux de compression variable, la réduction des frottements internes, les alternateurs à haut rendement, le polémique dopage à eau, et même l’exploitation de la chaleur des gaz d’échappement via l’effet thermoélectrique Seebeck.
L’hybride rechargeable avec une autonomie de 20 km parait la solution idéale écologiquement !
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