L’épée de Damoclès sur le Palais de la Découverte
Un lieu mythique inégalé dans le monde qui place la science dans un cadre ludique et pédagogique inestimable. Ce lieu, le Palais de la Découverte, pourrait disparaître au profit d’une fusion avec la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette dont la vocation est très différente. C’est du moins ce que craignent ses employés.
Je l’ai appris le soir du 24 mars 2009 sur place, à l’aile ouest du Grand Palais, près des Champs-Élysées à Paris, et c’est confirmé par une dépêche du 25 mars 2009 au soir : l’ancienne Ministre de la Recherche et ancienne spationaute Claudie Haigneré est chargée de la mise en place, pour 2010, d’un établissement unique regroupant le Palais de la Découverte, dépendant du Ministère de la Recherche, et de la Cité de la Villette, dépendant du Ministère de la Culture.
Une soirée pour veiller
Pourquoi le 24 mars au soir ? Parce que les employés du Palais de la Découverte ont organisé sur place une soirée pour sensibiliser le public à cette épée de Damoclès qui menace l’avenir du Palais de la Découverte, sa situation en plein cœur de Paris dans l’un de ses plus beaux bâtiments (le Grand Palais) très convoité.
De nombreux "supporters" étaient donc présents et en particulier de grands scientifiques comme Alain Aspect, médaille d’or du CNRS en 2005, qui fut à l’origine d’une meilleure compréhension expérimentale de la physique quantique à Paris-Orsay, mais aussi des journalistes comme Edwy Plenel.
Souvenirs d’enfance
Le Palais de la Découverte, je m’y plais à m’y promener souvent. C’est le temple de la science adapté au "profane". Mêmes les plus allergiques peuvent changer d’avis et commencer à apprécier la science, présente évidemment dans tous nos actes quotidiens aujourd’hui.
Ma première rencontre, c’était vers l’âge de cinq ans. On n’est pas bien grand à cet âge, mais l’œil est assoiffé de savoir. Les petites expériences personnelles forgent forcément les enfants.
Deux grands souvenirs sont restés ancrés à la mémoire et c’est toujours avec une pointe d’émotion que je vérifie que les choses sont toujours à leur place. Quoi ?
D’abord, la salle circulaire où sont inscrits les premiers milliers de décimales du nombre pi. Une sorte de nombre en spirale où sont cités les grands noms des mathématiques.
Les deux noms que j’ai attrapés au vol, spontanément, mardi soir sont Henri Poincaré et Paul Painlevé. Henri Poincaré le lorrain, qui a donné son nom au plus grand lycée de Nancy et à l’université Nancy I, à l’origine des développements mathématiques de la Relativité d’Einstein et cousin de l’homme politique, Raymond Poincaré, et Paul Painlevé, dont j’ai toujours apprécié l’ambivalence scientifique et politique : grand mathématicien spécialiste des équations différentielles, il a été aussi Président du Conseil sous la IIIe République, parmi les premiers "socialistes pragmatiques", avec René Viviani, à accepter d’aller au gouvernement tout en restant socialistes, et le premier à promouvoir des budgets pour l’aviation.
Ensuite, cette sorte de jeu de mécano de l’hypercube en quatre dimensions. C’est assez simple à comprendre. Le cube, c’est en trois dimensions. Son équivalent en deux dimensions, c’est le carré bien sûr, et en une dimension, le segment. À chaque sommet de ce cube à dimension donnée, il y a autant d’arêtes que de dimensions : une pour le segment, deux pour le carré, trois pour le cube. Et le nombre de sommets, c’est deux puissance cette dimension : deux pour le segment, quatre pour le carré et huit pour le cube.
Évidemment, il est impossible de tracer ou de construire un hypercube exactement, puisque nous sommes enfermés dans nos trois petites dimensions. Mais cela n’empêche pas de faire une projection d’un hypercube en trois dimensions au même titre que nous pouvons dessiner un cube de trois dimensions sur une feuille de papier en deux dimensions. Il y a juste un jeu de perspective. Eh bien, dans la salle de géométrie, on nous montre deux projections (donc différentes) d’un hypercube. Facile à vérifier : chaque figue a bien seize sommets et chaque sommet a bien quatre arêtes.
Au-delà des souvenirs
Le principe du Palais de la Découverte est très original. Il y a quelques ateliers très bien animés qui permettent à des enfants de voir leurs cheveux se hérisser (grâce à 300 000 V) ou à des collégiens de comprendre la thermodynamique, mieux que des étudiants de troisième année (en licence).
C’est d’ailleurs dans cet esprit que s’est développée parallèlement la Fête de la Science où, chaque année un week-end de septembre, dans chaque ville, les scientifiques vont présenter leurs recherches au grand public de façon simple et expérimentale.
Malgré une fréquentation très élevée (600 000 visiteurs par an), sa grande réactivité (50 à 80 exposés par jour, une dizaine de nouvelles expositions par an) en dépit de moyens limités (14,3 millions d’euros en 2009) et de sa grande popularité au sein du grand public, l’existence du Palais de la Découverte semblerait toutefois remise en cause depuis fin 2007.
Des dysfonctionnements
À l’origine, plusieurs études montrant de graves dysfonctionnements dans la gestion de l’établissement, la dernière en date étant celle du sénateur Philippe Adnot (par ailleurs très dynamique dans le domaine de l’innovation, tant dans son département, l’Aube, qu’au Sénat avec la création des "Tremplins Entreprises") dans un rapport remis à la commission des finances du Sénat le 27 juin 2007.
Parmi les reproches formulés, la vétusté du prestigieux bâtiment qui entraîne des risques de sécurité des personnes et l’absence de financement pour le rénover. Depuis 2001, la commission de sécurité de la préfecture de police a formulé un avis défavorable d’ouverture au public et s’il est encore ouvert, c’est sur la responsabilité personnelle de son directeur.
L’insuffisance budgétaire a conduit également à continuer à présenter des animations datant de 1937 et les quatre cinquièmes ont plus de vingt ans.
Au total, le rapport Adnot estimait en 2007 à 80 millions d’euros le besoin supplémentaire de financement (en octobre 2008, une subvention de 18 millions d’euros a été obtenue pour la rénovation sur 2009-2011).
Mais il pointe aussi sur des dysfonctionnements politiques et administratifs, en particulier un désengagement des tutelles (le Ministère de la Culture est le gestionnaire du Grand Palais et le Ministère de la Recherche s’est désintéressé du Palais de la Découverte) et une politique des ressources humaines à améliorer.
Pour le sénateur Adnot, il faudrait renforcer l’impact du Palais de la Découverte comme outil de culture scientifique et le rendre comme un lieu de vie à l’image des grands musées internationaux.
La solution préconisée
Dès le 12 décembre 2007, l’hypothèse d’une évolution du statut juridique du Palais de la Découverte vers un établissement commun avec la Cité des Sciences et de l’Industrie (présidée désormais par l’ancien Ministre de la Recherche François d’Aubert) est devenue de plus en plus probable.
Cette proposition aurait pour but de mutualiser les moyens budgétaires et de dynamiser ce double pôle scientifique : « renforcer la qualité et la complémentarité de l’offre de culture scientifique et technique, et, grâce à des économies d’échelle résultant du regroupement, rationaliser la dépense publique » (note de cadrage de mars 2008).
Depuis un an, la situation n’est pas très claire et aucune réponse ministérielle n’est encore venue clarifier l’avenir du Palais de la Découverte ni amorcer une communication avec son personnel.
Crainte du personnel
La crainte des employés du Palais de la Découverte est que leur établissement soit quasiment englouti dans la Cité de la Villette dont la mission est différente.
Cette crainte est corroborée par les préparations du décret définissant le statut et le fonctionnement du nouvel établissement, notamment que le site internet du Palais devrait migrer et être hébergé par la plate-forme technique de la Cité (réunion du 30 janvier 2009), et que, « étant donné le nombre de personnes et le montant des crédits concernés, il est plus simple de faire basculer le système [informatique comptable] du Palais sur celui de la Cité plutôt que l’inverse. » (communiqué de la direction du Palais de la Découverte du 2 février 2009). Précisons qu’il y a quatre fois plus d’employés à la Cité de la Villette qu’au Palais de la Découverte, principalement sous contrats privés (au contraire du Palais, principalement des fonctionnaires).
Aucune consultation ni information n’a eu lieu auprès du personnel ni de la direction du Palais de la Découverte (conseil d’administration et conseil scientifique).
Le monde scientifique se mobilise
Très vite, deux pétitions ont été lancées et ont recueillies à ce jour plus de 60 000 signatures. 93% des personnels ont voté contre le processus de fusion tel qu’il est engagé actuellement.
Ils ont créé trois sites internet au nom éloquent où sont mis en ligne les deux pétitions :
http://www.sauvonslepalaisdeladecouverte.fr
http://palais-decouverte.eitic.org
http://soutien-au-palais-de-la-decouverte.blogspot.com/
Une lettre de 27 scientifiques de grande réputation (dont quatre prix Nobel, Claude Cohen-Tannoudji, Albert Fert, François Jacob, Jean-Marie Lehn, une médaille Fields, l’équivalent du Nobel pour les mathématiques, Wendelin Werner, et aussi Alain Aspect, Édouard Brézin, Sébastien Balibar, Jean-Pierre Kahane, Philippe Nozières, Yves Quéré…) a été publiée le 6 mars 2009 pour dénoncer la fusion : « On tente de dissoudre notre Palais dans une structure dont ni la finalité ni les méthodes ne sont les mêmes, et c’est un lien essentiel entre le public et la science qui est en grand danger. (…) Nous demandons aux pouvoirs publics de renoncer immédiatement à ce projet de fusion, et de donner au Palais de la Découverte les moyens financiers d’un développement que son succès mérite, aujourd’hui plus que jamais. ».
Des sondages laissent entendre que le Palais de la Découverte aurait joué un rôle non négligeable dans la vocation de nombreux futurs scientifiques (mais c’est un sentiment très subjectif que d’envisager les causes d’une vocation) et les employés du Palais aiment citer le regretté Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel 1991 de physique, qui racontait en mars 1998 : « J’ai personnellement beaucoup appris au Palais de la Découverte des années 48. J’y retourne avec mes enfants, je vais y retourner bientôt avec mes petits-enfants et je suis tout à fait convaincu que la flamme est la même. ».
Arguments contre la fusion
Parmi les arguments contre la fusion, il y a cette nécessité de ne pas réduire l’offre de culture scientifique et technique. Les statistiques montrent en effet que les deux établissements (Palais et Cité) ne sont pas en concurrence. L’ouverture de la Cité de la Villette en 1986 n’a pas fait décroître le nombre de visiteurs du Palais de la Découverte (au contraire, de 1986 à 2008, le Palais a reçu 100 000 visiteurs de plus par an pendant que la Cité a reçu de 1 million au début à 1,5 million de visiteurs en 2008).
Question budget, une fusion serait évaluée à 6 millions d’euros et le surcoût de fonctionnement (sur les charges salariales aux taux plus élevés, la TVA etc.) de 2,5 millions d’euros par an (à comparer avec l’exposition sur les termites qui avait coûté moins d’un million d’euros).
L’avenir alors ?
Bref, il y a entre l’incertitude de l’avenir et le Palais lui-même une opposition assez classique de type vision administrative versus passion des sciences.
Le pari du personnel du Palais de la Découverte est que la forte mobilisation contre le projet de fusion pourrait remettre en cause le décret prévu en avril 2009.
La nomination toute récente de Claudie Haigneré va-t-il faire bouger les choses ?
Scientifique elle-même, spationaute, ancienne Ministre de la Recherche, elle devrait être, à n’en pas douter, aussi attachée au Palais de la Découverte que ses anciens collègues.
Cependant, ses premières déclarations sont ambiguës. Chargée d’une mission pour la fusion des deux établissements, elle a affirmé paradoxalement à l’AFP, pour rassurer les esprits, qu’il « est hors de question d’envisager une fusion, une disparition du Palais de la Découverte ».
"Mon" Palais
Oui, il y a plus que de la raison dans la défense du Palais de la Découverte, il y a aussi de l’émotion et de la passion. Bref, la meilleure description de ce lieu mythique, celui de mon enfance, de mes premiers frissons scientifiques, c’est encore ces vingt-sept scientifiques qui l’expriment le mieux dans leur lettre du 6 mars 2009 :
« La spécificité du Palais (…), c’est le contact direct entre les visiteurs et la science. Au Palais, la science n’est pas cachée ni derrière les écrans d’ordinateurs ni sous des panneaux publicitaires, on manipule les instruments, on participe à des expériences en public où les progrès de la science sont présentés en direct par de jeunes scientifiques dévoués et compétents, on rencontre des chercheurs qui parlent de leurs découvertes récentes. »
Et c’est aussi presque une question de citoyenneté, vu tous les enjeux scientifiques d’aujourd’hui (du nucléaire aux OGM en passant par la bioéthique et internet).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 mars 2009)
Pour aller plus loin :
Claudie Haigneré s’occupe de l’avenir du Palais de la Découverte.
"Le Monde" nobélise-t-il le climatologue Jean Jouzel ?
Sauvez le Palais de la Découverte.
Soirée du 24 mars 2009.
La réforme du Palais de la Découverte.
Rapport de Philippe Adnot du 27 juin 2007.
Documents joints à cet article
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON