L’espiogiciel sauvera-t-il l’industrie culturelle ?
On a coutume de dire que les espiogiciels (ou spywares en bon Anglois) sont les cafards du net : se glissant au sein de nombreux sites et logiciels pour ensuite élire domicile sur le serveur du malheureux bien inconscient ou défaillant. Jusque là, ces petits programmes insidieux étaient une plaie du fait de leur vocation commerciale, se chargeant soit de capter des données liées aux habitudes de navigation de l’Internaute soit de forcer ce dernier à visiter des sites liés à l’espiogiciel. Il se pourrait qu’il en aille désormais autrement avec une intrusion à vocation dorénavant préventive pour sauver le modèle économique de l’industrie culturelle…
C’est en effet ce que révèle Guy Bono, député au Parlement Européen [1] sur son blog. Outre le fait que ce dernier rappelle la force de frappe médiatique et économique des majors, avec en corollaire un lobbyisme conséquent auprès des instances Européennes comme nationales, il pointe du doigt un amendement pernicieux à venir au sein de ce que l’on nomme le paquet télécom.
Avant d’aller plus en avant, il est impératif de définir succinctement ce qu’est ce fameux paquet télécom. En réalité cet ensemble de mesures d’ordre réglementaire a pour véritable nom loi sur les réseaux et les services de communications électroniques [2] et a déjà été voté le 24 avril 2002, le projet actuel étant une révision de celui-ci souhaité par la Commission Européenne depuis novembre 2007 [3]. En ce moment au centre des débats, cette révision du paquet télécom introduit bien évidemment plusieurs objectifs, comme celle d’établir un régulateur Européen des télécommunications avec droit de veto vis-à-vis des régulateurs nationaux des pays membres ou encore le principe de séparation fonctionnelle visant à scinder la gestion du réseau et les opérations fonctionnelles.
Cependant, et pour en revenir au fil rouge de cet article, c’est une redéfinition de l’espiogiciel qui fait en ce moment couler beaucoup d’encre à l’approche de la prochaine session parlementaire à Strasbourg. Si la communication de la Commission au Parlement Européen [4] concluait bien à la défense des consommateurs au sein de celui-ci comme le précise le passage suivant : l’un des principaux objectifs du cadre réglementaire est de promouvoir les intérêts des citoyens de l’UE en assurant, entre autres, un degré élevé de protection des données à caractère personnel et de la vie privée ainsi que l’intégrité et la sécurité des réseaux publics de communications. La multiplication, au cours des dernières années, des menaces électroniques, comme les virus, le pourriel, les espiogiciels et l’hameçonnage, ont encore accru l’importance de ces objectifs, dans les faits tout le monde ne l’entend pas de cette oreille, et notamment M. Mavrommatis qui suggère une exception à cette lutte lorsqu’il y a acte délictueux pendant la navigation. La logique de cet amendement est identifiable : si l’on n’a rien à se reprocher, il est tout à fait naturel qu’un programme tiers scrute vos moindres faits et gestes et ne puisse être considéré comme néfaste puisque défendant des intérêts légitimes en matière de droits d’auteur. De fait l’on saisit tout de suite la portée d’une telle proposition puisqu’elle permettrait à des sociétés de s’arroger le droit de loger un « mouchard » de façon à être prévenues qu’aucun de leurs droits n’eussent été bafoué par les Internautes.
Ubuesque ? Pas tant que cela puisqu’elle s’inscrit dans une optique de différencier bons et mauvais espiogiciels par ces sociétés désirant défendre leurs intérêts en passant par un fichage généralisé et légalisé des Internautes par les institutions Européennes.
Il y a tout lieu de suivre avec grande attention les débats qui vont se dérouler à Strasbourg jusqu’en juillet [5] où l’on saura si chaque internaute est considéré comme un homme libre d’aller et venir sur les réseaux ou comme un suspect en pré-délinquance.
Et pour laisser le mot de la fin à M. Bono : les mesures répressives sont des mesures dictées par des industries qui n’ont pas été capables de changer leurs modèles économiques face aux nécessités imposées par la société de l’information.
[1] Site officiel
[3] Directive cadre 2002/21/CE
[4] COM 2007/696
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