Voilà plusieurs mois que j’observe les débats autour de la loi Hadopi, puis Hadopi 2, et enfin sa mise en application.
L’idée de départ, rappelons-le, était soi-disant de limiter le téléchargement illégal pour "sauver" la pauvre industrie du disque et ses artistes mal payés (je sais, moi aussi je suis plié en me relisant).
Que l’on soit ou non d’accord avec la politique ayant mené à cette vague interdiction de téléchargement "illégal", force est de constater qu’une fois de plus, nos politiciens sont réellement en retard sur le sujet et que la salade servie au 20h fut plus que surprenante.
Allons bon, ces "criminels" dans leur chaumière seront "informés" de leur surveillance et s’ils persistent, on leur coupera le web !
Loin de me demander comme certains l’ont fait, si cela représente une atteinte à la liberté ou pas, surtout dans le monde actuel, même si j’aurais tendance à penser que oui, je voudrais revenir sur ce qui nous a été présenté comme une mesure phare du gouvernement, aussi bien sur le fond que sur la forme.
D’abord, sur la forme, pour qui a-t-on fait cette loi ?
Réponse donnée : l’"Industrie musicale", avec un grand I. Comprenez en réalité le consortium SACEM-MAJORS. Petit rappel des pratiques à ce sujet : en France comme dans d’autres pays, lorsqu’un artiste crée un morceau, il peut le faire protéger. Il a pour cela le choix entre un dépôt légal chez un notaire, chez une société d’auteurs, ou chez LA société d’auteurs privée quasi-monopolisante du moment en France, la SACEM.
A tort, on confond souvent la SACEM avec la SDRM, l’organisme chargé de recenser et d’enregistrer le nombre de copies vendues.
En effet, même si les bureaux de ces deux organismes se chevauchent, l’un est gratuit et nécessaire (la SDRM), l’autre fonctionne comme une société privée (SACEM) avec ses tarifs, son économie et sa politique.
Sauf qu’on vous le notifiera bien, si vous n’êtes pas dans le catalogue SACEM, vous avez peu ou pas de chance de passer votre morceau à la radio un jour. Et pour cause, la plupart des grandes radios actuelles sont sous contrat avec cette société d’auteur et s’en contentent, peut-être aussi parce que la plupart sont liées aux principales maisons de disque/majors, soit par contrat, soit de manière économique.
Aujourd’hui, c’est une réalité que les gens ignorent, mais pour un super artiste, le manque d’argent signifiera qu’il n’aura pas de bon matériel d’enregistrement, pas de salle à louer, pas assez d’argent pour s’enregistrer à la SACEM et donc pas de place pour lui sur les ondes...
Protéger les artistes ? Mon oeil ! On cherche surtout à protéger ce système qui ne sélectionne que les artistes au budget suffisant, et les rend dépendant d’une industrie du disque (Sony, Universal, EMG, Polydor...) qui les rémunère davantage par la vente de leurs albums (qui sortent de plus en plus rapidement, au détriment de la qualité artistique), que sur le nombre de leurs prestations sur scène.
Comprenez-moi bien, dans l’idée que je me faisais de l’artiste-chanteur, je voyais un homme ou une femme avec un don, qui un jour signe avec un producteur, monte sur scène, et devient célèbre, avant de vendre ses albums par milliers... et non pas un mec paumé qui fait une émission de téléconnerie, sur 15 épisodes, où il sera élu parmi un panel de beaufs, sur des critères pseudo-artistiques, par des juges pseudo-experts, et qui vendra en moins d’un mois plus de CD "single" à 9.90 euros que le King n’aurait vendu d’albums en vinyle dans le même temps.
Un autre paradoxe, c’est la fermeture complète de cette organisation et leur volonté de conservationnisme certaine. J’ai personnellement été en contact avec Sony et Universal et leur ai proposé l’étude d’un système de streaming temps réel mobile gratuit, financé par des moyens tiers sur lesquels je ne m’étendrais pas ici.
Réponse des intéressés : "la mise à disposition des droits de nos catalogues vous en coûtera 10.000 euros par mois en droit d’entrée + 2 euros à chaque lecture de titre, sans compter les droits SACEM que vous devrez payer."
Autant dire que les seuls capables de suivre une telle offre sont les partenaires richissimes de ces maisons de disque tels que Orange, SFR ou Apple, qui ont tout intérêt à vous proposer des technologies payantes de téléchargement inefficaces puisqu’aujourd’hui, ces produits font moins de 50% des ventes attendues, mis à part peut-être iTunes.
Il est loin le jour où une offre de streaming de qualité et gratuite verra le jour de manière légale.
Même Google/Youtube a été forcé de se plier aux conditions et exigences honteuses de ces majors milliardaires, dont le seul métier est devenu l’achat/vente/location de droits d’auteurs.
Vous aurez aussi remarqué comme moi que ce problème n’existait pas il y a 20 ans quand nous utilisions les cassettes, car à l’époque, l’achat d’une cassette audio comprenait une taxe qui servait à payer ces droits et la SACEM. Evidemment, aujourd’hui, on ne pourrait pas taxer l’ensemble des supports numériques vendus.
Tout cela m’a donc fait me poser une question essentielle : qu’est-ce qui fait qu’un artiste et ses producteurs doivent gagner de l’argent ? Est-ce la vente sur des supports numériques à grand renfort de marketing commercial, financé par les maisons de disque et leurs radios partenaires ou est-ce la prestation artistique, donc scénique qui doit être gratifiée ?
Si l’on considère la vente d’un support audio, le client achète-t-il un support en tant que tel ou loue-t-il un droit d’auteur dont la copie impliquerait une nouvelle contribution ?
Nombre d’artistes gagnent à être connus sur internet et mettent eux-même en ligne leurs vidéos et mp3. Qui se plaint à part les majors qui voient leurs ventes diminuer de quelques pourcents, du fait de prix toujours exagérément élevés ?
Plus je me posais ces questions et plus je me disais qu’au vu de l’offre musicale et cinématographique actuelle, aucun féru d’art audiovisuel n’aurait jamais le budget pour payer tous ces supports aux prix où ils apparaissent. Imaginer un monde où chacun paierait chaque morceau qu’il souhaite écouter tient non pas de l’idéalisme, mais du scandale.
Combien d’entre nous ont quelques centaines de mégaoctets de MP3 sur nos disques ? Aurions-nous la même culture musicale et la même richesse si nous avions dû payer 3 à 5 euros chacun de ces morceaux ?
L’apparition d’internet et des technologies de numérisation vidéo et audio n’ont-elles pas contribué à l’explosion des possibilités marketing au profit des maisons de disques et des artistes concernés ?
Et l’on voudrait nous faire payer cette liberté dont ils ont profité ?
Car je pense bel et bien que la copie d’une donnée d’un emplacement vers un autre est une liberté. Ainsi, quand je regarde un film au cinéma, je peux me remémorer certaines scènes plus tard. Mon cerveau est un support biologique où j’ai copié ces données et qui me permet de réaliser une relecture instantanée de ces scènes. Alors quoi ? Va-t-on nous faire payer aussi des droits sur nos souvenirs ?
La numérisation d’une oeuvre n’étant pas l’oeuvre, on se retrouve à mon sens dans le même cas que lorsque vous prenez en photo une oeuvre d’art dont l’auteur serait vivant (par exemple la place des terreaux à Lyon). Je ne comprends pas en quoi j’ai le droit de prendre en photo cette place, à condition d’en faire un usage privé, mais pourquoi je n’aurais pas le droit de télécharger mon film préféré sur internet ou de le visionner en streaming ? Dans les deux cas, je produis bel et bien une copie, et même, je peux partager mes photos avec tous mes potes sans être jamais inquiété, alors que s’agissant de musique, on me dit que je suis dans l’illégalité...
ai-je tort de penser que le monde musico-businessique a outrepassé ses droits ?
En quoi des milliardaires déjà bien trop gourmands à mon goût et qui ne cherchent en aucun cas le bien-être des artistes, mais à mieux faire tourner leur machinerie, en quoi auraient-ils le droit de nous interdire de réaliser ce que naturellement la technologie nous permet de faire ?
Et si je mettais le problème à l’envers, si ils veulent nous faire payer notre utilisation de la technologie, pourquoi ne pas leur faire payer un droit d’utilisation de cette technologie dont ils profitent outre-mesure ?
Sur la forme : que permet cette loi Hadopi 2 et sera-t-elle efficace ?
Je vous présente Charly, hacker de longue date. Pas cette jeune fille que l’on voit télécharger des vidéos et que l’on nous présente comme une pirate délinquante, non, là je vous parle de Charly, un codeur que je pourrais être, dont la connaissance des systèmes informatiques est largement au-dessus de la moyenne.
Charly, dès que l’on a commencé à parler de Hadopi, il a beaucoup rit.
Pour cause, cela faisait des années qu’il télécharge en se branchant sur le proxy japonais d’un pote, avec une adresse IP flottante sur une connexion satellitaire ou d’un réseau WIFI non protégé ou partagé comme celui d’une entreprise du coin, et en utilisant un certain nombre d’artifices rendant très difficile son pistage. En plus, Charly, quand il veut télécharger, ça fait bien longtemps qu’il n’utilise plus Kazaa, Emule et autres... non, lui, il utilise les réseaux de mailing-list sur un protocole qui n’a rien du http et du ftp...
Et qui parle de téléchargement illégal puisque de toutes façons, Charly fait ça depuis son navigateur préféré, avec un simple plugin connu de beaucoup de monde, qui permet de récupérer toutes les vidéos de Youtube et autres en temps réel... et même d’extraire les MP3 d’un vidéoclip... !
Quant il invite ses potes, Charly se connecte sur un site Polonais de streaming en RTSP où il trouve tous les derniers films en version Canadienne (Québecquoise) ... un pur plaisir. Souvent ils rigolent en se moquant de Nathalie KM, la ministre qui les fait délirer. Ils se disent qu’elle s’est bien fait avoir par ces messieurs des majors mais qu’heureusement, il y a encore des Français doués d’un certain air de liberté incompressible.
Evidemment, Charly, il n’oublie pas de brancher son écran sur sa carte d’acquisition vidéo, via la prise HDMI, histoire d’en garder une copie sur sa carte mémoire 16Go qu’il vient de s’acheter. Comme ça, dans le RER le lendemain, il pourra se remater les meilleures scènes et les montrer à Clara, sa super copine !
Et Charly, il est tranquille, car paradoxalement, aucun fournisseur d’accès ne peut prouver sa mauvaise foi, il est si furtif qu’aucune loi Hadopi ne peut l’attraper...
Paradoxalement pourtant, c’est lui, Charly, qui inonde les réseaux peer-to-peer en contenus à télécharger dont il est fier d’avoir fait l’acquisition "avant les autres" et heureux de pouvoir partager le dernier film hollywoodien dont le DVD officiel ne sortira en France qu’un an plus tard... En plus, il est malin, il le fait depuis l’ordinateur du bureau où il bosse, qui lui, n’est pas connecté par ADSL, mais en fibre optique.
Mais ne nous inquiétons pas trop pour Charly, car lui, comme je l’ai dit, ne risque rien, c’est le contribuable moyen, sachant à peine se servir de Windows et de Emule qui va se faire avoir parce qu’il a téléchargé la série des J. Bond une nuit de noël pour faire une surprise à son père... avec son adresse IP fixe qui sera immédiatement détectée par son FAI et fournie aux services compétents.
Allez, joyeux noël Mme la ministre !