La génétique se cherche. Va-t-on vers une révolution post-génétique ?
Ces dix dernières années ont vu la génétique revoir ses positions théoriques. L’année 2000 fut marquée par la sortie d’un livre marquant, Le siècle du gène, écrit par Evelyn Fox Keller (trad. Gallimard, 2003) Selon l’auteure, la biologie doit pour l’instant admettre qu’elle n’accède pas à des lois du vivant, comme il existe des lois physique ; mais qu’elle n’est pas exclue du champ théorique car elle se compose de modèles. Et bien évidemment, ces modèles sont amenés à évoluer, fournissant matière à « voir » le vivant sous un jour sans cesse nouveau, et notamment le fonctionnement de cette molécule quasiment sacrée qu’est l’ADN avec ses séquences, certaines codantes et d’autres non.
Evelyn Fox Keller a bien préparé le terrain (elle n’est pas la seule) entraînant dans son sillage bon nombre de réflexions critiques provenant de la génétique, de la philosophie de la biologie, jusqu’au billet signé Carl Zimmer (voir ci-dessus) La recension de T. Lepeltier suggère un sous-titre à ce livre : naissance, apothéose et déclin de la notion de gène. Entre temps, quelques livres ont tenté de démythifier l’ADN (R. Chandebois) ou de le démystifier (D. Nelkin, S. Lindee) Au final, la notion de gène apparaît non plus comme un outil mais comme un obstacle à la compréhension du vivant. Et c’est bien là l’ultime comble de cette situation ubuesque où quelques fabuleux résultats de la science analytique deviennent des obstacles à la compréhension de l’objet dont il sont issus. Mais rassurons-nous, ce n’est pas la science qui est en cause mais la manière dont les scientifiques pensent leurs objets et tentent de fournir une représentation du vivant en forgeant des modèles pour le moins maladroits. Le gène, en fin de compte, est autant une réalité empirique qu’une construction théorique pour le moins réduite.
Le siècle du gène se décompose en quatre parties développant les aspects majeurs formant les bases de la génétique du 20ème siècle. Premièrement, la génétique doit rendre compte des principes de l’évolution ; les gènes devant posséder cette double propriété de stabilité et de mutabilité car les espèces ont été conservées tout en se transformant. Ces propriétés sont apparemment contradictoires mais la notion de fixation des allèles permet de surmonter cette contradiction, en apparence du moins. La génétique des populations permet de mesurer les écarts entre génomes, en les reliant aux écarts phylogéniques. Des controverses en ont résulté, notamment la théorie neutraliste de l’évolution. Au fond, bien des difficultés persistent et ne peuvent pas être comblées par les nouvelles découvertes issues de la paléogénétique. Car les ADN fossiles ne couvrent même pas un millième de l’évolution du vivant sur cette terre. Deuxièmement, la définition précise d’un gène conduit à assigner à ce gène un rôle, une fonction précise, comme pour toute molécule extraite du vivant et dont on peut étudier les mécanismes dans un tube à essai. Les ouvrages de biologie moléculaires sont remplis de détails, transcription, traduction, protéines, épissage, régulations, réplication… Troisièmement, la notion de programme génétique ; autrement dit, l’idée d’un déroulement des mécanismes géniques à la manière dont les lignes de programmes informatiques sont exécutées. Quatrièmement, la mise en route des expressions géniques liée aux divisions et différenciation cellulaires lors de l’ontogenèse ; processus conduisant à partir d’une cellule unique à un organisme composé de millions ou milliards de cellules.
On constate donc un lien causal, doublé d’un déterminant fonctionnel, reliant un dispositif du vivant, l’ADN-génome et deux propriétés du vivant, l’hérédité et l’évolution. La génétique s’est construite d’abord sous la gouverne de l’hérédité, suite à des expériences bien connues, celles de Mendel. Puis elle s’est confrontée à la théorie de l’évolution sans pour autant disposer de données empiriques sur le phénomène évolutif, excepté les fossiles et une plausible cartographie des divergences évolutives. L’erreur de jeunesse de la génétique, ou disons son égarement, réside dans la subordination de cette discipline à une double vision, celle de la sélection naturelle et celle des mécanismes. Si bien que le fonctionnement complet de l’ADN dans la Vie a « échappé » à la biologie. Autrement dit, il existe une grande marge de progrès pour comprendre le fonctionnement des « gènes », des processus liés à l’ADN.
Lors de la première décennie du 21ème siècle, se constitue une sous-spécialité étudiant le fonctionnement de l’ADN. Il s’agit de l’épigénétique. En fait, ce terme est plus ancien, et son usage remonte même à Aristote. C’est Waddington qui dans les années 1940 eut l’idée de prendre à son compte l’épigénétique pour désigner l’étude des processus faisant interagir l’environnement et les gènes et par extension, imputables du développement phénotypique de l’organisme. Et donc, de la même manière que la génétique de 1990 ne ressemble que très peu à cette de 1950, l’épigénétique de 2000 s’inscrit dans la tectonique scientifique. On comprend aisément que l’épigénétique dépend des nouvelles découvertes dans son champ propre, mais aussi de l’état d’avancement de "la génétique et les questions qu’elle soulève". L’épigénétique serait-elle un déplacement des « questionnements génétiques » menant vers une impasse ? Quoi qu’il advienne de cette question, l’épigénétique suscite un engouement tout en amenant une renaissance de la science du génome en tentant de percer le rôle de toutes les séquences, transcrites ou non, codantes ou non, régulatrices ou structurelles.
En vérité, le terme épigénétique n’est pas très bien choisi et de plus, il ne renvoie pas à un objet scientifique défini. Je m’explique. On trouve des définitions strictes de l’épigénétique lorsqu’elle désigne des processus altérant (diversifiant régulant) le fonctionnement du génome sans introduire de modification dans la séquence. Le cas le plus répandu étant la méthylation de l’ADN. La cytosine se voit « coiffée » d’un résidu méthyl et le gène concerné voit son expression modulée. Une faible méthylation tendrait à favoriser son expression, à l’inverse d’une forte méthylation jouant un rôle inhibiteur. Ces mécanismes sont en œuvre lors de l’embryogenèse. On les soupçonne d’être sélectivement activés en fonctions de paramètres externes à l’embryon (par exemple, l’état nutritionnel de la génitrice) Enfin, ces méthylations expliquent le développement de certaines variétés de linaires. Dans un cadre plus élargi, l’épigénétique désigne tout les processus cellulaires interférant soit avec l’ADN et ses expressions géniques (exemple des ARN interférant), soit concernant le devenir des produits de l’expression ; notamment les épissages, les autres modifications post-transcriptionnelles, les traductions en protéines. Et finalement, pratiquement tout le fonctionnement de la cellule pourrait être désigné comme épigénétique. Auquel cas, épigénétique signifie non génétique.
La situation épistémologique est fort intéressante. La génétique s’est cherchée pendant des décennies. Voici que l’épigénétique arrive et aussi, se cherche. Doit-on plutôt parler de méta-génétique, pour signifier ce qui est à côté de la génétique ; et qui s’y rapporte ? Comme la métaphysique se rapporte à la physique, expliquant le pourquoi tandis que la physique expose le comment. Mais attention à ne pas nous égarer. La méta-génétique n’explique pas le pourquoi des gènes à moins de devenir une méta-biologie. Pour l’instant, contentons-nous de distinguer trois domaines. La génétique, l’épigénétique et le non génétique ; cette dernière catégorie étant difficile à cerner. On pourrait parler de protéomique, néologisme désignant l’étude des processus impliquant l’ensemble des protéines. Autrement dit, la physiologie cellulaire telle qu’elle résulte des éléments issus du codage et des processus de maturation dans les usines à protéines que sont le noyau et les ribosomes. Car la cellule est le lieu où se déroulent d’innombrables processus déclenchés à l’initiative des composants synthétisés et disponibles. De quoi faire descendre la génétique et l’ADN du piédestal où la biologie les ont placés. L’ADN se méthyle, se plie et déplie grâce au « code histone », les ARN s’épissent, subissant parfois des altérations de séquence, les protéines se phosphorylent, se glycosylent, se replient pour rejoindre leur conformation fonctionnelle. Bref, des tas de mécanismes semblent être réglés et légiférés par des instances indépendantes semble-t-il du contrôle génétique. N’ayant pas les mots pour expliquer cette pensée, la métaphore de l’ordinateur pourrait servir. Ce n’est pas le disque dur qui contrôle l’ordinateur mais la carte mère. Une fois libérée du disque dur, les logiciels sont maîtres du jeu des exécutions, et le disque dur en est un serviteur. Transposé au cas de l’ADN, cela signifierait que les gènes ne contrôlent pas la vie (au sens d’être antérieurs dans les chaînes causales) et que le développement de l’embryon s’effectuerait par un dispositif qui n’est pas « orchestré par l’ADN », celui-ci n’étant en fin de compte qu’un disque dur parcouru par un système de lecture qu’on peut imaginer comme une onde se propageant le long de la séquence... ou bien autre chose. Certaines informations sont exécutées, d’autres non. Voilà, ce n’est qu’une piste de réflexion. Guère originale du reste, les métaphores informatiques étant devenues d’un ordinaire en science du vivant, mais celles des musiciens sont toutes aussi pertinentes. La vie, une juxtaposition de programmes et d’instruction, ou l’exécution de partitions par des molécules musiciennes ? La vie de la cellule jouée comme une symphonie moléculaire ?
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