La nouvelle médiation scientifique, enquête et constatations
Les recherches que j’ai entreprises dans le but d’écrire un article sur la médiation interdisciplinaire m’ont propulsé dans un monde de réflexion intense, un univers de passionnés et de chercheurs responsables. J’avais choisi la vulgarisation scientifique comme point de départ pour décrire ce processus si particulier de communication. Sur mon chemin, j’ai trouvé des témoignages, des politiques et des intentions trop intéressants pour être laissés dans l’ombre d’un dossier de recherche. Je livre donc ici une sorte de compte-rendu structuré de ces recherches en préambule objectif à mon prochain article sur l’intermédiation.
Les informations proviennent d’abord et avant tout du dialogue initié avec la communauté internet des blogueurs scientifiques. Les réponses à mes courriels lancés comme des bouteilles à la mer aux membres C@fé des Sciences (site regroupant les articles de plusieurs blogs tenus par des passionnés, étudiants et chercheurs) ont dépassé mes espérances. Timothée a, entre autres, sympathiquement accepté de formuler une réponse à mes questions. Je cherchais à savoir pourquoi des personnes étaient prêtes à consacrer leur temps à la « vulgarisation, comment ces gens-là situaient la science par rapport aux autres disciplines, à qui ils s’adressaient et quel regard ils essayaient de partager ». Toujours dans un souci de débat Tom Roud et Enro ont publié un billet complétant la réponse. J’ai ensuite beaucoup utilisé le compte-rendu de la cyber table ronde « Bloguer les sciences ? », disponible sur le site SpectroScience (http://www.spectrosciences.com/spip.php?article90). Enfin, pour disposer d’avis moins impliqués, j’ai demandé sur plusieurs forums dont celui du site Futura Science : « D’où vous vient votre passion pour la science ? »
Mais avant de voir dans quelles
directions ces réactions orientent mes considérations, je vous propose
d’aborder le sujet comme je l’ai abordé moi-même, c’est-à-dire en jetant un
petit coup d’œil à ce que nous disent Wikipédia et un dictionnaire classique
lorsque l’on recherche médiation ou vulgarisation scientifique :
Selon l’encyclopédie libre,
La passion : c’est en effet le premier constat
évident que révèle ma petite enquête, cette entreprise de médiation est initiée
par des personnes vraiment impliquées :
« La motivation première
c’est d’abord la passion pour la science », Mathieu du C@fé des sciences.
« La science est avant tout
une passion [...] ce que j’essaie de partager, c’est le regard émerveillé du
scientifique face à son sujet, qui se dit qu’il fait le plus beau métier du
monde », Timothée.
Les barrières à franchir sont nombreuses. Cette énergie n’est pas de trop pour affronter tous les obstacles qui s’élèvent entre les spécialistes et le grand public. Dans leur billet, Tom Roud et Enro dressent un constat intéressant : la science du XIXe siècle présente dans tous les journaux en tant que telle disparaît peu à peu. Notre science hyper-pointue, trop éloignée des non-initiés, ne trouve plus sa place dans des rubriques dédiées de la presse. Pourtant, et c’est un point positif, elle n’a pas purement été oubliée, les journalistes d’aujourd’hui préfèrent la mêler aux thématiques environnementales ou technologiques.
Ces observations devraient induire une analyse de notre
système de communication qui n’est plus adapté aux nouvelles normes qu’imposent
des sujets de recherche de plus en plus spécialisés et compliqués. Les musées
sont par exemple (à part quelques
exceptions parisiennes comme
Cette mission de vulgarisation a donc été oubliée sur le bord de la route du progrès. Un fossé s’est creusé entre les chercheurs et le public, entre le monde de la recherche et la société :
« Nous nous sommes rendus
compte du fossé existant entre société civile et recherche », Timothée.
Pour rattraper ce retard, pour combler ce vide, les chercheurs, les politiques et les journalistes doivent établir une nouvelle stratégie de communication. Le nombre des spécialités, la complexité des thèmes de recherche et la mondialisation des échanges d’idées nécessitent l’entrée en scène de traducteurs.
« Notre système de recherche
manque encore de "traducteurs", de personnes capables de faire le
lien entre les deux mondes. »
La presse traditionnelle
consacre de moins en moins d’intérêt aux sciences pures. L’Agence science
presse retranscrit en français les conclusions du rapport annuel sur l’Etat des médias d’information (State of the
News Media 2008)
rédigé par un comité officiel américain : « Si vous aviez écouté cinq heures de nouvelles télévisées cette
semaine aux États-Unis, vous auriez eu droit, en moyenne, à 1 minute de
science. Et, si vous lisez depuis vingt ans un quotidien qui était doté d’une page "Science", il y a deux chances sur trois pour que, depuis, cette page ait
disparu » (http://sciencepresse.qc.ca/node/20238).
Internet et les blogs semblent en effet être de nouveaux outils prometteurs : ces nouveaux médias présentent en effet des avantages qui les destinent à occuper une place majeure dans la médiation du XXIe siècle. Certains sujets très polémiques sur le plan politique ou social (OGM, réchauffement climatique...) demandent un éclairage scientifique ou technique. Les citoyens ont besoin d’un point de vue objectif et digeste, pas d’un rapport jargonneux d’experts ministériels. « La plupart des grandes controverses sur des sujets scientifiques naissent du fait que les chercheurs n’assurent pas le "service après vente" de leur recherche, autrement dit se débarrassent des questions et problèmes qui viennent avec l’application/interprétation de leur travail », nous explique Timothée. C’est assez compréhensible : les scientifiques ne sont pas d’abord des journalistes. C’est aussi dommage parce que, isolées, les sciences limitent leur portée.
Après l’étape de l’étude vient celle du dialogue, de la réflexion sociale qui doit penser l’application des découvertes, et choisir les voies à privilégier. Les blogueurs sont alors aptes à « déclencher une réflexion [ils préparent] le terrain pour des débats science/société très riches ». Les blogs ouvrent une « fenêtre sur les sciences » et permettent de « court-circuiter les barrières » entre le public et les chercheurs. Ils ouvrent la voie à un « véritable dialogue » où chacun trouve son compte. En effet, le lien important avec les décisions politiques mérite que les sujets scientifiques soient portés sur la place publique. C’est « une démarche citoyenne » continue Timothée.
Au quotidien,
internet permet aussi de « corriger
les erreurs ou les jugements approximatifs » (Enro), d’expérimenter, de « tester
un nouveau canal de diffusion » (ASP). De par sa nature
interactive et son étendue, le web détient la capacité de pérenniser une
relation, d’entretenir une proximité avec le lecteur. La politique de rédaction
des blogueurs est souvent de varier les niveaux de communication sur un espace
unique. Ainsi peuvent se retrouver à une même adresse doctorants et lycéens,
professionnels et curieux (c’est
exactement ce qui m’est arrivé au cours de mes recherches). «
Il faut considérer que les personnes en face sont aussi intelligentes que les
chercheurs. La seule chose qui diffère, c’est la quantité d’information connue
sur un sujet donné. La règle d’or de la vulgarisation est plutôt le
KISS-principle : Keep It Simple, Stupid », nous
confient les blogueurs.
Pourtant, en
vrais professionnels, ces passionnés sont aussi conscients des limites du média.
Timothée
en est persuadé, il faut se soumettre « au
principe de subsidiarité : on se limite aux domaines dans lesquels on est
compétents. Sinon, c’est l’effet Allègre, et on utilise sa "figure
d’expert" pour dire à peu près n’importe quoi ». De plus, internet ne peut agir seul, les organismes
officiels, la presse traditionnelle (quotidienne
et spécialisée) ont comme devoir de structurer un message et une démarche
efficace : « La prochaine étape sera alors de se
demander : pourquoi les médias traditionnels et les blogueurs doivent
travailler ensemble ? »
D’autres sources officielles très intéressantes peuvent
aussi nourrir la réflexion : les données proposées par les institutions
officielles d’abord (ministère de la Culture, ministère de la Recherche, Unesco),
les chaînes et les groupes de presse
professionnels ensuite.
Tisser cette
étoffe complexe implique d’y inclure une intermédiation. Pour traiter
efficacement et intelligemment les nouveaux problèmes de société, pour améliorer
le niveau de vie et pour assurer une planète saine aux générations suivantes,
tous les spécialistes doivent travailler de concert. L’économie doit intervenir
pour expliquer les bases des systèmes d’échange de notre société, la
philosophie aussi, l’histoire et toutes les sciences humaines (sociologie...)
pour éclairer le débat, son sens et ses origines. La vie quotidienne
elle-même renferme son enseignement jusque dans les loisirs :
« Un chasseur, un pêcheur... peuvent être des scientifiques dans la
"démarche" de leur activité respective. Ils ne s’intéresseront pas
forcément à la propagation des ondes, la gravité... » Comme nous le détaille un membre du forum de Futura Science. Il
est toujours intéressant de « faire
des parallèles entre l’art et le monde vivant ([...] dans les structures, le
symbolisme, la fragilité [...] pour appuyer, illustrer », confirment les
blogueurs.
C’est cette synergie que j’appelle l’intermédiation.
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