La recherche sur les ondes téléphoniques en question
Intox ou vérité, rumeur ou fait avéré, coup médiatique ou avertissement de quelques sages ? Tout est envisageable en ce monde où la confiance se perd. Toujours est-il qu’à l’initiative de David Servan-Schreiber, 19 scientifiques de renom ont lancé un appel à la prudence pour ce qui est de l’usage des téléphones cellulaires, notamment par les enfants. Et la science, que dit-elle ?
Que penser de cette affaire ? Les téléphones cellulaires, introduits à la fin des années 1980, sont d’un usage courant depuis une bonne quinzaine d’années. Et voilà que quelques scientifiques se réveillent. Cela flaire le coup médiatique, notamment au vu de la personnalité assez controversée de l’initiateur qui pour les mécréants souhaitant ironiser, passe pour le Jacques Salomé de la cancérologie et des thérapies douces. Cette remarque effectuée, peu importe qui fait quoi et reçoit qui et récupère quoi. Seul le problème de santé publique importe et d’ailleurs c’est bien la question posée par cet appel. Y a-t-il un problème de santé public lié à l’usage du téléphone mobile ? La nocivité est-elle avérée ou bien guère plus importante que celle occasionnée par la consommation intempestive de cacahuètes devant sa télé ? Quoique… l’abus des cacahuètes puisse engendrer un problème de santé. Autre comparaison, les ondes téléphoniques sont-elles plus nocives qu’une irradiation par les rayons du soleil qui occasionnent on le sait, quelques mélanomes plutôt méchants ; si bien qu’à jouer les langoustes sur la plage on finit par se retrouver avec un crabe.
Toujours est-il que les inquiétudes planent, sur les ondes cellulaires, sur les antennes de téléphonie, sur les OGM et, pour l’instant, rien n’est certain. Mais rumeur ou pas, l’info se propage quand les craintes sont médiatisées et, surtout, généralisées. Autrement dit, quand tout le monde est une cible potentielle. Car, quand c’est local, comme les poissons empoisonnés du Rhône ou pire, le chlordécone en Martinique, eh bien, les gens et les médias laissent passer. Comme on a négligé l’amiante ; les travailleurs exposés, ça représente quelques dizaines de milliers d’individus, peut-être plus, mais moins d’1 % de la population française. L’appel lancé par ces scientifiques aura une caisse de résonance assez conséquente car les usagers du téléphone cellulaire se comptent en dizaines de millions. Mais, au fait, pourquoi en est-on arrivé là ? Peur, principe de précaution, démission des instances scientifiques ? Plusieurs conjonctures se croisent dans cette affaire. La sphère de santé publique, la sphère médiatique et ses affects, la sphère scientifique et ses résultats, la sphère économique et ses profits. La pensée orthodoxe de notre époque admet les profits dans la mesure où ils n’occasionnent pas de problèmes de santé publique et la science est convoquée pour donner des conclusions expérimentales. Ce sur quoi les spins doctors affectés aux groupes industriels ou alors auto-institués en serviteurs des citoyens se battent à coup de rhétorique, argumentation et autres manœuvres sophistiques pour défendre, les uns leurs profits, les autres, leur souci du bien public non sans quelques dérives personnelles de récupération en termes d’image. On retrouve cette articulation des sphères dans cette question de téléphonie mobile.
Sur le fond, ce message d’alerte est tout à fait légitime, pour autant qu’il soit accompagné d’études scientifiques permettant d’évaluer les risques. Après, en fonction des paramètres, chacun décide. S’il s’avère que téléphoner n’est pas plus nocif que de s’exposer au soleil, alors, pourquoi hésiter. Car, s’il fallait éviter tout risque, on ne conduirait plus, on se cacherait à l’ombre dès le mois de mai pour éviter les UV, on se planquerait à la moindre annonce d’orage, on ne consommerait ni tabac ni alcool ni viande grillées. Et si on a les moyens comme un certain Michaël, on vivrait dans un environnement aseptisé avec une assistance en oxygène pur. Bref, voilà dans quel enfer le paradis de la pureté nous conduit. Pour un individu raisonnable, libre et citoyen, le seul impératif est qu’il ait les informations sur les risques encourus dans l’usage et les pratiques habituelles. Le reste est sans importance, chacun décide de sa vie.
On se demandera pourquoi si peu d’études sont disponibles sur cette question. Cela fait quinze ans que l’usage des téléphones mobiles est courant. A comparer avec l’apparition du sida. Il a suffi de deux ou trois ans pour trouver le virus HIV. Mais, pour l’instant, il n’y a pas eu mort d’hommes à cause du mobile, excepté sur la route, quand un automobiliste risque la vie en conduisant d’une main. Deux approches sont possibles dans cette affaire. L’une statistique. Visant à imputer à l’usage du téléphone une incidence sur des troubles qui, pour l’instant, concernent d’éventuelles tumeurs au cerveau dont l’incidence doublerait chez les personnes âgées ayant utilisé un mobile (d’après des études dont les résultats sont connus depuis six mois). Mais il faut relativiser en fonction de l’incidence de cette pathologie. On passerait d’un cas sur 80 000 à un cas sur 40 000. Voilà le chiffrage. Le mobile serait donc moins dangereux que l’automobile ou le travail sur un chantier ou même la consommation intempestive de grillades. La seconde approche est moléculaire. Peu de résultats sont disponibles, parce que les études sont parcellaires. Voilà un débat tout à fait ancré dans la science citoyenne. Pourquoi l’interaction rayonnement et vivant est-elle si peu présente dans les orientations des laboratoires ? Y a-t-il une censure des institutions ou même une autocensure des scientifiques ? Ou alors des difficultés à aborder ce thème aux confins des sciences physiques et biologiques ? La spécialisation ne favorise pas ce type d’études. Mettez ensemble un physicien et un biologiste, ils ne peuvent pas communiquer, excepté pour commenter les résultats de l’Euro 2008.
Le principe méthodologique est pourtant simple. Quel est l’impact d’un champ électromagnétique, faible certes, mais proche du cerveau, engendré par un téléphone cellulaire qui, contrairement à une radio qu’on se collerait sur l’oreille, n’est pas seulement doté d’une antenne réceptrice, mais aussi d’une antenne émettrice. C’est cette antenne qui, générant un champ mesuré en watts, est susceptible d’engendrer des modifications lorsque le champ pénètre à l’intérieur des cellules humaines. Sinon, le champ électromagnétique est naturel, accentué par les ondes hertziennes depuis 70 ans. Rien de bien inquiétant. L’espérance de vie a même augmenté depuis, surtout dans les nations avancées qui justement sont celles qui sont le plus irradiées par ces ondes. Deux effets sont possibles. Un effet purement physique. C’est le cas d’une impulsion électromagnétique (un Dirac décliné en superpositions d’onde par la transformation de Fourier) balancée sur un corps immergé dans un champ magnétique intense (dix mille fois ou plus celui d’un mobile) pour une IRM. Le but étant d’exciter des noyaux atomiques et de voir une réponse qui est purement physique. Pour être honnête, il n’est pas certain qu’une IRM ne provoque pas d’effets biologiques, mais dans l’affirmative, le corps médical les présente comme étant non nocifs. Ce qui n’est pas le cas des impacts biologiques liés les UV qui, pénétrant à travers la peau, créent des réactions chimiques avec les bases de l’ADN, engendrant des mutations moléculaires, altérant les gènes et favorisant les cancers. Voilà un effet biologique car moléculaire. Tout est question de risque. Si vous passez une radio, vous recevez une dose de rayon X. Le risque sur la santé, bien qu’extrêmement faible, ne sera jamais nul.
Les champs électromagnétiques ont-ils un effet biologique sur les cellules vivantes ? La réponse est affirmative au vu des résultats obtenus par l’ERTAC, laboratoire ayant eu entre autres thèmes de recherche les effets du rayonnement sur les végétaux. Il ressort de ces études la mise en évidence de molécules caractéristiques du stress cellulaire en réponse à l’exposition aux champs et fréquences utilisés par les téléphones mobiles. De là à crier à une menace de santé publique il n’y a qu’un pas. Car les molécules de stress sont en quelque sorte de l’ordinaire pour les systèmes vivants. En cas de présence de substance exogènes, stress oxydatif, par exemple, ou bien de simple choc thermique.
Un problème lié aux recherches sur les dangers des ondes électromagnétiques c’est que ça ne rapporte rien sauf en termes de bien pour la collectivité. Ne soyons alors pas étonné que ce sujet ne soit pas labouré par les scientifiques. En plus, et les spécialistes ne démentiront pas, faire des recherches transdisciplinaires, c’est prendre aussi des risques en termes de publication, c’est se détourner de sa discipline d’excellence et mettre en cause sa carrière. L’autre obstacle est d’ordre cognitif. L’idée d’effets biologiques liés au magnétisme est, disons, une sorte d’hérésie pour les biologistes et, disons, sans grand intérêt pour les physiciens. Une hérésie genre ésotérisme, Kirlian, homéopathie et autres phénomènes que le bon mécanicien des molécules se refuse à examiner et, quand c’est le cas, la profession lui « tombe dessus ». Le champ électromagnétique est connu depuis 150 ans. L’usage courant des ondes hertziennes date de presque un siècle. Mais l’interaction magnétisme et vie n’a que peu été examinée, en dépit de précurseurs comme Lakhovsy dans les années 1930 et bien entendu les recherches de Prioré dans les années 1960. Avec des effets constatés sur le système immunitaire, un système que l’on sait être impliqué dans la genèse des cancers, mais aussi la défense face aux processus tumoraux.
Si cet appel des 20 à la vigilance face aux téléphones mobiles devait avoir une utilité, ce serait autant sur le plan des précautions que pour inciter les scientifiques à lancer un ambitieux programme de recherche. Au lieu de cela, les autorités viennent de fermer l’ERTAC à Clermont-Ferrand et le PIOM qui, à Bordeaux, étudiait l’interaction vie et rayonnement. Les raisons invoquées sont purement administratives, bien que les esprits soupçonneux puissent y voir la censure de recherches qui dérangent. Ayant eu l’occasion d’étudier le dossier de l’ERTAC grâce aux documents envoyés par son responsable, Gérard Ledoigt, puis de m’entretenir avec un de ses collaborateurs qui poursuit les travaux dans une autre structure, il n’y a pas à mon avis de volonté avérée de censure. Plutôt la marque de commissions bureaucratiques ayant œuvré dans le sens de la gestion et l’efficace, pour dégraisser, rationaliser, regrouper la recherche scientifique. Des commissions aveugles aux conséquences de leurs décisions. Mais on pourrait penser qu’à l’inverse, les mêmes instances puissent favoriser l’émergence de programmes visant à étudier les effets biologiques des « champs cellulaires ». Il y va de la santé publique, de la transparence et du fonctionnement de la science citoyenne.
Soulignons enfin l’existence très (trop) récente de la FSR, structure officielle et paritaire, co-financée par l’Etat et les industriels, ayant pour vocation de diligenter des recherches sur les impacts de la téléphonie sur la santé. Le citoyen averti ne pourra que légitimement mettre en doute l’impartialité de cette institution. Pourtant, à lire le détail des travaux financés, on constate des recherches fort intéressantes comme par exemple l’impact des champs de radiofréquence sur l’organisation des microtubules, molécules-clés dans la genèse du squelette cellulaire. Au final, on ne peut que rester perplexe et noter un décalage, que dire, une disproportion flagrante entre le niveau de profit et d’usage de la téléphonie mobile (plus de 50 millions d’abonnés en France) d’une part et, d’autre part, le niveau extrêmement réduit des recherches effectuées dans le domaine de l’interaction vivant rayonnement. Il y a eu une incurie administrative dans la programmation de la recherche, une négligence qui peut s’avérer coupable si la nocivité s’avère plus importante que prévue.
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