La révolution énergétique « d’en bas »
Après avoir libéré les logiciels de la logique marchande, le modèle open source, fondé sur le travail collaboratif via Internet, libérera-t-il l’énergie ? Sur la toile, inventeurs, scientifiques et bricoleurs enthousiastes commencent à mettre en commun leurs compétences et leur créativité pour développer et promouvoir collectivement des sources d’énergie propres, renouvelables, bon marché et décentralisées. La prochaine révolution énergétique viendra-t-elle « d’en bas » ?

Le 15 novembre dernier, au JT de 20 heures de TF1, PPDA
annonce l’existence d’un procédé révolutionnaire permettant de réduire
drastiquement les émissions polluantes de nos véhicules. Dans le
reportage qui suit, un jeune homme montre comment il a transformé son
moteur pour pouvoir rouler avec un mélange de diesel... et d’eau !
Résultat : les émissions sont réduites de plus de 50 % et la
consommation de 20 %, le tout confirmé par un test réalisé dans un
centre technique.
Ce soir-là, 10 millions de Français médusés
assistèrent à la consécration médiatique d’une invention brevetée dix
ans plus tôt par Paul Pantone, un inventeur étasunien qui, las de ne
pas trouver des investisseurs pour commercialiser son système, finit
par en publier les plans sur Internet en 1999 (lire Mettez de l’eau dans votre moteur).
Mais pour des milliers d’utilisateurs, ce n’était pas un scoop. Le
procédé n’a jamais été testé scientifiquement en profondeur, mais ils
l’ont adopté. Parce que ça marche.
Crise d’ignorance
Le quatrième « choc » pétrolier (1)
dans lequel nous entrons progressivement constitue un formidable coup
d’accélérateur pour les énergies alternatives. Avec la flambée des prix
du pétrole, jamais on n’a autant parlé d’économies d’énergie, de
biocarburants, de voitures hybrides ou de chaudières à bois. Mais
derrière ces exemples très médiatisés, il existe une foule d’autres
pistes énergétiques, souvent peu connues car moins développées et
avant-gardistes. Le « système Pantone » n’est que l’arbre qui cache une
forêt de jeunes pousses...
En effet, un peu partout sur la planète,
inventeurs, scientifiques, étudiants et bricoleurs passionnés se sont
mis en quête du Saint-Graal énergétique. Leur devise ? « Il n’y a pas de crise de l’énergie, mais simplement une crise d’ignorance »,
empruntée à Buckminster Fuller, cet architecte étasunien visionnaire à
l’origine des dômes géodésiques. Leur objectif ? Explorer des voies
énergétiques alternatives pour nous sevrer du pétrole, source de
conflits, de pollution et du réchauffement de la planète. Leur arme ?
Le modèle open source d’échange d’information et de travail
collaboratif sur Internet. Ces chevaliers des temps modernes veulent
tout simplement accomplir dans le domaine énergétique ce que la
communauté d’informaticiens qui a enfanté les logiciels libres a
réalisé dans l’univers du software : offrir gratuitement des solutions
fiables et efficaces pour tous. Bref, une révolution.
Trafic parallèle au cours du pétrole
Le
site Econologie.com, animé par Christophe Martz, est sans doute le plus
complet sur le procédé Pantone. Et cet ingénieur de 28 ans sait de quoi
il parle : il lui a consacré son travail de fin d’études il y a quatre
ans. Réalisée avec de faibles moyens, c’est à l’heure actuelle la seule
étude scientifique sérieuse disponible sur le Pantone. Les résultats
étant plus qu’encourageants, diplôme en poche, Christophe frappe à
toutes les portes possibles et imaginables pour poursuivre ses
recherches. « Un ingénieur mécanicien écolo ? Ça ne devrait pas exister ! », s’entend-il répondre à plusieurs reprises. « Je
passais pour un illuminé, commente-t-il. Il est difficile de se faire
entendre dans le domaine de l’énergie : le scepticisme ambiant, la
paresse intellectuelle - le classique : "Si ça marchait, ça se saurait
!" - et le dogmatisme scientifique sont omniprésents... » En mars
2003, fatigué de prêcher dans le désert, il remise son projet de
doctorat au placard, et lance Econologie.com. Aujourd’hui, plus de 100
000 internautes visionnent chaque mois sur son site près de 2 millions
de pages.
A un clic de là, tout baigne dans l’huile. Les adeptes de
ce biocarburant au statut juridique flou s’échangent tranquillement
leurs tuyaux sur les forums d’Oliomobile.org. Hébergé en Suisse, ce
site bilingue (anglais/français) lancé en septembre 2004 est vite
devenu le carrefour international des « huileux » (lire L’huile végétale, le biocarburant « oublié »).
« Nous avons démarré avec 13 000 visiteurs uniques par mois, explique
Vincent Tervooren, un des fondateurs. Aujourd’hui, le trafic mensuel
est d’environ 170 000 internautes. Il suit en gros le cours du pétrole
: en août, avec Katrina et le baril à 70 dollars, nous avons eu plus de
210 000 visiteurs. »
Des classiques aux spéculatives
De l’autre côté de l’Atlantique justement, le portail OSEN.org (pour Open Source Energy Network) est sans doute le site le plus ambitieux et celui qui pousse la logique open source le plus loin. Il exploite à fond tout le potentiel d’Internet, avec forums de discussion, wikis, fil RSS de nouvelles, reportages vidéo et podcast radio quotidien de cinq minutes (2). En coulisses, une équipe de sept personnes disséminées entre Salt Lake City, Toronto et Vancouver, alimentent ce portail principalement financé par un businessman canadien de 35 ans qui a fait fortune dans les télécoms. Le succès est immédiat. « Nous avons ouvert le site le 21 octobre 2005, et en un mois près de 500 000 visiteurs uniques ont déjà visionné plus de 4 millions de pages », explique Matthew Carson, 24 ans, informaticien et cofondateur d’OSEN. Pas étonnant, ce site généraliste et pointu à la fois est très bien structuré et regorge d’informations sourcées sur un nombre impressionnant de technologies et de sources énergétiques allant des classiques (solaire, éolien, géothermie...) aux émergentes (hydrogène embarqué (lire L’autre moteur à hydrogène), Pantone...), en passant par les « oubliées » (turbine Tesla, moteur Stirling (lire La nouvelle vie du moteur Stirling)...), les controversées (sonoluminescence...) et les carrément spéculatives (moteur électromagnétique, énergie « du point zéro »...).
Le soutien de Kofi Annan
En
regard des moyens hollywoodiens d’OSEN.org, la sobriété et
l’amateurisme formel du site de Jean-Louis Naudin font sourire. Cet
ingénieur informaticien est pourtant un des pionniers de ce « Linux
énergétique » en train d’émerger (lire Contours d’un mouvement naissant).
Ancien cadre sup’ chez Apple France, il a mis à profit son licenciement
économique, en 1997, pour s’adonner intensément à son violon d’Ingres :
la physique électromagnétique. Depuis, il teste toutes sortes de
machines bizarres et réalise des expériences hors des sentiers battus.
Et il publie tout sur son site JLNLabs.org : matériel, procédures et
résultats, le tout illustré par de nombreuses photos et vidéos. On y
apprend par exemple comment produire de la foudre en boule dans un
micro-ondes. Ou comment réaliser un lifter, cet engin volant qui a fait
de lui une star mondiale dans le petit milieu des passionnés
d’électromagnétisme et de technologies avant-gardistes (lire Le lifter, véhicule de demain ?).
Depuis
mars 2005, Naudin poursuit ses recherches avant-gardistes au sein du
GIFNET (Global Institute for New Energy Technology), une organisation
indépendante, sans but lucratif, qui dispose de bureaux en Suisse, au
Royaume-Uni, en France et en Croatie. Cet institut bénéficie du soutien
moral de Kofi Annan, qui a visité en juin dernier le laboratoire de
Fontainebleau, près de Paris, où travaille Jean-Louis Naudin. Le
secrétaire général de l’ONU a notamment assisté à des démonstrations de
lifters et de « fusion froide » (lire Le retour de la « fusion froide »).
Début 2006, l’émission Earth Report de la BBC World devrait diffuser un
documentaire consacré aux différentes pistes énergétiques « exotiques »
explorées au GIFNET.
Immobilisme industriel et politique
L’institut
a été créé en 2003 par Nicholas Moller, un ancien avocat d’affaires
suisse, inventeur à ses heures, qui en est également le principal
investisseur. L’avenir de la planète passe nécessairement par le
développement de nouvelles sources d’énergies propres, renouvelables,
bon marché et décentralisées, explique Moller. Or le modèle économique
de l’industrie énergétique repose sur de grosses centrales, un large
réseau, des compteurs individuels et... une facture en fin de mois. « L’establishment mondial de l’énergie est donc en conflit d’intérêt par rapport à ces futures solutions énergétiques. » Le GIFNET est sa réponse personnelle à l’immobilisme industriel et politique.
La grande majorité des acteurs de ce nouveau modèle open source de l’énergie tiennent un discours similaire. « Il est temps de faire émerger ces alternatives avant qu’il ne soit trop tard, insiste Vincent Tervooren. Oliomobile a été créé précisément pour donner aux internautes le pouvoir individuel d’influer sur le cours de l’histoire. »
Les fondateurs d’OSEN rappellent que deux milliards d’individus sur
Terre ne sont pas desservis en électricité, et que 25 000 personnes
meurent chaque jour par manque d’accès à l’énergie. Il est grand temps
selon eux « de mettre la pression sur
nos élus et d’exiger qu’ils soutiennent le développement et la mise sur
le marché de technologies et d’infrastructures énergétiques propres,
avec la même vigueur que celle avec laquelle ils ont abordé le projet
Manhattan ou le projet Apollo ». Pour enfin faire de l’accès à l’énergie un droit fondamental et gratuit.
Cet
enthousiasme collectif débouchera-t-il sur des réalisations tangibles ?
Le potentiel est là, en tout cas. Verdict au JT de 20 heures.
David Leloup
(1)
Après les chocs de 1973 (embargo de l’OPEP : le prix du baril augmente
de 400 %), de 1979 (révolution iranienne : + 213 %) et de 1991 (guerre
du Golfe : + 145 %). Ces deux dernières années, le prix du baril a
grimpé de 120 % (source : PolitiqueInternationale.com).
(2)
Un wiki est un site web dynamique, permettant à tout individu d’en
modifier les pages à volonté ; un fil RSS permet de consulter des
dépêches dans un navigateur sans devoir visiter le site émetteur ; un
podcast ou « fichier balado » est un fichier sonore ou vidéo destiné à
être téléchargé et écouté sur un baladeur numérique, par exemple.
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