La science n’est pas un monstre
On ne peut nier que la science occupe une place centrale dans les fondements de notre société et de notre mode de vie, ce qui en fait aujourd’hui le centre de nombreux débats, en particulier les OGM et le réchauffement climatique. Pourtant l’image que l’on en a est parfois trompeuse.
La perception de la science
Il existe de nombreux clichés sur la science, images de la science véhiculés entre autres par les médias.
D’abord celle d’une entité détentrice de vérité absolue : dans les débats à la télévision et dans les journaux, le scientifique est invité en tant que spécialiste pour présenter une vérité sur un sujet, vérité non discutable puisque personne d’autre ne dispose de son expertise. Les résultats scientifiques sont la plupart du temps présentés comme indéniablement vrais et définitifs (c’est aussi le cas dans les écoles). Par ailleurs, on ne les montre presque jamais comme résultat d’une recherche : on ne parle que rarement de la méthode scientifique en tant que telle. On demande donc au non-spécialiste de croire le scientifique sur parole. Ainsi la science, par certains côtés, paraît castratrice. Elle apparaît souvent par ce biais comme l’instrument du pouvoir politique ou économique. Puisque seuls les résultats sont présentés de manière opaque, on en devient facilement méfiant quant à leur valeur, surtout quand ceux-ci sont récupérés pour telle ou telle cause ou intérêt.
En second lieu, la science est perçue par le grand public comme ce qui s’oppose à la spiritualité car trop rationnelle et éloignée de la réalité du vécu. Elle voudrait réduire l’homme à son fonctionnement matériel, ignorant l’aspect immatériel et spirituel qui nous anime. On peut associer ceci au mythe du savant fou, que l’on imagine volontiers à l’esprit rigide, incapable de percevoir les nuances et les subtilités de la vie en société, parce qu’il ne voit que le côté logique et matériel des choses. La science semble par certains côtés « asociale ».
Ajoutons enfin qu’elle est généralement présentée sous l’angle de ses applications, de l’utilisation que l’on en fait. La technologie est beaucoup plus mise en avant que la recherche fondamentale. Les voyages spatiaux sont plus spectaculaires que les accélérateurs de particules permettant de valider les théories. Alors la science peut faire rêver, mais elle peut aussi faire peur. Le génie génétique, avec les OGM et le clonage, en est un exemple particulièrement frappant, dès lors qu’il commence à s’attaquer au vivant, et quelque part à ce que nous sommes.
Si certains points peuvent trouver une justification, la vision qui s’en dégage chez le grand public reste assez éloignée de ce qu’est la science en réalité : dans ses fondements, elle n’est rien d’autre que la recherche de connaissance. C’est pourquoi, contrairement à la vision qu’en ont beaucoup de gens, elle est au même titre que la spiritualité une quête de sens. En effet, par elle, l’homme cherche avant tout à comprendre le monde et à savoir qui il est.
La science, savoir universel
La science fondamentale cherche à connaître ce qu’il y a de constant dans le monde, non pas ce qu’il s’y passe, mais ce dont il est fait, les lois qui le gouvernent. Elle observe le monde, essaie de l’expliquer en imaginant des lois générales correspondant aux faits, puis vérifie si le modèle ainsi créé fonctionne. Et quand on arrive à regrouper plusieurs phénomènes en la manifestation d’un seul qui les sous-tend, quand les lois deviennent d’une simplicité et d’une élégance étonnante, alors on a l’impression de toucher du doigt une vérité absolue, de dévoiler légèrement le mystère du monde.
La méthode scientifique trouve ses fondements entre autres dans la pensée des philosophes grecs et dans l’usage de la raison. Elle a pour principes la rigueur et l’objectivité. Elle se base sur le raisonnement, qui est la seule méthode permettant d’accéder à des vérités (mathématiques) non subjectives, donc indéniables, et sur l’expérience reproductible, c’est-à-dire la confrontation d’un modèle (mathématique) avec la réalité afin de valider ou d’infirmer la théorie. Elle est donc par définition la pratique permettant d’élaborer un savoir universel. Par exemple, on peut considérer la spiritualité ou encore la littérature comme mode d’accès à une vérité, et même à une vérité qui ne serait pas accessible à la science, mais pas comme constitution d’un savoir absolu.
En ce sens, la science a un statut particulier. On ne peut la restreindre dans ses principes à un fait culturel. D’ailleurs, toutes les civilisations humaines ont pratiqué une certaine forme de science. Elle ne peut pas être mise au même niveau que d’autres modes de savoir. La contrepartie de ce statut particulier c’est qu’en science rien n’est vrai et tout est sujet à remises en question. Même si certains faits sont plus que bien établis, la vérité absolue n’existe pas. La science est une affaire de consensus... et de révolutions.
Voilà pour ce qui est des fondements de la science. Pour ce qui est de la pratique, c’est une autre histoire. La pratique scientifique est bien sûr imprégnée de la culture de ceux qui la pratique. Elle est aussi instrumentalisée par les différents pouvoirs de la société.
La science et les scientifiques
La science existe par ceux qui la font. Elle s’accompagne donc d’opinions, de sentiments, d’intuitions.
Tout homme est imprégné d’une vision du monde sans laquelle il ne pourrait vivre, mais qu’il est difficile pour lui de voir remise en question et d’adapter. Chaque homme a en son esprit une certaine quantité de principes philosophiques fondamentaux, tirés de son expérience qui lui permettent de se forger une opinion sur la plupart des sujets. Il accepte facilement une vérité qui correspond à son opinion et a tendance à ne pas croire celles qui s’y opposent. Il a naturellement tendance à croire vrai ce qu’il voudrait vrai. Le chercheur, même si sa profession l’oblige à une certaine honnêteté intellectuelle et donc à lutter contre cette inclinaison naturelle, ne peut en être exempt.
Mais s’il est évident que ces facteurs peuvent orienter les axes de recherches, la méthode scientifique est justement là pour servir de garde-fou, pour garantir un résultat fiable et se prémunir de la subjectivité. Le chercheur est obligé de se confronter à la réalité avec rigueur. Ainsi l’orientation philosophique des chercheurs pris individuellement a sans doute peu d’impact au final sur la recherche scientifique et il serait abusif d’en déduire un biais sur les résultats.
La communauté scientifique et la pensée unique
Il peut en être tout autre si l’on considère l’orientation philosophique non pas des individus séparément, mais de l’ensemble de la communauté scientifique.
Comme nous le disions la science est une affaire
de consensus. Les scientifiques ne travaillent pas seuls. C’est à la
communauté scientifique de valider les résultats. Comme il est
impossible en pratique de valider rigoureusement l’ensemble des
résultats, et puisque l’erreur existe toujours, c’est par
l’accumulation de résultats allant dans le même sens et par un système
de confiance entre chercheurs rigoureux que se forge le consensus. Ce
système permet aux résultats douteux d’être rejetés, parfois à tort et
aux résultats de confiance d’être acceptés. La communauté génère ce
qu’on pourrait appeler une "pensée unique". En matière de science,
c’est un mal nécessaire.
Il est indéniable que la communauté dans
son ensemble possède un certain cadre philosophique, à la fois induit
par les théories et influent sur les recherches, cadre accepté par
tous et dans lequel il est nécessaire d’entrer si l’ont veut appartenir
à la communauté. C’est pourquoi les avancées majeures en science sont
appelées révolutions : elles remettent tout en cause.
Ainsi les théories précédant le XXe siècle sont teintées de mécanisme et de déterminisme. La vision du monde qui les accompagne ne laisse aucune place au hasard, et seuls les causes et les effets existent. Ceci laisse penser que soit tout est déterminé, soit l’âme humaine est hors du monde. Il a fallu la mécanique quantique pour qu’apparaisse, au moins dans la plupart des interprétations, un véritable hasard, c’est-à-dire un hasard qu’on ne peut réduire à notre ignorance. Il existe certains domaines, comme la parapsychologie, qui semblent considérés par les scientifiques comme ne méritant pas que l’on s’y intéresse, même en y appliquant la méthode scientifique.
Il existe également une vision, très répandue à mon sens chez les scientifiques, selon laquelle la science pourrait tout expliquer et constituerait l’unique façon d’accéder à la connaissance. Dans sa forme extrême, le "scientisme", c’est l’idée qu’à terme la science pourrait remplacer la philosophie, la religion, la métaphysique.
Enfin citons la vision selon laquelle la science est l’outil d’un progrès perpétuel capable de répondre à tous nos besoins et d’améliorer sans cesse notre bien-être. Si elle est effectivement un progrès perpétuel dans le domaine de la connaissance, rien ne prouve qu’elle le soit dans le domaine du bien-être. C’est pourtant une idée répandue et colportée par le marketing dans le domaine des technologies.
La science instrumentalisée
Ceci nous amène à l’idée que la science pourrait être instrumentalisée. Elle pourrait l’être dans son financement, donc l’orientation des recherches, et dans la récupération de ses résultats à d’autres fins.
Notons d’abord que la connaissance n’est pas neutre. La connaissance est un pouvoir en premier lieu sur l’objet que l’on connaît, que l’on maîtrise et, en second lieu, sur ceux qui ne la possèdent pas. C’est pourquoi la science, qui a priori ne s’intéresse qu’à la connaissance en tant que tel, finit toujours par être aussi l’instrument du pouvoir.
Ainsi les recherches scientifiques sont souvent financées par l’armée ou par des entreprises commerciales. La première motivation d’un financement peut être applicative. On cherche à développer certaines technologies. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’instrumentaliser la science, mais plutôt de l’utiliser. Ceci a l’inconvénient d’orienter les recherches, éventuellement de les restreindre à ce qui est potentiellement utile. Ca a l’avantage de développer la science et les techniques. Mais paradoxalement c’est quand la recherche est la plus désintéressée qu’elle produit les résultats les plus importants. La physique quantique par exemple, qui est pure théorie, a déterminé l’existence de l’ensemble des technologies numériques d’aujourd’hui.
Mais la science est également utilisée pour servir de caution. Ainsi différentes recherches sont effectuées pour prouver ou nier, c’est selon, la dangerosité des téléphones portables, ou encore celle de différents OGM ou médicaments. Et il existe de multiples manières de s’accommoder de la vérité scientifique : choix de scientifiques « amis », limitation et orientation des recherches, présentation, reformulation et occultation de résultats. Chaque camp se l’approprie pour obtenir une vérité, celle qui l’arrange, que ce soit économiquement ou politiquement.
Nous pouvons avoir généralement confiance en la plupart des résultats scientifiques, puisque aucun scientifique n’est isolé et que la communauté a pour effet de rejeter les résultats douteux. Toutefois on imagine mal un fabricant de téléphone portable financer une recherche qui prouverait finalement que ses produits sont dangereux... Commercialement parlant, ce serait se tirer une balle dans le pied.
On se souviendra également des plaintes de nombreux scientifiques sur l’ingérence du gouvernement américain dans des résultats portant sur le réchauffement climatique (reformulations et occultations). Plus récemment l’utilisation politique d’un rapport scientifique sur les OGM a fait débat en France.
Les limites de la science
Pour finir, abordons brièvement le sujet des limites de la science comme mode d’accès à la connaissance. Nous évoquions le cadre philosophique de la science. En réalité, les limites de la science se trouvent dans ses fondements même.
Sa première limitation est la complexité du monde. Si nous savons décrire à partir de la théorie le comportement d’une particule, et si cette particule isolée vérifie parfaitement les prédictions, les choses se compliquent vite, et à partir d’à peine quelques atomes les résultats sont déjà impossibles à prédir sans effectuer d’approximations. Mathématiquement, même, aucune solution exacte à un problème donné n’est possible passé un certain nombre de particules. Autant dire que l’on est loin de la description d’un être vivant. A grande échelle, nous ne sommes plus strictement dans de la science exacte. Toutefois ceci n’empêche pas la biologie d’exister, et d’obtenir de nombreux résultats intéressants.
Mais, en réalité, la principale limitation de la science est plus profonde encore, et tient à sa nature même : la science ne s’occupe que du général. Elle ne s’intéresse pas à la singularité de l’expérience. C’est ce qui fait son succès, et c’est aussi sa limite. Ainsi, depuis la physique quantique au XXe siècle, elle admet comme nous le disions l’existence d’un hasard réel, différent de l’ignorance assimilée à un hasard, mais elle ne s’occupe pas pour autant de ce hasard, en ce qu’il constitue une succession de singularités. La science ne peut s’intéresser qu’à ce qui est immuable. Pourtant, le hasard, c’est ce dont est constitué l’ensemble de nos vies, en permanence.
C’est dans cette brèche que s’engouffre Jung avec la théorie de la synchronicité qu’il élabora en collaboration avec le physicien Pauli. L’idée derrière ces concepts est que ce qui fait sens, pour nous en tant qu’être conscient, se trouve justement hors de ce qui est reproductible, c’est-à-dire dans la singularité des événements. En particulier, Jung s’attache à des événements n’ayant aucun lien de cause à effet, mais se produisant simultanément. C’est cette simultanéité qui pour nous est porteuse de sens, mais la science ne l’appréhende pas car pour elle ce n’est que du hasard.
Le théorème de Gödel affirme (et prouve) que dans un système arithmétique il existe des propositions vraies mais indémontrables. On peut imaginer qu’il en soit de même dans la réalité physique du monde, et que certaines vérités restent inaccessibles à toute théorisation.
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