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Accueil du site > Actualités > Technologies > La vie rêvée des anges robotiques

La vie rêvée des anges robotiques

Lorsque le téléphone sonne, vous vous attendez, et c’est en passe de devenir une mauvaise habitude, à entamer une conversation avec un être humain. Famille, ami, avocat, démarchage, centre d’appel, bonne nouvelle, mauvaise nouvelle, bad news from the stars, mauvais numéro. Vous prononcez habituellement ce mot, banal entre tous, « Allo ? ». C’est interrogatif, parce que, par défaut, vous voulez savoir à « qui » vous avez affaire. Un conseil, maintenant. Préparez-vous à vous demander à « quoi » vous avez affaire lorsque vous décrochez votre téléphone.

Pour expérimenter ce « quoi », rien de plus simple. Prenez votre facture EDF, celle que vous n’avez pas encore payée. Ne la payez pas. Attendez la deuxième ou la troisième relance. Enfin, attendez que le téléphone sonne. Vous direz « Allo ? », mais vous n’obtiendrez pas de réponse. Pas d’interlocuteur à l’autre bout de la ligne. Pas de voix à proprement parler. Un vrombissement sourd, infra bas, celui du « load balancing » des serveurs qui émettent cet appel, automatisé, programmé, celui de la synthèse vocale multiple, aveugle et obéissante. A combien d’autres que vous cette voix parle-t-elle simultanément ? S’agit-il de phonèmes assemblés intelligemment, ou bien de mots entiers, ou encore cette voix est-elle capable de prononcer d’une traite des locutions complètes adaptées à votre situation ? S’il y a adaptation, il y a mine de données, et il y a mine de données chez EDF, concrétion et extraction de données, détermination de profils types de bons payeurs, mauvais payeurs, de critères de rappels selon profils, etc. ; l’entreprise EDF n’est-elle pas connue pour avoir dressé par le passé des fichiers clients comportant des « champs » pour le moins douteux ?

A-t-on réfléchi, lors de la conception et de la mise en service de ces appels automatiques, à l’impact psychologique, aux questionnements générés et non résolus, au caractère impersonnel, autoritaire, incontournable d’une telle démarche ? Certainement, ces points ont été soulevés, analysés, étudiés, mis en test sur des échantillons, pour être enfin déployés. Autant de termes machinaux, mécaniques, informatiques. Évidemment, la Reine Productivité est passée par là, accompagnée de l’Impératrice Croissance, fournissant toutes deux le vernis officiel, la caution économique, devenue aujourd’hui caduque et absurde. Mais, peu importe, dans ce système organisé de bouffonnerie épaisse, la caution se nourrit elle-même de sa propre veulerie !

Pendant que vous appuierez sur la touche 2, pour signifier au Système que « Vous certifiez que vous avez prévu de régler votre facture dans les deux jours qui viennent », vous aurez tout loisir d’observer en temps réel la formidable inversion dont vous êtes la victime consentante ! Tentez de voir froidement la situation : la machine, pilotée par le Système, vous parle avec des mots intelligibles, dans votre langue. Vous n’avez, de votre côté, que la possibilité de fournir des réponses écrites à l’avance, au moyen des touches de votre combiné téléphonique ! Maintenant, projetez-vous dans quelques mois. Les services publics ont disparu de la scène. Dans tous les cas de figure, santé, école, social, etc., vos questions sont enregistrées par des machines. Vous recevez des appels téléphoniques, ou des courriels, vous informant de votre situation, et vous donnant au maximum deux à trois possibilités de réponse. Vous vivez en démocratie, bien sûr. Vous votez. D’ailleurs, il y a fort à parier que les prochains scrutins verront se multiplier les « machines à voter ». Même phénomène, coup porté au cœur du Système par lui-même. Dans « machine à voter », entendez que c’est bel et bien la machine qui vote à votre place, et non pas vous qui votez à la place de la machine, parce que, dans ce dernier cas, il n’y aurait tout simplement pas de « machine à voter » !

Il est toujours fascinant de constater à quel point tout Système à visée hégémonique possède en lui-même ses propres forces d’autodestruction ou d’anéantissement, et de voir apparaître sur une base quasi-quotidienne les signaux patents de la mise en œuvre de ces forces, lorsque sa fin se rapproche. Le Système, pressentant que sa propre transformation finale, qui consiste à disparaître, menace d’advenir plus tôt que prévu (!), se met à développer le plus vite possible, et à généraliser le plus largement possible, des manœuvres d’évitement et de compensation, tout en maintenant le cap ignominieux de la croissance éternelle. Ces manœuvres ont exactement les effets inverses de ceux escomptés.

« Évitement » comme force d’auto-destruction, car, en généralisant l’automatisation, y compris dans les rapports de services, autrefois d’humain à humain, aujourd’hui de machine à humain, le Système disparaît, paradoxalement, progressivement, aux perceptions de ceux qu’il est censé contrôler de plus en plus. Même si le réel, le mythe et l’individu sont morts, ensevelis sous la couche épaisse de la succession permanente et de la cadence infernale du spectacle médiaticommercial, les individus proprement dits ne s’en trouvent pas pour autant modifiés ou refaits ou transformés, la nature humaine étant ce qu’elle est. Ils en sont les victimes consentantes, ce qui ne les fait pas cesser d’être sensitifs, émotionnels et capables de compassion. Les sociologues et les économistes se querellent constamment concernant la place de l’individu dans la société et le rôle de l’État dans la vie des individus. Si la sociologie et l’économie sont des sciences, les termes employés pour désigner des champs d’étude et d’investigation ont leur rôle à jouer. Or, il apparaît que la théorie (l’idéologie ?) économique orthodoxe reste obnubilée par la sacro-sainte croissance (dixit « les journalistes »), prête à tout pour justifier que les individus ne sont rien sans elle, que le bonheur, c’est le pouvoir d’achat, et que le summum de la vie sur Terre consiste en une insouciance crasse accompagnée d’une ignorance soigneusement entretenue. Récapitulons. « Individu ». « Croissance ». « Pouvoir ».

« Compensation », comme reconnaissance des torts causés aux êtres pour l’amour de la croissance, aux populations par la fascination du pouvoir, et aux milieux naturels, dominés, terraformés par le tout-puissant individu. Des « trains de mesures », dont on sait qu’elles n’en sont pas – une réunion n’est pas une action politique à proprement parler ni un congrès, encore moins un Grenelle ! - visent à soigneusement dissimuler la responsabilité évidente du Système sous un vernis économique de bon aloi : la croissance est en effet capable d’embrasser tant le respect de l’environnement que le réchauffement climatique ; par les effets d’une sorte d’auto-hypnose profonde de groupe, ceux qui « croient » en la croissance infinie et omnipotente ont la sensation qu’il suffit d’adopter un langage commun et d’inventer quelques termes bien sentis pour que, soudainement, les problèmes soient devenus des solutions !

Je reste assis, tranquillement. Je regarde le bel édifice s’effondrer, en sirotant ma clope du matin. Hier, un oiseau m’a dit que, vu de haut, c’est toujours aussi beau. Bienvenue sur Terre !


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5 réactions à cet article    


  • roOl roOl 20 juin 2008 15:26

    Avec la presentation du numéro, ca fais des annees que je n’ai pas su dire "allo"...

    Quand au numero privés, il n’ont qu’a laisser un message...

     

    Deja que je ne repond pas au teleprospecteur, autrement que par "non merci", je ne risque pas de causer avec une machine, a moins de le decider !

     

     


    • Dogood Dogood 22 juin 2008 01:10

      oui, "décider", c’est bien de cela dont il s’agit. Ils décident, sans nous en faire part. Ils mettent en service, sans demander l’avis des utilisateurs. Et c’est le procédé dominant dans la mise en oeuvre de toutes les technologies, qui sont donc présentées comme "bonnes" par défaut !

      cordialement


    • Gasty Gasty 20 juin 2008 22:22

      Tapez 1 tapez 2 tapez 3

      Si vous vous voulez réécoutez tapez 1 sinon tapez 2 pour archiver ou tapez 3 pour effacer............Menu principal : vous etes sur la messagerie vocale de (..)


      • jamesdu75 jamesdu75 21 juin 2008 11:53

        Et la vous vous rendez compte que ce texte a été ecrit par un humain. Puis envoyer sur une machine ou un humain a appuyer sur une touche. Enfin ce texte et diffuser par le monde uniquement par une machine.

         

        C’est ca la technologie, une interaction entre l’humain et la machine. A vous les studios.

         

        Un conseil pour que EDF n’envoi plus leurs Nexus 6 vous telephonez, payez vos factures de téléphone ca ira mieux.


        • Dogood Dogood 22 juin 2008 01:08

          hello

           

          Je n’ai pas dit de ne pas payer les factures, mais d’attendre un peu, nuance. C’est une expérience à faire, parce qu’ils améliorent sans cesse les systèmes. Je suis toujours épaté de voir à quelle vitesse ils mettent en service ces nouveaux procédés sans en informer *au préalable* qui que ce soit. C’est tout sauf anodin, je pense...

           

          Cordialement

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