La visiteuse
Sait-on vraiment ce que les gens qui passent chez nous en notre absence y font réellement ? Peut-on avoir confiance ? Vraiment ?
J’ai encore oublié. Elle m’avait demandé quand elle pouvait passer et je lui ai répondu de faire comme d’habitude, de venir à 13 heures, quand je ne suis pas là. Je n’aime pas l’avoir dans mes pattes pendant que je travaille. De toute façon, elle n’a pas besoin de moi pour entrer dans ma maison, elle a toutes les clés depuis longtemps. Elle s’organise à sa guise, du moment que tout est en ordre quand je rentre. Je ne peux pas vraiment me montrer difficile vu ce que je la paie.
Il est vingt heures, je suis de retour chez moi, assommée de fatigue. Le décor de mon appartement est flou devant mes yeux et je tente de me raccrocher à ses détails familiers. Bizarrement, est-ce l’épuisement, est-ce un état de conscience altéré par rapport à d’autres jours, mais il m’apparaît différent aujourd’hui. Un détail dans la cuisine a fugacement attiré mon regard, mais impossible de dire lequel. Quelque chose a changé par rapport à ce matin, mais quoi donc ?
Ce n’est pas la première fois que j’ai cette sensation et elle commence à me déranger. Cette fois-ci, je décide d’en avoir le cœur net.
Je démarre donc mon inspection vers le plan de travail, puis le réfrigérateur. C’est là, je sais que c’est là, mais cela m’échappe encore. Je prends un peu de recul et je me rapproche brusquement. Là, en haut dans le coin, un minuscule boîtier qui n’y était pas auparavant. De la taille de la moitié d’un timbre, à peine un millimètre d’épaisseur et des fenêtres lilliputiennes où s’affichent des chiffres. Un compteur ? Pour compter quoi ?
Forte de ce premier constat, armée de mon téléphone qui me sert de loupe, je pars à la chasse.
J’y ai passé la nuit, la matinée du lendemain et plus encore. Je suis encore sous le choc, tétanisée par mes découvertes. Pas une seule pièce, pas un seul placard n’a été épargné. Des compteurs, des capteurs, des caméras, et d’autres engins dont je ne n’ai pas réussi à comprendre l’usage, ma maison en est remplie. Je me sens trahie, humiliée, salie et, même si le mot est fort, violée. Je n’avais pas spécialement confiance en elle, mais jamais je n’aurais imaginé un tel niveau de perfidie de la part de ma visiteuse. Quel intérêt de savoir quels tiroirs j’ouvre et combien de fois ? Quel intérêt de m’observer pendant que je me lave les dents ou que je dors ? Quel est le but de ses manœuvres ?
Je ne comprends pas…
Et vous non plus, n’est-ce pas ? Vous ne comprenez rien à mon histoire ? Pas de souci, c’est voulu. Laissez-moi maintenant vous parler d’un autre appartement, un lieu censé être privé et que vous connaissez bien : il a des pièces, en fait des disques durs, des placards et des étagères, à savoir des dossiers, et dans ces placards, plein de bouquins et d’albums, donc des fichiers, vos fichiers. Quant à votre visiteuse, je pense que vous commencez à me voir arriver avec mes grands sabots. Oui, la visiteuse, celle dont le passage vous laisse indifférents, à laquelle vous ne prêtez même plus attention, qui vient quand cela lui chante, qui fait ce qu’elle veut chez vous, que vous soyez un particulier ou une grande société… Alors, une idée ?
Oui, c’est d’elle dont je tiens à vous parler aujourd’hui, de la mise à jour, cette visiteuse que dans sa grande stupidité, le monde entier a autorisée à envahir ce qui devait rester privé. Je ne doute pas une seconde des arguments techniques ou autres allant dans le sens de sa nécessité. Mais derrière la mise à jour, il y a des entreprises et derrière ces entreprises, des êtres humains, dont certains n’aspirent qu’à une chose : toujours plus, toujours plus loin, qu’il s’agisse de données, d’informations et de secrets, et en fin des comptes, de pouvoir.
Ces jours-ci, la controverse est vive au sujet des intelligences artificielles, mais posez-vous la question… Et s’il était déjà trop tard, si on était déjà le « jour d’après » ? Les métastases ont déjà été plantées, semées, dans tous les systèmes informatiques du monde entier. Elles n’attendent que l’allumette qui leur mettra le feu. Et ce feu viendra un jour - pas de "si" juste "quand"-, caché dans les jupes d’une gentille visiteuse à l’air tout à fait inoffensif.
Pensez-y la prochaine que vous cliquerez sur « Autoriser la mise à jour »….
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