La xénophilie ou l’Évangile technique en phase terminale
Lorsqu’on a un peu échappé au mondialisme triomphant, on se pose souvent la question suivante : mais pourquoi les Occidentaux, surtout les Européens, sont-ils à ce point dans l’amour de l’autre et dans la haine de soi ? La réponse, très paradoxale, est que le xénophile est un raciste qui s’ignore, en tout cas un présomptueux imbu de sa supériorité technicienne. Chose d’autant plus dérisoire que le technicisme occidental est en train de s’écrouler.
Prenons l’Occidental médiocre, pas l’Occidental qui pense aristocratiquement, en assumant la marginalité de ses concepts, mais l’homme-masse, l’individu-système, le rien-pensant bien-pensant intoxiqué par l’idéologie dominante, et peu importe qu’il soit pauvre ou riche, diplômé ou sans diplôme. Prenons cet homme, moyen, médiocre, sans relief, fût-il économiquement ou politiquement au sommet de l’échelle sociale. Son paradigme central, hérité du scientisme du XIX° siècle et du technicisme du XX° siècle, est un « illimitisme ». En clair, un paradigme faussement rationnel, en réalité incohérent, qui postule la possibilité d’une croissance infinie dans un système planétaire pourtant fini.
Comme toutes les idéologies majoritaires, cet illimitisme (hybris) se veut rassurant, sympathique, bisounours en quelque sorte. En réalité, c’est un extrémisme idéologique. Souvent, les gens croient que l’extrémisme est une forme de marginalité intellectuelle ; en réalité, c’est la bien-pensance la plus douce, la plus lénifiante, la plus « sexy », majoritaire et totalitaire à la fois, qui constitue le véritable extrémisme.
Une pensée exigeante, aristocratique, émane toujours de ce qu’Ortega y Gasset appelait déjà, dans l’Espagne des années 1920, des « minorités excellentes » avec leur lot de héros de la pensée, célèbres ou obscurs. La pensée aristocratique est toujours radicale, jamais extrémiste, si l’on entend par « radicalité » la recherche du vrai, du bien commun et du beau, et par « extrémisme » une représentation caricaturale et falsificatrice de la réalité, de quelque bord qu’elle se revendique.
Le véritable extrémisme de notre époque est l’illimitisme technophile, de droite ou de gauche peu importe, franchement assumé par certains droitards ultralibéraux, et inavouable, mais latent, et tout aussi fort, chez les faux rebelles écolo-gauchistes et autres mutins de Panurge.
Or, la xénophilie systémique, l’antiracisme d’État, l’immigrationnisme des grandes formations politiques de gauche ou de droite (sur une autoroute qui va de Bouygues à Mélenchon) n’est jamais qu’une application aux flux migratoires de cet illimitisme technophile. On postule que la toute petite Europe (car elle bien petite, en surface, par rapport aux autres continents) peut accueillir à peu près le monde entier, et sans aucune restriction, no-border, un thème martelé avec hystérie par les organisations gauchistes, devant la fausse réprobation roublarde des organisations droitardes.
C’est de l’illimitisme technique, ni plus ni moins. Cet illimitisme nous tient le discours suivant : « Si demain, en raison des flux migratoires, la population de la France est multipliée, mettons, par cinq, par dix, par cent comme on voudra, peu importe puisque l’innovation technologique permettra de résoudre tous les problèmes. »
C’est de cette manière que « pensent » le système et l’homme-masse. L’illimitisme technologique est d’ailleurs à ce point ancré dans les mentalités qu’une partie même des écologistes « décroissants » – voire « effondristes » – affichent les mêmes positions gauchistes que les no-border. Des anti-illimitistes sont donc parfois eux-mêmes des illimitistes qui s’ignorent. C’est la caractéristique même d’un paradigme non encore dépassé, comme le fut, par exemple, le géocentrisme avant les travaux de Copernic. Jusqu’au XV° siècle inclus, on postule encore, de manière aristotélicienne, que la Terre est immobile au centre du Monde. Il faudra attendre la seconde moitié du XVII° siècle pour que le nouveau paradigme héliocentrique, copernicien, devienne majoritaire et n’entraîne plus de répression notable.
L’illimitisme technique actuel est en réalité l’ultime mutation du scientisme du XIX° siècle. Nous sommes en pleine crise épistémologique et le passage à un véritable paradigme décroissant, ou plutôt résilient, ne s’est pas encore totalement ancré dans nos mentalités. L’Occidental moyen est désespéré, mais d’un désespoir débutant, qui ne s’assume pas encore. Un désespoir prétentieux. Il se raccroche encore à la technologie, comme à une bouée de sauvetage, même si c’est la bouée qui provoque la noyade. D’où la xénophilie, finalement raciste, qui consiste à postuler que l’Occidental pourra toujours s’en sortir avec sa technique ; l’Occidental désire ardemment accueillir toute la misère du monde pour communier avec ses convives dans cette espèce de religion de la technique ; mais cette foi techniciste héritée du scientisme disparaîtra comme disparurent, il y a très longtemps, les cultes païens de l’Antiquité.
Dans sa xénophilie exaltée, l’Occidental, et surtout l’Européen, se considère encore et toujours comme un modèle. L’Occidental croit dur comme fer que sa technique va lui permettre de sauver le monde entier : lui, l’Occidental, et aussi ses Frères étrangers, issus des autres continents. Il n’y a rien de plus méprisant que cette xénophilie condescendante fondée sur l’exaltation de la technique occidentale.
Autrefois, l’Occident pratiquait l’évangélisation technologique par le colonialisme. Aujourd’hui, il continue cette même évangélisation technologique par l’accueil de diverses populations. Autrefois centrifuge, l’universalisme techniciste occidental est devenu centripète.
En clair : le jour où l’Occidental cessera de croire en la religion de la technique, il cessera immédiatement d’être un xénophile paradoxalement raciste. L’Occidental réapprendra la modestie, l’humilité, le véritable humanisme. Cette révolution épistémologique adviendra probablement dans la seconde moitié du XXI° siècle, lorsque les générations technophiles seront définitivement liquidées par des générations résilientes. Comme le furent autrefois les géocentriques médiévaux, remplacés par les coperniciens modernes.
Aussi l’Europe vit-elle actuellement une véritable Renaissance, avec toutes ses caractéristiques exaltantes et contradictoires : la violence, le désespoir… et aussi l’imagination du futur, comme une sorte de souffle prophétique.
Illustration : Palais de la Porte Dorée (Paris)
Voir aussi :
Vidéo d’Arthur Keller sur les paradigmes décroissant, illimitiste, soutenabiliste et effondriste :
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