Le streaming, étalon roi de la diffusion
Depuis l’émergence du numérique dans la filière de la création, nombreuses sont les questions sur le devenir de l’ensemble des ayants droits (Auteurs, interprètes, producteurs) et de leurs revenus. Jusqu’à aujourd’hui, c’est le code de la propriété intellectuelle qui garantit aux ayants droits un droit de regard sur l’utilisation de leurs œuvres et une rémunération pour tous les usages qui peuvent en être fait.

L’émergence du Peer to Peer a ruiné la filière musicale, chiffre d’affaire divisé par deux en 4 ans, mais certains pensent que d’autres raison s’additionnent à celle du Peer to Peer pour expliquer ce déclin. La filière audiovisuelle se sent aussi menacé, ainsi que les éditeurs par le livre numérique.
Le lobbying des ayants droits a mis en mouvement les pouvoirs publics pour essayer de trouver des solutions. Il est regrettable que sous leur influence le gouvernement de François Fillon n’ait envisagé qu’une action de répression.
Tout a commencé en 2005- 2006 par le vote de la loi DADVSI (Droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information), qui était la transcription d’une directive européenne. Faisant face à l’impossibilité de rémunérer les ayants droits dans le paysage numérique, certain ont pensé, dans un premier temps, que les techniques de marquage des œuvres (Mesures Techniques de Protections) allaient pouvoir permettre de réguler et de contrôler l’usage des œuvres au plus grand bénéfice des ayants droits. Mais les MTP se sont vite révélées inapplicables. On a en mémoire la réaction de certains usagers qui ont constaté que leur Cd, dûment payé, n’était pas écoutable sur le lecteur de leur automobile.
Pour autant on a encore en mémoire l’affirmation autoritaire des producteurs et des pouvoirs politiques sur la nécessité et les bienfaits de la loi DADVSI. Celle-ci, au final ne fut jamais appliquée (c’est parait-il le lot d’un grand nombre de lois, tant pis pour le contribuable). C’est à l’occasion de l’examen de ce texte que fut voté, pour un laps de temps très court, un amendement créant la licence globale. Il s’agissait de légaliser l’usage du Peer to Peer moyennant une redevance prélevée sur les abonnements à haut débit. Face à la levée de boucliers d’une partie des ayants droits (les artistes interprètes ne s’y sont pas associés) le gouvernement est intervenu pour abroger cette disposition qui aurait pu rapporter jusqu'à 900 millions à l’époque et 1 milliard 400 millions euros aujourd’hui sur la base d’une redevance mensuelle de 5 euros par abonnement haut débit. Pour mémoire le chiffre d’affaire du disque en France atteint à peine, en 2011, 600 millions d’euros.
Arrêtons-nous un instant sur la licence globale. Historiquement le rapport conflictuel de la propriété intellectuelle aux nouvelles technologies n’est pas nouveau. Plusieurs étapes ont eu lieu.
A la fin de la guerre l’émergence d’un nouveau média : la radio a posé problème. Si on considérait le code de la propriété intellectuelle, pour programmer une œuvre, il fallait l’autorisation de l’ensemble de ses ayants droits : l’auteur, le ou les interprètes, le producteur. Impossible ! Il fallait bien trouver une solution, la radio étant un vecteur inéluctable et incontournable des œuvres. Les ayants droits et les pouvoirs publics ont trouvé ensemble une solution satisfaisante qui a consisté à faire une exception au droit à autoriser par la mise en place d’une licence légale, sous la forme d’un pourcentage du chiffre d’affaire des diffuseurs, les radios, versé aux producteurs, aux auteurs et aux artistes. C’est ce que l’on appelle la rémunération équitable.
Deuxième temps fort dans les années 1960 et 70, l’apparition de magnétophone à cassette et du magnétoscope. Vite diffusés à une grande échelle et très populaires ils permettaient de copier les œuvres musicales et audiovisuelles. Les ayants droits étaient lésés dans leurs droits de propriété intellectuelle. Il ne fut pas question d’interdire ces appareils. Certains y ont pourtant songé un instant ! Les pouvoirs publics en 1981, à savoir la gauche ont mis en place une vaste concertation entre tous les acteurs concernés, et c’est la loi de 1985, dite loi Lang qui a instauré une seconde exception au droit d’autoriser : la copie privée. Une redevance fut instaurée sur les supports vierges servant à la copie. La collecte de ces montants est allée aux auteurs, aux artistes et aux producteurs en compensation. Originalité de ce dispositif, il a prévu de mutualiser une partie de ces ressources en instaurant le principe que 25% des sommes collectées devaient aller en subvention à des projets artistiques afin de soutenir l’emploi culturel. Une commission ad hoc regroupant les représentants de tous les ayants droits, des consommateurs et des fabricants de matériel fut créée pour fixer les montants de ces redevances, avec le pouvoir en fonction de l’évolution technologique de fixer des redevances sur les nouveaux supports. Ce qui fut fait pendant ces 25 dernière années, en s‘adaptant au CD, au DVD, aux clefs USB, aux Smartphones et tout récemment aux tablettes comme l’Ipad.
Troisième temps forts dans les années 2000 l’émergence d’Internet. Ce n’est après tout qu’une autre étape technologique proposant une large diffusion des œuvres tout en ne respectant le droit à autoriser et la rémunération afférente. Mais cette fois ci les pouvoirs publics n’ont pas joué leur rôle, le gouvernement Fillon après la loi DADVSI s’est attaché à créer l’Hadopi avec la loi Création et Internet. A savoir la mise en place d’une riposte graduée (mail d’avertissement, lettre recommandée puis si récidive coupure de l’accès à internet). On voit bien aujourd’hui que l’HADOPI patauge et ne correspond pas du tout à la situation, comme l’avait prédit au cours des débats parlementaires les opposants à ce texte.
Et surtout aujourd’hui nous sommes dans un quatrième temps où le Peer to Peer a été supplanté par le streaming. A savoir l’accès, sans téléchargement à la musique et aux œuvres audiovisuelles. Quelque part la situation est un peu comparable à celle de l’avènement de la radio.
Mais qu’entend-on de la part des pouvoirs publics ? L’annonce par le Président de la République d’un troisième volant de la loi HADOPI 3 pour poursuivre non seulement les sites de diffusion en streaming, mais aussi les utilisateurs.
Il y a une constance de la part de ce gouvernement, c’est d’apporter à tout virage technologique une réponse répressive, sans jamais envisager que les paradigmes fondamentaux de la diffusion et de l’accès aux œuvres de l’esprit que sont la musique et les films avaient radicalement changé et qu’il fallait peut être faire preuve d’un peu plus de concertation et d’imagination. Au lieu de cela, en fidèle zélateur du président de la république, le Ministre de la culture s’est empressé de demander à l’HADOPI d’étudier dans un premier temps l’état des lieux du streaming et de faire des propositions pour y mettre fin.
Ce gouvernement reste sourd à la fois aux conséquences de ses expériences législatives précédentes et aux discours des acteurs de l’Internet.
Il faudrait peut être qu’il revienne sur les conclusions qu’avait faite Patrick Zelnik à l’occasion d’une mission que lui avait confié le ministre de la culture, à savoir que pour la musique la solution était de passer par la gestion collective pour gérer les droits sur internet. Il l’avait fait à la surprise générale, étant producteur indépendant on s’attendait à ce qu’il s’aligne sur les positions répressives des majors de la musique. Il est vrai que dans cette mission il avait été accompagné par Jacques Toubon qui a sans doute su lui ouvrir les yeux. Depuis cette recommandation, rien n’a suivi si ce n’est un accord du bout des lèvres entre les sociétés d’artistes interprètes et les producteurs pour basculer les web radio en gestion collective. Il reste encore un long chemin à parcourir pour taxer enfin les FAI, sous une forme juridique à imaginer, et de donner aux sociétés de gestion collective d’auteurs, d’artiste et de producteurs le soin de répartir ces sommes. Elles y sont toutes prêtes, du moins d’un point de vue technique.
La diffusion en streaming devient la règle. Les jeunes en particulier ne connaissent que ce mode d’écoute. La société Deezer associé avec Orange l’a bien compris en proposant un forfait mensuel de 9,99 € pour accéder à presque la totalité de tous les catalogues.
Canal + s’est orienté de la même manière en proposant en alternative à son service de vidéo à la demande un forfait mensuel de 10 € offrant l’accès illimité à son catalogue de films.
L’Adami, la société de gestion des artiste interprètes l’a bien compris en proposant à la réflexion des participants à ses douzième rencontres européennes à Cabourg un atelier très instructif sur le thème : « Musique et audiovisuel : vers un flux absolu ? ».
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