Le rien numérique vaut-il mieux que le tout numérique ?
Le tout numérique implique la dépersonnification du monde et, donc, l’isolement des individus qui le composent. Le tout numérique est un piège prônés par ceux-là même que l’on croit combattre en revendiquant la dématérialisation de tout. Cela ne veut pas dire que la réponse adéquate soit le rien numérique. En effet, le numérique est en lui même une technologie qui peut être extrêmement positive en ce sens qu’elle peut être complémentaire au monde réel (et inversement). Dès lors qu’un des deux univers fait disparaître l’autre, c’est un avenir bien sombre qui se dessine.
A l’époque des disques vynile, des cassettes audio et des cassettes vidéos, lorsque le CD et le DVD sont apparus, l’industrie du disque et du cinéma nous ont sorti le même argumentaire pour justifier la disparition des précédents supports que ce que nous sortent aujourd’hui les défenseur du tout numérique : « La modernité veut… », « Ceux qui s’y opposent sont passéistes », « Gain de place », « Support plus sûr », « Révolution technologique », etc…
Quid de ceux qui voudraient qu’une diversité de choix soit proposée entre les différents supports plutôt que de voir les nouveaux remplacer les précédents.
Les collectionneurs, les DJs et les rappeurs se sont battus pour que le disque vynile ne disparaissent pas, celui-ci constituant une part importante de leurs activités. Mais quid de la cassette audio et de la cassette vidéo (que l’on nommera plus tard VHS) ?
Depuis quelques temps les majors essaient d’annoncer la mort du CD pour passer à un autre support, et cet autre support, c’est le MP3, la musique dématérialisée. Ne doutons pas qu’ils vont nous faire le même coup avec les films. Toujours le même vieil argumentaire (c’est d’ailleurs plutôt celui-ci qu’ils devraient penser à changer unilatéralement) « La modernité veut… », « Ceux qui s’y opposent sont passéistes », « Gain de place », « Support plus sûr », « Révolution technologique », etc…
Cette fois ils ont trouvé une aubaine extraordinaire : l’HADOPI ! L’excellent prétexte pour introduire la question du tout numérique chez les anti-HADOPI et remporter enfin l’adhésion populaire qui lui manquait pour le passage vers le CD et le DVD, en y ajoutant le prétexte de la valorisation des artistes (et notamment des artistes indépendants) et une dimension révolutionnaire pro-démocratique. Qu’on ne s’y trompe pas, je suis moi-même contre l’HADOPI et je sais que ce projet est liberticide et anti-démocratique, mais ce que j’essaie de souligner, c’est que les majors utilisent cela pour ramener les foules derrière eux. Ils ne prônent pas le numérique mais bien le tout numérique. Or le tout numérique est aussi stupide et dangereux que le rien numérique.
De manière générale, il est important de se méfier des gens qui disent à la population « L’avenir, c’est ça ! » car l’avenir est quelque chose d’informel et d’incertain qui appartient seulement à la population. Ceux qui affirment que « L’avenir c’est… » sont des personnes qui établissent dans leur tête un schéma selon lequel l’ « avenir » est en opposition avec la population et qu’il est nécessaire de faire entendre raison celle-ci, qui ignore ce qu’est censé être l’avenir, en la convainquant qu’elle a l’obligation de prendre le train en marche sous peine de passer pour ringarde.
Question : qui conduit le train ?
Il est important, fondamental même, que la population ne se laisse pas confisquer son avenir par d’autres qui pensent que leur vision de l’avenir est celle qui prévaut.
Question n° 2 : qui est « d’autres » ?
Qu’est-ce que le tout numérique ?
Le tout numérique c’est la disparition des objets physiques : livres, CD, DVD, journaux, monnaie, cartes bleues, chèques, courrier, claviers d’ordinateur, clés, guichets, crayons, horloges, … Mais aussi la disparition des lecteurs : chaîne Hi-Fi, lecteur DVD, unité centrale, urne de vote, isoloir, etc… et la création d’un nouveau marché composés de nouveaux objets et services conçus et commercialisés spécialement pour la dématérialisation : disque dur virtuel, Ipod, ebook, matériel de reconnaissance biométrique, logiciels virtuels (j’entends par là sans leur support, le tout en ligne), jeux virtuels (idem), supermarchés virtuels, musées virtuels, écrans tactiles, e-factures, achats de licenses de droits d’utilisation à la place de l’achat de l’objet qui comprend en plus la license, etc…
Il est important de préciser que la fin de l’unité centrale entraîne également la mort du PC (Personnal Computer, où les données sont sur notre disque dur personnel), et l’émergence de son remplaçant le NC (Network Computer, où l’ensemble de nos données (images, vidéos, MP3, etc) sont stoqués en ligne) chez un serveur. Ce qui était personnel ne le sera plus et le contrôle direct que l’on avait dessus aura totalement disparu.
Arguments des défenseurs du tout numérique confrontés à la réalité
Argument : Ce qui existait jusque-là est passé, vieux, volumineux et doit donc disparaître.
Réponse : pourquoi vouloir faire tout disparaître ? Qu’on laisse donc le choix à chacun de composer son univers comme il l’entend, sans lui imposer de marche à suivre.
Argument n° 2 : dans le cas de la musique dématérialisée, cela aide les artistes à se faire connaître et affaiblit les majors qui empochent le plus grand pactole, laissant des miettes aux artistes.
Réponse n° 2 : Oui, le virtuel aide les artistes à se faire connaître, mais cela n’afffaibli en rien les majors et la rémunération des artistes reste toujours très dérisoire face à ce qu’empoche encore les majors avec la virtualisation de la musique. Pour modifier la situation et permettre aux artistes de vivre de leur art, ce n’est pas le changement de support qui doit être fait mais la restitution aux artistes de leurs droits (qu’ils ont cédé à la boîte qui les diffuse lorsqu’ils ont signé chez elle) et la modification imposée aux majors de leurs contrats (cela vaut aussi pour les maisons d’édition) incluant une rémunération des artistes supérieure à celle des majors sans condition (les artistes étant tout de même les créateurs de l’œuvre !). Le fait de changer de support en conservant l’état actuel des contrats des majors qui inclut la cession des droits des artistes au profit des majors et leur sous rémunération (une aumone !) ne fait que perpétuer le problème.
Argument n°3 : Le public pourrait investir sur les artistes
Réponse n°3 : Quelle horreur ! Cette proposition revient ni plus ni moins à faire du public des actionnaires et à ce que celui-ci, donc, impose par le chantage aux artistes un certain rendement et une œuvre conforme à ses attentes ! L’art n’étant pas un service, on ne peut exiger de l’artiste une conformité aux attentes (qu’elles soient celles des maisons de disques, des maisons d’édition ou du public !). En clair, cette idée prône un nouveau mode de pressions sur les artistes. Inacceptable. La liberté réatrice est directement visée par cette idée.
Argument n° 4 : Le tout virtuel, c’est plus écologique
Réponse n°4 : Faux ! Il existe une quantité de produits recyclables qu’il s’agît d’étendre et des alternatives écologiques qu’il s’agît de développer. En pronant le tout virtuel, non seulement on ne favorise ni le recyclage ni la recherche d’alternatives écoligiques (ceux-ci n’étant plus financés) mais on pollue davantage. L’erreur est de croire que parce que c’est virtuel et qu’on n’a pas d’objet matériel entre les mains, on pollue moins parce qu’on a résolu le problème de la dimension biodégradable ou non des produits. Les supports sont bien physiques, eux, qu’ils soient dant une unité centrale (puces, diodes, etc) ou qu’ils soient sur sur un serveur, sur un ordinateur distant. Or ces matériaux ne sont pas biodégradables, tout comme l’énergie (électricité) qu’ils nécessitent (l’électricité faisant principalement appel au nucléaire, dont on ne sait encore aujourd’hui que faire des déchets et dont un seul accident peut être fatal pour toute la flore et la faune d’une région, voire d’un pays, et bien sûr, par voie de conséquence, de la planète entière, car dans la nature, tout est une chaîne.)
Argument n°5 : C’est plus facile. Pas besoin de se déplacer.
Réponse n°5 : C’est vrai. Mais c’est aussi son principal défaut. Ne plus se déplacer, cela revient à favoriser un mode de vie sédentaire où l’on ne rencontre personne (ou alors virtuellement), on ne voit rien du monde extérieur (remarque, si tout le monde s’y met, il n’y aura plus grand chose à voir et plus grand monde de physique à qui parler, mais il restera tout de même le monde, le jour, la nuit, le soleil, etc…). Quant à la facilité, laissez-moi rire : ce n’est quand même pas si difficile d’aller s’acheter un truc ou d’aller voter ! Et puis qu’on ne me dise pas que c’est un calvaire, sinon, autant devenir un légume.
Quels lobbies derrière le tout numérique ?
Derrière le tout numérique, on retrouve les mêmes qui ont fait disparaître le disque vynile, les cassettes audio et les cassettes vidéos et les même qui font mine de défendre aujourd’hui l’HADOPI tout en infiltrant les anti-HADOPI, les industriels : SONY, EMI, PHILIPS, UNIVERSAL, WARNER, etc… et des politiques qui voient dans le tout numérique une meilleure façon de contrôler l’ensemble de la population.
Quels intérêts sert le tout numérique ?
Les intérêts des industriels et politiques défendant le tout numérique sont simples et effroyables. Certains émanent de la démarche purement commerciale et d’autres d’un champ bien plus large : le contrôle social.
Imposer le tout numérique permet aux majors de changer de support et de lecteur et donc de passer au filtrage, à l’écrémage des artistes et de leurs œuvres. En effet, déjà lors du passage au CD et DVD, certaines œuvres et certains groupes de musiques ont simplement disparus ! Le tout n’étant pas, bien sûr, crié sur les toîts, les industriels prétexteront, si on leur demande, que ces artistes ou ces oeuvres n’étaient pas assez rentables. Et de fil en aiguille on réécrit la culture, l’air de rien, en faisant progressivement disparaître certaines références.
Imposer le tout numérique permet de créer des nouveaux supports et de nouveaux lecteurs et obliger la population à suivre en souscrivant à de nouveaux services, en achetant les nouveaux formats ainsi que les lecteurs qui permettent de les lire mais aussi (tant bien que mal) à refaire sa discothèque, sa vidéothèque, sa bibliothèque, etc. Ce qui représente une rentrée d’argent sûre et permanente pour les industriels.
Imposer le tout numérique permet aussi de détruire davantage le lien social, en isolant chaque personne, de collecter des information et de contrôler mieux l’ensemble des citoyens. Dans cet esprit, le filtre que l’HADOPI veut imposer aux internautes pourrait bien être un début, un grand pas en ce sens.
Conséquences d’une société tout numérique ?
Imaginez. Imaginez un peu ce à quoi cela pourrait ressembler : des rues sans magasins (car les achats se feraient par Internet exclusivement) mais composés exclusivement d’habitations (d’où personne ne sort), de bureaux et d’entrepots. De temps en temps, des camions de livraison pour les entrepots et les particuliers. Des rues quasi désertes, les seules personnes qu’on y croiserait sortiraient pour se rendre à leur travail, des gens ne s’adressant plus à leurs amis que par mail ou par tchat, ou encore par mobile depuis chez soi ou au travail. D’ailleurs le taux de chômage exploserait vu que les magasins n’existeraient plus et donc plusieurs employés occupant des postes qui n’existeraient plus alors seraient licenciés (pour le plus grand profit des patrons qui auraient moins d’employés à rémunérer). Pas de travail, ça veut dire aussi pas d’argent, et donc pas de moyen de payer le loyer, l’électricité, l’abonnement Internet, la nourriture, etc. et donc un nombre exponentiel de SDF (une grande majorité de la population). Et ces SDF, comment vivront-ils ? Ils n’auront pas d’argent puisque la monnaie serait virtualisée et qu’il sera impossible de leur donner un accès au compte de ceux (rarissimes) qui auront des revenus. Comment vont faire ces SDF pour vivre ? Il n’y a plus de magasins, plus de supermarché, plus d’épicerie… Ils ne pourront même pas voler pour se nourrir. Ou alors dans les entrepots , mais ceux-ci seront équipés de matériels de reconnaissance biométrique. Autant dire mission impossible pour les SD de se nourrir dans cette société. Mission impossible aussi pour voter, car avec l’e-vote, on ne pourra voter que par Internet. Autant dire que la société deviendra une société de castes où seules quelques personnes pourront décider de l’avenir du pays, les autres n’ayant pas de reconnaissance officielle, et d’ailleurs, n’existeront même plus, à moins de se manger les un les autres, procéder au cannibalisme pour survivre. Il y aura aussi des tentatives plus gores encore d’usurpation d’identité. Une personne faisant partie de l’élite qui rentre chez elle pourrait bien voir son doigt sectionné et son œil arraché pour que l’usurpateur (qui sera appelé « terroriste » par les médias virtuels et le gouvernement alors que ce ne sera rien d’autre qu’une personne qui essaie de survivre) confonde le système biométrique. Les projets politiques seront alors encore plus sécuritaire, et pour remporter l’adhésion de l’élite, les politiques tenteront de faire naître une véritable psychose paranoïaque au sein de cette élite afin que celle-ci vote des projets toujours plus contraignants et liberticides. Au final, tout le monde se logera une balle dans la tête.
Voilà la belle société du tout numérique !
Le numérique est un progrès technologique indéniable, mais il ne faut pas qu’il devienne exclusif. Il n’est positif que dans l’équilibre des choix entre matériel et virtuel.