Les hyperliens anti-pédophiles du FBI
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Protocoles pénitentiaires
Professeur d’université à Media (Pennsylvanie), Roderick Vosburgh cliqua sur un lien de ce type dans un forum X : « Voici l’un de mes favoris : un petit garçon de 4 ans avec son papa, de l’o... et de l’a... , très chouette ! » Quelques heures plus tard, des casques noirs armés jusqu’aux dents défoncèrent sa porte, le plaquèrent contre un mur puis le menottèrent manu militari. Pendant qu’une grande dame en blouson bleu nuit lui signifiait ses droits et le motif de son arrestation, plusieurs agents du FBI en gants de latex perquisitionnèrent son domicile de fond en comble, saisirent son matériel électronique (ordinateur, téléphones, appareil photo, caméscope, baladeur, mémoires USB, DVD, etc.), son agenda, son carnet de chèques, ses relevés bancaires, son courrier postal...
Nous étions en février 2008. Vosburgh aurait-il physiquement commis des crimes pédophiles sans s’être fait prendre jusqu’ici ? Tout porte à croire que non. Aucune image correspondant aux deux icônes incriminées n’a été trouvée par le redoutable FBI Crime Lab dans ses disques durs. Par ailleurs, son casier judiciaire vierge et son dossier psychiatrique ne révèlent aucun profil ou antécédent à caractère pédophile. L’enseignant n’en était pas au bout de ses peines car le ministère public ne le rata pas.
Conformément à la législation fédérale en matière de « conduite sexuellement explicite », voici ce qu’en dit le procureur général à propos des icônes trouvées dans l’ordinateur de l’accusé : « la première image montre une fille prépubère, complètement nue, debout sur une jambe pendant que l’autre jambe est étendue sur un bureau, exposant ses parties génitales... L’autre image montre quatre filles prépubères couchées dans un lit, leurs jambes écartées, exposant leurs parties génitales. A la vue de cette image, le jury peut raisonnablement conclure que ces quatre filles posaient dans des positions non naturelles et que le point central de cette image porte sur leurs parties génitales... A partir de cet indice, le jury estime qu’il s’agit d’images de mineures ayant une conduite sexuellement explicite, et ne requiert certainement pas une résolution de cristal invoquée comme nécessaire par le défendeur, mais toujours indisponible ».
Vosburgh fut reconnu coupable par le jury « de clic sur un lien illicite et de possession d’icônes de mineures dénudées ». Le 22 avril, il saura finalement : 1/ s’il passera entre trois à cinq ans derrière les barreaux ; 2/ s’il conservera sa chaire d’enseignant à sa sortie de prison ; 3/ s’il sera administrativement fiché à vie ou non comme prédateur sexuel.
Dans le Nevada, Travis Carter qui risque jusqu’à dix ans de prison suggéra pour sa défense que son voisin, à portée de son routeur wi-fi, aurait cliqué sur un spam pédophile. De nombreux experts assermentés témoignèrent à la barre que le voisinage immédiat de Carter comprenait une douzaine de maisons, dotée comme la sienne de routeurs wi-fi aux connexions non protégées. Ils ajoutèrent que les icônes incriminées auraient très bien pu être créées automatiquement par le cache de l’ordinateur au moment du clic. Arguments rejetés par la juge selon les termes suivants : « The possibilities of spoofing or other users of an open Wi-Fi connection would not have negated a substantial basis for concluding that there was probable cause to believe that evidence of child pornography would be found on the premises to be searched ».
Au fait, comment en est-on arrivé là ?
Clics et traques
Depuis peu, le FBI a créé de faux sites de téléchargement comme uploader.sytes.net hebergé par no-ip.com, fournisseur de noms de domaines dynamiques à 15 dollars l’année. En réalité, afin de rester dans la légalité, les serveurs gouvernementaux n’archivent aucun fichier illégal, mais de remarquables leurres infopublicitaires à caractère pédopornographique. Corollairement, le bureau dissémine des spams et des hyperliens-pièges de Sytes.net dans des forums X classiques comme Ranchi, soupçonné de dissimuler un trafic d’images pédoporno via un serveur nommé rangate.da.ru (aujourd’hui hors service pour « activité non éthique »). Les serveurs affidavit du bureau retracent et enregistrent les adresses IP du moindre cybernaute américain qui cliquerait dessus, sans pour autant déterminer s’il l’a obtenu ce lien sur un forum X ou par e-mail. Des assignations administratives sont aussitôt envoyées aux FAI afin qu’ils fournissent l’identité et l’adresse physique du téléchargeur aussi vite que possible.
Lorsque le FBI a obtenu un mandat fast track d’arrêt et de perquisition, les Swat embarquent dans leur van noir blindé, quelques véhicules banalisés allument leurs girophares et tout ce beau monde fonce ensuite chez l’ennemi public numéro un. Aux yeux du bureau, le simple fait de cliquer sur un hyperlien-piège ou de posséder une simple icône thumbs.db pédoporno constitue un crime grave.
Jusqu’ici, une dizaine d’Américains sont déjà tombés dans cette trappe cyber du FBI : certains sont de véritables prédateurs sexuels et/ou amateurs de pédopornographie, d’autres sont très probablement les victimes directes d’un clic curieux ou malencontreux. Les condamnations de ces derniers font l’objet de vifs débats éthiques chez l’Oncle Sam. Maints juristes invoquent la tolérance zéro pour la protection de l’enfance, d’autres dénoncent cette « exubérante dérive à la Minority Report » qui jettera beaucoup trop d’innocents en cage.
Selon Stephen Saltzburg, professeur de droit à l’université de Washington DC, « les individus qui se connectent aux sites du FBI n’ont subi aucune pression de la part du gouvernement. Ils ne peuvent donc se plaindre du fait que celui-ci les ait incité à faire quelque chose à laquelle ils n’étaient pas déjà prédisposés [...] Il en aurait été tout autrement si le FBI avaient tenté d’encourager ces gens à cliquer sur le lien en incluant des indications équivoques sur la nature légale ou licite des photos ou des vidéos ».
Avocat criminel dans le Cambridge, Harvey Silverglate affirme que « les tribunaux ont été tellement restrictifs dans leur définition de l’entrapment (incitation au délit par un policier afin de justifier une arrestation) et tellement généraux dans leur définition de cause probable que plus rien désormais n’empêchera le FBI d’intervenir à sa guise ».
Les associations de droits civiques tirent la sonnette d’alarme : toute personne cliquant pas curiosité ou par inadvertance sur un de ces hyperliens-pièges vivra le même enfer que Vosburgh et Carter. En outre, vu la dérive ultrasécuritaire actuelle, elles craignent fortement que le bureau et d’autres administrations ne généralisent cette méthode dans leurs investigations anti-narcotiques et antiterroristes.
Et
si, par malheur, les trop curieux neveux de l’Oncle Sam venaient à
cliquer sur ces hyperliens-pièges, Jack Malone et Jack McCoy
enverront-ils ces petites têtes dans quelque centre de
rééducation pour mineurs ou leurs parents dans une prison du
comté ? La clicophobie deviendra-t-elle l’attitude la plus
électroniquement correcte ?
Annexes
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The Register : FBI agents lured suspects using fake child porn hyperlinks
-
News : FBI posts fake hyperlinks to snare child porn suspects
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Arstechnica : Rick Rolled to child porn = you’re a pedophile, says FBI
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Hackers.org : Click A Link, Go To Jail
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