Lutte contre le piratage : mais que fait la Hadopi ?
Dans les méandres d'une actualité "nouvelle technologie" largement dominée par le récent piratage du groupe Sony, on en aurait presque oublié d'évoquer la décision judiciaire la plus importante jamais prise en France dans le cadre de la lutte contre le piratage. La SCPP (Société civile des producteurs phonographiques) a en effet obtenu du Tribunal de grande instance de Paris, l'interdiction d'accès au site de téléchargement illégal The Pirate Bay et à l'ensemble des plateformes qui y sont associées. Chose qu'aurait dû exiger depuis bien longtemps la Hadopi, qui voit ici une nouvelle fois son utilité et sa pertinence remises en question.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH169/the_pirate_bay-6ee23.jpg)
A l'heure où la Hadopi envoie encore des courriers d'avertissements aux internautes récalcitrants les menaçant de couper leur connexion, les ayants droits voient rouge devant l'inefficacité de l'institution censée défendre leurs intérêts face aux ravages du téléchargement illégal sur l'industrie des biens culturels.
Selon une lettre publiée par Libération au mois d'octobre dernier et rédigée conjointement par les associations d’ayants droits et de producteurs de cinéma (ARP, UPF, Blic , Bloc), la Hadopi irait aujourd'hui "à l'encontre de la mission pour laquelle elle a été crée" en concentrant son action sur l'offre légale de vidéos et non plus sur la répression contre les pirates du web. Et il vrai que la Hadopi a quelque peu priorisé ses travaux de recherche et la mise en place d'une offre légale satisfaisante au détriment des problèmes du téléchargement illicite.
Les signataires reprochent notamment à Erick Walter, président de la Haute autorité, la mise en œuvre d'une politique de communication qui en oublierait presque de diaboliser le piratage et qui défend "à toute occasion, exclusivement les idées les plus contraires à la défense de la propriété intellectuelle et artistique". Cette communication "biaisée et incessante" propagerait l'idée selon laquelle le piratage n'est plus un problème en soi mais une réalité à laquelle les ayants devraient s'adapter, et rendrait finalement ces même ayants-droits responsables d'une "prétendue insuffisance de l'offre légale".
Le divorce entre la Hadopi et les ayants droits étant consommé, ces derniers entendent désormais se défendent par eux-mêmes et n'hésitent plus à l'image de la SCPP à attaquer en justice les plateformes de streaming ou de téléchargement direct illégales. Une stratégie qui paie et qui voit pour la première fois en France une décision de justice interdire l'accès à des sites pirates. Dans l'affaire en question ici, le Tribunal de grande instance de Paris a ordonné aux principaux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer l'accès au site The Pirate Bay depuis la France. Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont donc quinze jours pour s'exécuter et devront bloquer ces plateformes pour une durée minimale d'une année.
La France rejoint ainsi le club des pays ayant bloqué le site The Pirate Bay, comme l'Italie, la Finlande, la Belgique, le Royaume-Uni, l'Irlande, ou le Danemark, un site qui est devenu au fil des ans le symbole de la piraterie en ligne et de l'échange de fichiers gratuits sur Internet.
La Société civile des producteurs phonographiques et ses 2000 producteurs dont Warner, Universal et Sony se sont félicités de cette décision qui constitue selon eux "une nouvelle étape dans la lutte contre la piraterie musicale et (qui) vient renforcer les décisions similaires déjà existantes dans l'Union Européenne et à travers le monde". Une décision certes encourageante mais dont on peut douter des effets concrets pour l'industrie culturelle.
En effet, comme l'ont d'ailleurs plaidé les fournisseurs d'accès à internet, il est aujourd'hui très difficile de bloquer une plateforme de manière hermétique et ces mesures pourront être aisément contournées. Il est possible notamment de s’appuyer sur un système de « proxy » pour brouiller les pistes et prétendre surfer depuis un autre pays pour accéder au site désiré (certaines extensions de navigateur en sont spécialistes) ou consulter un site « miroir », qui copie exactement le contenu de The Pirate Bay. Plus simplement, il suffit de s’abonner à un autre opérateur qu’Orange, Bouygues Télécom, Free et SFR, seuls concernés par l’injonction du tribunal.
L'industrie culturelle devraient donc continuer à traîner la jambe, tirée vers le bas par un piratage croissant et l'absence de réglementation stricte et réellement efficace. Selon une étude récente du Forum d'Avignon, le piratage représentera d'ici 2015 et pour les cinq premières économies européennes, un manque à gagner pour l'industrie créative évalué entre 166 et 240 milliards d’euros et entre 600.000 et 1,2 million d'emploi sacrifiés. Des chiffres alarmants qui devraient peut-être inciter nos dirigeants à prendre des mesures à la hauteur du préjudice.
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