MARS OU CREVE !... (I)
Carl Sagan l'a brillamment dit « La curiosité pour les endroits inconnus est au cœur de l'humain depuis longtemps, très longtemps. » JF Kennedy le disait avec ses mots dans le discours lançant la « course à la Lune » en affirmant « Nous ne savons pas quels bénéfices nous en tireront, mais l'espace est là et nous allons y monter »...
La sagesse populaire ne dit-elle pas qu'il ne faut pas mettre tout ses œufs dans le même panier ? On sait très bien que rien ne dure, les individus, les sociétés, les civilisations, les conditions mêmes de vie sur Terre ne sont pas garanties dans la durée. Un astéroïde comme celui qui termina le règne des dinosaures et l'humain disparaîtrait en quelques mois. Sans aller aussi loin, la quête des européens débarquant en Amérique était bien de fuir l'existant pour recommencer quelque chose de différent, vivre autrement, fuir le passé, imaginer un avenir alternatif et puis notre folie thermonucléaire, les virus, l'intelligence artificielle, qui sait ?...
Un homme, Elon Musk, est très explicite quant à ses souhaits d'envoyer des humains sur Mars et d'y jeter les bases d'une colonie à la fois, comme assurance-vie contre un fléau pouvant effacer notre civilisation de la Terre et comme poursuite de l'aventure de la vie en franchissant une étape importante de plus : devenir une espèce multi planétaire.
L'arrivée sur Mars est une course d'obstacles qu'il faut tous franchir. On a prouvé qu'on savait faire dès le 20 juillet 1976, avec l'atterrissage de « Viking 1 » mais pour des masses faibles, une tonne au contact avec l'atmosphère et une demi tonne au sol, pour un coût de 2 milliards de $ (actuels) par mission. Y envoyer des humains est d'une autre ampleur, car il faut résoudre à la fois trois obstacles majeurs, économiques, techniques, humains.
Or, ce n'est que récemment qu'on a réussi à réunir l'ensemble des solutions permettant d'envisager de façon réaliste, autre chose qu'une poignée de missions style « Apollo » coûtant autant qu'un grand projet militaire (centaines de milliards de dollars).
En se basant sur le projet de Spacex on voit à quel point l'envisager dès la fin des voyages sur la Lune aurait été très différent et dangereux en admettant que ce fût possible.
« No buck no Buck Rogers » dit-on pour signifier que faute de financement tout projet spatial habité relève du rêve. En 1989, une étude de la NASA indiquait qu'il en coûterait entre 250 et 450 milliards de $. Propulsion par nucléaire thermique, 1300 tonnes en orbite basse terrestre pour une mission posant 23 tonnes de charge utile sur Mars (dont 4 humains partis pour 1000 jours), une entreprise de 20 ans minimum. Réalisable mais irréaliste.
L'argent n'existait pas pour ce projet, pas plus que le nucléaire thermique pour la propulsion. Si la NASA ne pouvait aller sur Mars, personne n'irait.
Quelques années plus tard , Robert Zubrin montrait qu'une mission humaine serait possible pour 50 milliards de $ (le coût de développement et 3 missions) en adoptant une nouvelle approche, basée essentiellement sur l'utilisation d'une ressource locale martienne et de ce qui existait à l'époque (moteurs de la navette et boosters à poudre).
« The Case for Mars » sortait pour la première fois le voyage humain vers Mars de la science fiction en montrant qu'il n'existait que des problèmes relevant de l'ingénierie et tous solubles pour une agence nationale comme la NASA. En 1995, ce qu'on savait de Mars était cependant très en deçà de ce que nous savons en 2018.
50 milliards de $ était bien sûr impossible à envisager pour une entreprise privée. La fusée était un clone du « Saturne V », entièrement consommable, le vaisseau une « grosse boîte de thon » (cylindre de 8x8m), mais pour la première fois on intégrait le concept d'utilisation des ressources locales (CO2 de l'atmosphère) pour fabriquer le carburant du retour, avec un impact majeur sur le coût des missions.
L'entreprise SpaceX a donc repris le problème à la base. Cela doit être bien moins cher encore, sinon c'est irréaliste pour une entreprise privée. Comment faire ?
En partant de ce que l'on sait depuis longtemps. Ce qui manque le plus dans l'espace, c'est l'espace (pressurisé). Les masses à utiliser au premier ordre varient comme le carré de la taille et le volume comme le cube. Plus un objet est volumineux (cabine, réservoir), moins il faut de masse par unité de volume enveloppé. Il faut être volumineux (plus que lourd) pour viser les corps extra-terrestres. Au lieu d'utiliser des alliages d'aluminium, ce sera de la fibre de carbone, non seulement plus légère, mais beaucoup plus robuste mécaniquement.
Il faut donc une grosse fusée fiable et peu coûteuse. Les deux propositions étaient inconciliables pour de nombreuses raisons. Une grosse fusée ne sert à rien en dehors des missions interplanétaires, or elles sont coûteuses à développer et lancer et donc rares...
Elles sont très coûteuses à fabriquer (usage unique) et leur coût de développement ne peux s'étaler sur de très nombreuses missions. Enfin, même si on diminue leur masse en n'emportant pas le carburant nécessaire au retour, elles devraient être plus performante que le « Saturne V » dès qu'on envisage autre chose que des missions spartiates. On parle de missions de 900 à 1000 jours, dures à envisager psychologiquement dans une grosse boîte de conserve.
Par ailleurs, même si ces problèmes étaient réglés, il resterait qu'on se saurait pas faire atterrir sur Mars de grosses charges utiles, vu la masse de carburant à utiliser pour le rétro freinage. Au delà d'un coefficient balistique connu (masse à freiner par unité de surface du bouclier thermique) on arrive à mach 2/3, quelques centaines de mètres au dessus du sol et avec les coefficients bien plus importants pour ces missions toute idée de parachute est inconcevable, donc freinage prolongé avec moteurs fusées et charge utile faible...
Comment fabriquer une grosse fusée utilisable ici, pour des lancements de satellites par exemple, ou navettes avec l'orbite basse tout en diminuant son coût ? La réponse concrète est récente, il faut utiliser un lanceur réutilisable. Non seulement la réutilisation fait diminuer le coût de lancement mais les pénalités de masse emportée sont substantielles. D'abord, parce que le second étage n'est plus un réservoir de carburant mais un vaisseau spatial (bien plus massif), mais surtout parce que les deux étages doivent garder du carburant pour le retour, ce qui diminue encore plus la charge utile en orbite basse.
Pour simplifier, on pourrait utiliser une fusée grosse comme le « Saturne V » pour lancer les mêmes satellites qu'Ariane V, mais pour beaucoup moins cher, puisque ce serait une fusée « à tout faire ».
Ensuite, si on s'arrange pour envoyer en orbite une charge utile importante, le vaisseau, puisqu'il doit vider ses réservoirs pour atteindre l'orbite basse (à pleine charge), doit pouvoir être ravitaillé en vol pour les voyages interplanétaires. Mais si on maîtrise ce ravitaillement, la fusée peut avoir des capacités d'envoi bien plus importantes en étant moins grosse. Au final, une fusée à la louche grosse comme une « Saturne 5 » (qui pouvait envoyer 40 tonnes vers Mars) pourrait envoyer 230 tonnes, tout en étant réutilisable.
Et surtout (Zubrin l'avait compris dès le début des années 1990) il faut pouvoir vivre « sur le pays » et donc intégrer l'exploitation des ressources locales pour diminuer la masse de carburant à emporter donc développer des moteurs utilisant le même carburant ici et sur Mars au lancement.
Restait le gros problème de faire rentrer dans l'atmosphère martienne une masse entre 50 et 250 tonnes en arrivant au sol avec une charge utile importante.
On sait faire aujourd'hui et le schéma inévitable est la plongée à pic jusqu'à 10km d'altitude puis le vol horizontal sur des centaines voire milliers de km, à cette altitude, jusqu'à entamer une phase de rétropropulsion supersonique, qui n'avait jamais été testée avant l'arrivée du lanceur « Falcon 9 ». On sait que ça marchera dans l'atmosphère martienne. Exit le parachute (impensable) et exit l'énorme réserve de carburant pour freiner le tout. Dans une version, Spacex pourrait faire atterrir 230 tonnes sur Mars (80 à 90 tonnes pour le vaisseau et le reste en charge utile). Pour information, la plus grosse masse déposée sur Mars par la NASA est au dessous de 950kg (le rover « Curiosity »).
Le projet est encore en phase de conception, mais on sait déjà que la cabine disposera d'un volume pressurisé supérieur à celle d'un A-380 d'Airbus, un volume gigantesque pour les premières missions qui ne concerneront que des équipages réduits (6/15 personnes). A 100 m3 par personne, le syndrome « boîte de conserve » devrait s'estomper.
L'objectif avoué du patron de Spacex est de pouvoir envoyer à terme, de l'ordre de 100 personnes dans ce volume, aménagé en cabines individuelles et espaces communs, mais ça prendra au minimum le temps de construire des infrastructures locales pour les accueillir.
Deux options sont débattues actuellement, la première (soutenue par Zubrin) consistant à envoyer le vaisseau sur une orbite elliptique terrestre à la milite de la vitesse de libération et de libérer un vaisseau normalisé qui sera soit un module d'habitation martien soit un module de retour (il devra donc utiliser son carburant pour le coup de pouce l'envoyant vers Mars soit 0,6 km/sec à fournir par les moteurs.. A noter que tous les moteurs sont au méthane, seul carburant performant qu'on peut fabriquer « aisément » sur Mars et stocker durablement.
Dans cette optique le vaisseau est réutilisable à nouveau quelques jours/semaines plus tard pour un nouveau lancement et peut servir en continu.
La seconde est d'envoyer le vaisseau sur Mars comme module habitat jusqu'au l'ouverture de la fenêtre de retour .
On prévoit donc d'emblée au sol de grands volumes habitables, une base modulaire pour débuter, un site d'atterrissage où les ressources locales en eau sont abondantes et une source d'énergie importante (solaire ou nucléaire) pour fabriquer de toute façon le carburant pour les retours. Comme on l'a fait sur Terre, on construit les cités près de ressources naturelles indispensables sur place, ici en plus c'est impératif pour les retours.
Pour des raisons de sécurité, on prévoit aussi deux vols par fenêtres de lancements (les trajets les moins énergétiques et les plus rapides sont accessibles tous les 26 mois environ), même si concrètement on connaît maintenant des trajectoires rendant Mars accessible a peu près n'importe quand (au prix d'une plus longue durée de vol, donc en principe pour l'envoi de matériel).
Par exemple on pourrait envoyer sur quelques mois précédant le vol humain des centaines de tonnes de matériel à déposer sur le site futur de leur arrivée et repérer et baliser le site idéal d'atterrissage depuis le sol et faire de même après leur arrivée.
Et bien sûr on peut envoyer des secours éventuels sans avoir à atteindre l'ouverture des fenêtres actuellement utilisées.
En 2018, au delà des milliers d'heures d'ingénieurs nécessaires pour concrétiser son projet, l'entreprise SpaceX doit relever deux défis importants qui sont trouver des sources de financement complémentaires (la constellation « Starlink » est une piste, il y en a d'autres dans l'espace autour de la Terre et la Lune, comme transporteur pour la NASA, le tourisme lunaire et autre) et dénicher le meilleur endroit pour avoir à la fois accès à une énorme réserve d'eau et un approvisionnement en énergie suffisant.
Le second a déjà un début de réponse aux moyennes latitudes (équivalent de l'extrême sud espagnol), même si l'idéal serait de trouver plus proche de l'équateur et le premier vient de franchir l'étape réglementaire de la FCC, autorisant l'entreprise à placer 12 000 satellites en orbite basse en l'espace de 9 ans...
SpaceX se voit en transporteur interplanétaire, mais le patron de l'entreprise dirige d'autres initiatives (Tesla, Gigafactory, « The Boring Company »).
Il faudra des véhicules électriques lourds sur Mars, des panneaux solaires et creuser des tunnels. Il est douteux que les entreprises annexes du patron de Spacex soient là par hasard.
Il y a encore des anomalies dans leur projet qui nécessiteront des modifications prévisibles (par exemple ils doivent fabriquer 1000 tonnes de carburant martien pour faire revenir directement le vaisseau sur Terre, ce qui à court terme semble peu réaliste vu l'échelle) mais une alternative existe qui sera sans doute choisie.
Une seule chose semble sûre, à savoir que si c'est financièrement et techniquement réalisable, il le fera. Son entreprise a été créée pour ce but et ses accomplissements en 10 ans sont sans équivalent. Elle a lancé par exemple en début d'année la plus grosse fusée jamais construite, si l'on excepte les fusées lunaires russes et américaines et la fusée Energya qui n'a volé qu'une poignée de fois et commencera à envoyer des astronautes vers l'ISS l'an prochain (le vaisseau fera son premier vol inhabité en principe le 8 janvier prochain).
L'homme le plus riche du monde (Bezos, patron d'Amazon) a des ambitions voisines et fabrique aussi en ce moment une fusée réutilisable, plus lourde encore que la Falcon Heavy, avec en projet un lanceur au moins comparable en taille au lanceur « Saturne V ».
Il semble improbable fin 2018 que tous les deux échouent dans leurs projets.
Dans moins de cinq ans, nous saurons. La NASA, quant à elle, n'envisage qu'une mini station en orbite lunaire pour les 10/15 ans à venir et dix ans plus tard un petit avant poste sans doute à l'un des pôles lunaires.
Il se pourrait bien que l'avenir de la conquête spatiale soit sur le point de devenir une entreprise privée. Un changement d'époque si cela intervient.
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