OGM, information scientifique. Le cas du chercheur français Christian Vélot
Saumons géants, énormes cochons nécessitant une moindre alimentation, céréales à valeur nutritive augmentée, les promesses des organismes génétiquement modifiés sont de nature à impressionner et à prétendre apporter des solutions aux problèmes nutritionnels du monde à venir. Pourtant Christian Vélot, enseignant-chercheur à l’institut de génétique et microbiologie, université d’Orsay en région parisienne, a fait son combat de dénoncer les raccourcis scientifiques des promoteurs d’OGM agroalimentaires et les dangers de la dissémination de ceux-ci. Ce sympathisant des faucheurs d’OGM, de part ses arguments, est un homme sans doute dangereux pour les firmes semencières et de toute évidence pour ses instances universitaires puisqu’il devra bientôt quitter son laboratoire.
La conférence d’un chercheur du domaine public
Assurément, à suivre l’actualité, on aimerait se faire une idée sur certains sujets compliqués dont on entend si souvent parler et dont on sent bien qu’ils représentent des enjeux décisifs pour les défis du monde de demain. Mais s’il fallait étudier des livres de physique nucléaire, de résistance des matériaux, de géologie enfin, pour par exemple avoir une idée de la difficulté de stocker sur le long terme les déchets radioactifs que notre consommation d’électricité génère chaque jour, sans doute serait-il préférable de renoncer tout de suite à la démocratie directe.
Sans l’ombre d’un doute, les OGM sont de ces sujets-là. Difficile de se faire une idée à leur propos en lisant les articles de presse qui paraissent très régulièrement, ou en écoutant les arguments tranchés des protagonistes de débats. Bien sûr nous savons tous plus ou moins ce dont il s’agit, mais de là à avoir une opinion sur le bien-fondé ou non de leur utilisation industrielle, on sent qu’il y a encore une marge de compréhension à franchir.
Et puis disons-le d’emblée, il n’y a sans doute pas d’opinion scientifiquement exacte qui conclurait, à l’issue d’une belle démonstration : ceci est bien, cela est mal. Mais en tant que citoyen d’un pays démocratique, on aimerait faire tout de même ses choix en connaissance de cause.
Ah ! disposer d’un maître de conférence, d’un enseignant-chercheur, à la fois suffisamment pédagogue pour nous rappeler rapidement mais avec précision les bases nécessaires pour être bien sûr de savoir ce dont on parle vraiment, et suffisamment avancé sur le sujet des OGM pour nous décrire la réalité de ce qui se trame au sein des laboratoires actifs dans la manipulation du vivant. Voilà un rêve qu’il n’est pas si facile d’exaucer.
C’est pourtant la tâche que s’est assigné Christian Vélot, maître de conférence en génétique et microbiologie à l’université d’Orsay. Le chercheur pourrait vous parler des réseaux impliqués dans le catabolisme du carbone chez le champignon filamenteux Aspergillus nidulans, sujet qui constitue son axe de recherche. Mais dans ses conférences publiques, ce chercheur engagé s’est attaché à la mission de donner aux citoyens la possibilité de se faire une opinion, sinon éclairée, du moins informée et apte à déjouer les éventuels pièges que comportent les discours sur les OGM. D’après lui, ce rôle d’information du plus grand nombre est l’une des missions importantes que devrait jouer un laboratoire engagé dans la recherche publique.
Après un rappel de ce que sont une cellule, des chromosomes, la molécule d’ADN et ses composantes, puis des techniques qui permettent de modifier le séquencement de ces composantes en des endroits précis de la molécule d’ADN, Christian Vélot présente les différents domaines d’application des OGM.
Et c’est la première chose importante - et relativement originale par rapport au reste de l’information à destination du grand public - il démontre que les problématiques environnementales posées par les différents types d’usage des OGM n’ont rien à voir entre elles.
Par exemple dans l’utilisation d’une bactérie génétiquement modifiée pour la fabrication de l’insuline nécessaire aux diabétiques, une fois l’insuline synthétisée, sa récolte ou plus précisément sa purification conduit à la destruction de la bactérie OGM. Celle-ci n’est donc qu’un outil, un vecteur de production qui restera confiné en laboratoire. L’OGM ne sera pas disséminé dans la nature et n’interviendra plus dans aucun autre processus.
Autre exemple, celui d’une levure transgénique dotée du gène de fabrication de l’enveloppe d’un virus et qui permet la production en volume de vaccins. Là encore, la levure OGM constitue, non pas le produit final voulu, mais un vecteur de production qui n’est utilisé que comme intermédiaire avant d’être détruit.
Or souligne Christian Vélot, la compréhension de ces exemples d’utilisation d’OGM est importante car ces exemples sont utilisés par des promoteurs d’OGM du domaine agroalimentaire comme justificatifs du recours aux organismes transgéniques. Mais en agriculture, la différence est fondamentale, car ce sont les semences OGM elles-mêmes qui sont la finalité de la manipulation et qui sont semées en plein champ comme tout autre organisme.
Et après cette introduction d’une certaine longueur mais qui fixe dans l’esprit de l’auditeur les données de base permettant enfin d’écouter avec une meilleure compréhension les discours des scientifiques, Christian Vélot s’attaque au cœur de son combat, la dénonciation de l’utilisation d’OGM dans le domaine agroalimentaire.
Là aussi les promesses des OGM semblent alléchantes. 99% de ceux effectivement utilisés aujourd’hui dans le monde sont des "plantes à pesticides". Par exemple le maïs transgénique Bt a été enrichi d’un gène synthétisant une protéine insecticide permettant à la plante de se défendre contre la pyrale, papillon dont la chenille s’attaque à la tige du maïs. Autre exemple, un soja qui, lui, est rendu résistant au Roundup en empêchant l’agent actif de cet herbicide de se fixer sur les usines cellulaires permettant la croissance du soja.
Or cela pose différents types de problèmes qui sont développés en détail par Christian Vélot.
Le maïs Bt produit donc en permanence un insecticide là où, en culture conventionnelle, l’agriculteur n’est censé asperger de son produit phytosanitaire que lors de l’attaque avérée de la pyrale (soit avant l’apparition des chenilles). Nous avons donc un nouveau maïs qui produit en permanence l’insecticide dont la molécule va se concentrer dans l’environnement. Cette concentration et cette permanence risquent de conduire petit à petit à l’apparition de pyrales résistantes à la protéine insecticide et qui se mettront à proliférer. Le phénomène est déjà bien connu en médecine pour la résistance - voire la multirésistance - des bactéries aux antibiotiques, mais évidemment l’utilité sanitaire de l’invention des antibiotiques est difficilement contestable.
Concernant le soja résistant au Roundup, cela a déjà conduit à une augmentation des doses utilisées de cet herbicide au Canada et aux USA. Et à propos de l’évaluation sanitaire et de la traçabilité de ce soja servant à l’alimentation du bétail, Christian Vélot souligne l’inanité de l’argument parfois utilisé, selon lequel aucune trace de l’OGM n’a été retrouvée dans le lait des vaches qui le consomment. Car dans ce cas, c’est bien des traces de Roundup qu’il faudrait rechercher et non des traces de l’OGM.
D’après Christian Vélot, force exemples à l’appui, les procédures évaluant les risques sanitaires et environnementaux des semences OGM sont systématiquement incomplètes et non transparentes. De plus, il est quasiment impossible de prévoir l’ensemble des répercussions possibles de la modification ainsi induite d’une des "voies métaboliques" d’un organisme alors que le métabolisme global de celui-ci fait appel à un nombre extrêmement élevé de voies métaboliques interdépendantes (il est par exemple arrivé que les saumons transgéniques géants aient la tête déformée).
Lors de la dissémination de substances OGM en pleine nature, le transfert horizontal des gènes, opéré par les millions de micro-organismes présents dans le sol, est également préoccupant, d’autant qu’on ne connaît bien actuellement que seulement 5% de ces micro-organismes.
Les arguments, comme les exemples, donnés par Christian Vélot sont nombreux et variés. C’est sûr, son discours est dangereux pour l’industrie agroalimentaire à base d’OGM. Lui qui ne cache pas son opinion négative sur l’utilisation des techniques transgéniques par cette industrie, invite pourtant l’auditeur, maintenant armé de la connaissance minimale pour aborder le sujet, à aller écouter d’autres scientifiques afin de se faire une opinion contradictoire.
Christian Vélot, “licencié”
Certes, un enseignant-chercheur est un fonctionnaire bénéficiant d’une protection de l’emploi, néanmoins Christian Vélot a été informé par la direction de son institut que lui et son équipe ne seront pas reconduits pour le prochain contrat quadriennal de recherche à partir de janvier 2010.
Il restera certes enseignant, mais en l’absence d’activités de recherche, sa carrière sera bloquée. Il lui est officiellement reproché d’avoir pris des positions publiques au nom de ses tutelles, ce qu’il dément vigoureusement. D’ores et déjà son équipe subit des pressions : confiscations de crédits, suppressions d’étudiants stagiaires et menaces de déménagement.
La question de l’information scientifique à destination du public
On comprend que la présence de la conférence d’un chercheur sur un DVD militant promu par des sympathisants des faucheurs OGM, de même que son intervention en tant que témoin à des procès, posent problème aux tutelles d’un laboratoire public de recherche.
Il y a premièrement l’aspect illégal des actions des faucheurs. Mais il faut aussi savoir que le terme public ne désigne pas en fait exhaustivement l’origine des fonds dont les laboratoires bénéficient. Car de nombreux laboratoires signent des contrats de recherche avec des acteurs industriels privés importants. C’est même tout l’axe de l’engagement public dans la recherche mis en évidence par les récents pôles de compétitivité multipartites - entre les tutelles publiques, leurs laboratoires, les acteurs industriels privés, des organismes de formation - sur des thèmes définis par l’Etat.
Il est évident que cette collaboration technique et financière entre le public et le secteur industriel est une option réaliste et souhaitable tant du point de vue du financement de la recherche que de sa valorisation. Mais il se pose un problème de taille pour ce qu’il en est de l’information scientifique à destination du public dans certains domaines. Et ces "certains" domaines pourraient bien être plus vastes que ce qu’on s’imaginerait au premier abord.
Il y a d’abord le domaine de l’information pharmaceutique. Tout médecin peut en témoigner, la part de l’information provenant des entreprises pharmaceutiques est très largement prépondérante, à tel point qu’on pourrait encore se demander s’il reste là une information indépendante. L’association "UFC - Que choisir" a lancé un signal d’alarme en ce sens à propos des visiteurs médicaux, signal qui rejoint un rapport du Sénat sur le sujet, publié en juin 2007.
Autre cas, celui de l’armement. On imagine peut-être qu’il existe une réglementation en ce domaine. Il y a au moins un code de bonne conduite qui devrait contraindre les entreprises européennes à ne pas alimenter les conflits en cours. Voir à ce propos l’édito ("Aux armes !") du Monde diplomatique de septembre 2007. L’éparpillement de la sous-traitance rend particulièrement opaques les filières et le journal cite le cas du développement de l’hélicoptère militaire chinois Z-10 dans lequel EADS serait indirectement engagée. Or qui ne se doute pas que EADS participe à de nombreux contrats de recherche avec des laboratoires du secteur public ?
On comprend mieux dès lors la gêne que les prises de position de Christian Vélot dans un domaine aussi sensible que celui des OGM peuvent engendrer. Rappelons que l’Académie des sciences et l’Académie de médecine s’étaient officiellement engagées en 2002 en faveur de la mise en oeuvre "raisonnée et prudente" des productions agricoles OGM .
C’est donc bien le problème d’une information scientifique fiable et indépendante en direction du grand public qui est posé avec le cas du chercheur français. Car rien n’indique, malgré les accusations dont il est l’objet, que Christian Vélot ait été déloyal envers ses tutelles, lui qui parle en son nom propre. Il donne clairement un avis négatif concernant l’utilisation et donc la dissémination de semences OGM en plein champ, mais l’objet principal de ses conférences est avant tout didactique. Il sait éviter les pièges et raccourcis des discours trop militants et passe beaucoup de temps à rappeler les bases de ce qu’est un gène, de la façon dont on peut le modifier et le réintroduire dans une cellule souche, à distinguer les différents domaines d’application sans cacher les avantages parfois décisifs que cette technique peut apporter (cf. production d’insuline). Dans le domaine agroalimentaire, sujet qui fâche, Christian Vélot ne lésine jamais sur les précautions oratoires de celui qui cherche à apporter l’information dans sa finesse sans vouloir imposer son opinion.
Bref, à l’heure où se termine le Grenelle de l’environnement, à l’heure aussi ou EDF est confrontée à ses premiers démantèlements de centrales nucléaires, le cas Christian Vélot met en lumière, de manière urgente et au-delà du seul domaine des organismes génétiquement modifiés, la question d’une information indépendante à destination du public.
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