Quand la vie manipule les gènes. Le début d’une révolution copernicienne en biologie ?
Le coup de génie de Darwin consista à bissocier deux idées, l’une empirique portant sur l’observation de la pratique de l’élevage et la manière d’améliorer les espèces par l’action de l’homme qui justement, place ces espèces dans un milieu spécifique ; l’autre étant une hypothèse, celle d’une sélection non pas humaine mais naturelle et qui favoriserait alors la transformation des espèces. Maintenant, on connaît les mécanismes de la génétique et les quelques techniques de manipulation visant à produire des plantes et animaux transgénique en utilisant des vecteurs permettant de transférer un gène dans un génome. Ces vecteurs sont le plus souvent fabriqués à partir de séquences virales. Ne peut-on alors tenter un autre coup de maître en considérant les manipulations génétiques comme l’équivalent moderne des pratiques ancestrales d’amélioration des races. On pourrait ainsi concevoir une manipulation naturelle. Autrement dit une « nature vivante » manipulant ses informations génétiques et génomiques grâce à des mécanismes qui ont fait leur preuve, participant à l’adaptation et la spéciation des espèces. Le procédé épistémologique est donc simple dans son principe. Le généticien qui manipule dans son labo se substitue à l’éleveur de bêtes qui améliore la race, la manipulation génétique naturelle occupe alors une place symétrique à celle de la sélection naturelle. Il y a donc un coup spéculatif à jouer. S’il réussit, ses conséquences engendreront le plus grand bouleversement dans la théorie de l’évolution depuis Darwin. La manipulation relève de la forme et de la connaissance des informations. Peut-être est-ce là le secret d’une révolution dans la conception du vivant comme substance qui sait manipuler la forme et aussi se prête à une manipulation artificielle lorsqu’elle vient de l’homme
Si le concept de manipulation génétique naturelle est assez clair dans son principe, l’élucidation des détails moléculaires reste problématique. Un pas théorique a été franchi avec l’hypothèse protéocentrique qui place le génétique sous la maîtrise du protéome. Ce qui signifie que c’est du protéome et en fait de la cellule, souche ou somatique, que se déterminent les instructions indiquant au dispositif génomique, génétique, épigénétique, de déclencher un processus de réorganisation de l’information génétique. Néanmoins, cette hypothèse renverse le dogme de la génétique axé sur l’efficience du gène qui contrôle son destin et celui des protéines qu’il code. Renverser un dogme incite à rebrousser chemin et opter pour la vision consensuelle des généticiens que je pense être fausse. Ce n’est pas chose facile que de proposer une audace spéculative qui va à l’encontre des conceptions établies mais c’est ainsi que la science progresse et sans doute, nombre de ces savants audacieux n’ont pas eu de postérité car ils se sont fourvoyés. Dans toute avancée scientifique il y a un risque. Celui de s’égarer ou de se planter. En vérité, la science c’est comme le loto, tous ceux qui ont trouvé quelque chose ont pris des risques, mesurés certes, mais ils ont osé jouer sur une partie dont les règles n’étaient pas précisées, excepté celle de soumettre la théorie à l’expérience, mais même cette règle peut être transgressée dans le cadre d’une recherche spéculative. Ce qui permet de se livrer à l’interprétation et à la quête du sens.
En vérité, il faut prendre avec une docte perplexité les résultats scientifiques établis avec les méthodes technologiques et faire fonctionner l’imagination, quitte à se trouver en déphasage avec les conceptions consensuelles. Le vivant réel ne coïncide pas avec le vivant conçu à partir de la biologie moléculaire. Cette remise en cause de la science moléculaire du vivant sera le ressort principal de l’évolution de la biologie au 21ème siècle. Car tous les éléments sont disponibles pour lancer une autre voie ontologique.
Qui dit ontologie au 21ème siècle pense à la forme et à l’information et au calcul et à la vie basée sur les essences cognitives et techniques. Le principe de la forme calculante devrait nous orienter vers le monde des protéines puisque ce sont les molécules dont l’efficience en terme de forme est la plus puissante, bien plus que l’ADN qui représente une mémoire textuelle mais dynamique car en perpétuelle reformation. Avec une interrogation sur l’ADN. On peut se demander si cette mémoire génétique commande le vivant ou bien si elle n’est que l’instrument du jeu orchestré par le réseau des protéines. Cette interrogation sera au centre des réflexions sur le vivant lors des prochaines décennies. Juste une précision sur les protéines. Elles disposent d’une complexité formelle inouïe. Elles ont une structure tridimensionnelle, des capacités d’assemblages considérables. Elles sont produites à partir d’une vingtaine d’acides aminés réunis bout à bout puis se replient pour devenir opérationnelles au sein de la cellule.
En l’état actuel de la science, l’épistémologie nous invite à interroger cette fascination des biologistes exprimée à l’égard des gènes. Il n’est impossible que la place du gène soit causée pour une part à des contingences. Le succès des doctrines génétistes tient peut-être à la facilité de séquencer des fragments d’ADN ce qui permet d’établir des corrélations entre l’identification des gènes et les morphotypes. Sans que l’on soit certain du lien de causalité car ces corrélations ne sont peut-être que superficielles et non pas ontologiques. Cette interrogation est cruciale pour l’avenir. Il faudra bien savoir si l’hégémonie de la génétique repose sur la facilité de séquence de l’ADN. Auquel cas, la conception génétiste du vivant ne serait qu’un artifice technologique. Les scientifiques croient manipuler la vie et la comprendre en interférant avec les gènes alors que c’est la vie qui se sert des gènes. Cette hypothèse est bien évidemment radicale et représente une révolution copernicienne. Autrement dit, le passage du génocentrisme au protéocentrisme. Ou alors un mélange des deux, une sorte de dialectique moléculaire entre deux dispositifs formels échangeant des informations. Auquel cas, il est concevable que les gènes puissent être manipulés (dirigés, contrôlés, finalisés) par les protéines selon des mécanismes à découvrir ou bien à extrapoler à partir des résultats expérimentaux obtenus par les généticiens.
L’espace épistémologique et ontologique est ouvert, avec quelques arguments assez percutants mais nul ne sait s’il recèle des vérités sur le vivant ou bien s’il n’est qu’un désert laissé aux fantaisies spéculatives. Les grandes découvertes ontologiques ne se sont pas faite en un clin d’œil ni à l’occasion d’un artefact expérimental. La vie qui manipule les gènes est sans doute l’hypothèse la plus détonante dans le contexte de la nouvelle science du 21ème siècle.
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