Que vont dire mécanique quantique et cosmologie ? Que le Moyen Age moderne va finir
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Qu’entend-on par physique ? Cette question sera présente en filigrane tout au long de cet essai. L’étymologie grecque traduit le terme originel physis par Nature. Chez Aristote, la physis prend plusieurs sens parmi lesquels il faut retenir celui qui émerge du traité intitulé Leçons de physique, dans lequel figurent les quatre causes. Physis signifie alors croissance et/ou mouvement. Vu sous cet angle, la physis se rapproche de la technè, de l’art. Mais dans la physis, la Nature contient les causes de la croissance alors que pour l’art, les causes du mouvement (causes efficientes) sont externes au processus par lequel l’œuvre d’art est progressivement façonnée. Chez Aristote, la physis comprend au moins deux types de choses étudiées, le mouvement et la croissance. Ces études de la Nature n’avaient pas de but utilitaire explicite. Elles visaient à connaître les différentes causes du mouvement et de la croissance. Il s’agissait bien plus d’une philosophie de la Nature que d’une Mécanique comme celle qui incarnera le dénominateur commun de la physique moderne.
Le 17ème siècle voit naître la science moderne dont la branche la plus prestigieuse sera la physique. Cette histoire est maintenant connue avec des angles de vue saisissants et complémentaires. Les deux ingrédients de la physique moderne sont la mesure et le calcul. La physique s’est construite comme une mécanique. Parce que les mesures et les calculs sont capables de capturer les phénomènes physiques ; et qu’ils sont aussi utiles pour assembler les « mécanismes naturels » afin d’obtenir d’autres mécanismes. La physique mécanique a progressé à grands pas entre la fin du 18ème siècle et la fin du 19ème siècle. L’horloge a joué le rôle de symbole chargé de sens et de puissance heuristique. La mécanique est revenue rationnelle. Puis elle s’est enrichie d’une thermodynamique, d’une théorie électromagnétique et dans la foulée, la théorie des quanta est arrivée, une décennie après la nouvelle cosmologie baptisée relativité(S). La physique moderne est surtout connue ainsi qu’appréciée (parfois redoutée) pour ses applications et les moyens techniques considérables qu’elle a permis de construire pour façonner un second monde (parfois contesté) censé rendre la vie meilleure, plus sûre, plus confortable, plus riche, plus intéressante.
Que dit la physique moderne sur la Nature ? La physique étudie le monde étendu et la matière. Autrement dit le monde inerte, opposé au monde organique dont les représentations scientifiques sont dues à la biologie. Une vision moderne du cosmos et de la matière a été construite à partir de l’étude des choses naturelles et leur formalisation. Une première physique s’est axée sur des notions classiques, mouvement, trajectoire, vitesse, transfert d’énergie, champ, interaction, force. Dans cette physique, les choses sont dans l’espace et le temps. Une seconde physique (quantique et relativiste) a utilisé d’autres notions et des outils formels inédits, atomes, particules, jauges, symétries, espace de Hilbert, champs quantifiés, espace-temps courbé, groupes mathématiques. Dans cette physique, le temps et l’espace sont dans l’univers contrairement à la conception newtonienne. Il arrive même que d’aucuns doutent de l’existence d’un espace et d’un temps. Cette physique post-moderne présente un caractère inédit car elle place le philosophe de la Nature dans une situation difficile à gérer, en rupture avec les époques précédentes. La physique post-moderne ne livre pas une image physique ordinaire à partir des représentations qui la constituent. Je m’explique. Chez Aristote, la Nature était pensée en analogie avec l’art. Pendant la période moderne, la Nature avait comme paradigme l’horloge et ses mécanismes. Après 1960, le monde physique est devenu incertain alors que des conceptions basées sur l’information sont devenues courantes. Plusieurs options. Les modèles cybernétiques, l’usage de la théorie de l’information de Shannon en relation avec des considérations héritées de la thermodynamique statistique et bien évidemment, les modèles avec information, transcription, communication, qu’on trouve en science du vivant. Et le computer comme paradigme en sciences cognitives avec le « cerveau calculant ». Néanmoins, la physique post-moderne devrait bientôt livrer une image de la Nature en contraste avec celle qui fait consensus chez la majorité des scientifiques.
Un rapide survol nous permet de voir les grandes époques de la connaissance naturelle, avec quelques conceptions de la Nature très peu nombreuses en vérité. Et trois grands paradigmes ayant chacun un modèle universel. Celui de l’art (technè) chez Aristote, celui de l’horloge et de la machine pour la science moderne première période (17ème – 19ème), celui du computer pour la science moderne seconde période (20ème). A noter une différence majeure. La finalité, omniprésente dans la Nature pensée par Aristote, a été quasiment expulsée dans la représentation scientifique moderne de la Nature. Et maintenant ? La grande majorité des scientifiques adhèrent à la conception mécaniste et informationnelle de la Nature mais un nouveau paradigme se dessine car la physique contemporaine n’a pas encore livré ses secrets. Peut-être faudrait-il revenir sur le tournant moderniste pour comprendre les ressorts de cette métamorphose des savoirs et comprendre comment une vision fausse de la Nature a pu émerger et être partagée. On saisira aussi dans quel sens et dans quelle mesure on parlera un jour de la Modernité comme d’un second Moyen Age. La vision qui va émerger sera étonnante. Avec deux physiques, l’une englobante et universelle qui contient la seconde qui est la physique moderne élaborée comme une mécanique qui repose sur une partie tronquée de la Nature car ramenée à un instrument. Ce qui engendre une connaissance tronquée de la Nature.
La physique est en crise actuellement si l’on en croit quelques spécialistes de la cosmologie quantique. En fait, la situation de crise date des années 1930. La mécanique quantique reste encore une énigme malgré les innombrables études menées sur ce sujet. On peut le comprendre aisément dès lors qu’on confronte cette physique quantique à la physique dite classique. Il se produit une rupture épistémologique. Les philosophes et les physiciens ont cherché depuis à donner une image du « monde quantique » en privilégiant une des deux options opposées. Ou bien chercher à redonner au monde quantique une image proche de notre intelligence du monde physique connu depuis des siècles. Ou bien liquider le monde classique, jeter la « vieille béquille épistémique » et focaliser l’intelligence sur ce qui échappe à une vision classique. Autrement dit, il s’agira et je plaide pour cette approche, de rendre le monde quantique encore plus étrange qu’il n’y paraît, afin de le comprendre (la littérature contemporaine montre les difficultés rencontrées par ceux qui s’essaient à ce « grand jeu ontologique »). C’est un peu comme lorsque l’on rencontre un étranger. On traduit ses paroles approximativement et on cherche à comprendre ce qu’il veut dire à travers notre prisme culturel, ou bien on essaye de comprendre sa culture en sortant du cadre de notre expérience quotidienne.
La physique quantique s’est construite comme une mécanique moderne mais la « Nature » l’a forcé à livrer un message, à travers un formalisme, qui indique que le monde quantique ne se réduit pas à une mécanique, et sans doute pareillement pour le cosmos. Nous verrons cela plus loin mais en attendant, place à quelques considérations générales sur la physique au cours des âges. Histoire de rappeler combien la physique influe sur la vision de la Nature (et parfois c’est réciproque).
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